Coup de tonnerre en Équateur : triomphe correiste

La route vers la reconquête du pouvoir national ne sera certainement pas semée de roses, mais le peuple équatorien ne vient-il pas de montrer que tout est possible ?

Contre la révolution citoyenne en Équateur, entre 2007 et 2017, existait l’hostilité des secteurs les plus conservateurs, hostilité bien comprise, et somme toute attendue, si naturelle. Faire la révolution, changer le cours de l’histoire, ça déplaît aux puissances établies, inutile de dire, lesquelles réagissent violemment. Les secteurs oligarchiques et leurs serviteurs, notamment dans la presse, au sens large, c’est-à-dire radios et télévisions incluses, faisaient tout pour empêcher la progression tranquille de la révolution.

L’ambassade était bien entendu à sa routine de sabotage de tout élan émancipateur. En sus, rapidement, les secteurs « écologistes » et « indigénistes » s’étaient pitoyablement joints aux forces réactionnaires. Dans l’histoire de la définitive émancipation des Amériques, dont nous vivons les frétillements initiaux, ils auront choisi de jouer un rôle bien néfaste. À cette hostilité se joignaient tous les chœurs de la réaction internationale, accompagnés des étranges fioritures provenant des quelques anarcho-trosko-oligarchistes, ridicules pinailleurs, chicaneurs de bacs à sable se prenant pour des savants.
L’insolite trahison de Moreno Garcés, à partir de 2017, ce fut justement de se rallier à ces forces du conservatisme, complètement indifférentes à l’urgence du progrès nécessaire de tout un pays. Dans son retournement de veste trop longue, Moreno Garcés avait emporté avec lui bon nombre de politicards à courte vue, sans principe ni honneur. Nous en étions à la stupéfaction et à la tristesse. Le parti fondé par Correa lui avait ainsi été confisqué, offert sur un plateau d’argent à l’oligarchie qui n’en revenait pas.

L’État même, tout entier, fut livré par le pitoyable Moreno Garcés à ceux qui voulaient éliminer la gauche correiste de la scène politique. Instantanément ce fut le temps des persécutions brutales : sous les prétextes les plus farfelus, la justice s’abattait sur les récalcitrants. Correa lui-même ne peut plus retourner en Équateur, accusé qu’il est d’avoir organisé un réseau de corruption au moyen d’un « flux psychique » (expression couchée sans rire sur les documents de la « justice » équatorienne). Il n’existe pas une seule preuve, pas un élément, montrant le moindre enrichissement, ou un exemple d’argent mal acquis. Rien ! Correa est parti d’Équateur sans s’être enrichi, vivant aujourd’hui dans un modeste appartement en location. Ceux qui ont pillé le pays pendant des décennies, ou leurs fidèles serviteurs, accusent les correistes d’avoir détourné la bagatelle de 70 milliards de dollars. La procureure Diana Salazar est entrée dans l’histoire du pays, se livrant de bon gré aux basses besognes attendues par l’oligarchie. Au moyen de la lawfare – la guerre judiciaire – il s’agissait d’éliminer toute trace de correisme. La persécution a frappé les cadres révolutionnaires les plus en vue. Les plus exposés sont partis, et beaucoup ont trouvé refuge au Mexique, où le président Andrés Manuel López Obrador leur a fait bon accueil. Un documentaire tout récent leur donne la parole et raconte le calvaire vécu par chacun de ces militants – « Se fue a volver »*.

Le petit projet oligarchique était de transformer Moreno Garcés en fantôme de centre-gauche tout en le confrontant occasionnellement avec des forces de centre-droit. Situation de rêve. Pour eux. Mais emporté dans la pente de la servilité, voulant trop faire plaisir à l’ambassade et à son maître en félonie – Luis Almagro –, Moreno Garcés est parti trop à droite. Et l’espace s’est vite ouvert à gauche. Or, chez les correistes, malgré toutes les persécutions, certains, et certaines ! avaient fait le choix de rester, menant stoïques la bataille contre les forces déchaînées des médias et de la « justice » séquestrée par les serviteurs de la grande bourgeoisie parasitaire.

Alors de grands noms sont entrés dans l’histoire de l’Équateur. Des femmes et des hommes extraordinaires refusant d’abjurer leurs convictions révolutionnaires. Ainsi, Paola Pabón, pureté et dévouement, préfète (élue) de la province de Pichincha.

Accusée d’orchestrer un coup d’État, les forces de l’ordre débarquent chez elle au petit matin, la porte est forcée, des hommes armés jusqu’aux dents débarquent dans les recoins les plus intimes de son domicile. Les télévisions sont de suite sur place, à l’aurore, et rapportent tout cela goulûment (https://www.youtube.com/watch?v=tJ8LfAScG4I).

Humiliation totale ! Elle est jetée en prison, puis sort de prison avec un bracelet électronique pour le jour de Noël en 2019. On n’avait strictement RIEN à lui reprocher. Autre cas : Marcela Aguiñaga, ancienne ministre de Correa, brillantissime, oratrice hors pair, elle a longtemps vécu avec au-dessus de la tête une épée de Damoclès. Elle est « accusée » d’avoir fait perdre à l’administration publique 41 millions de dollars, parce que des terrains auraient été payés à un prix excessif.

En fait il s’agit d’observations (« glosa » en Équateur) émises par la contraloría general, qui se permettait tout, en marge de la justice. Les médias au service de l’oligarchie hurlent à la corruption, les choristes de la propagande oligarchique lui demandent de « rendre les 41 millions de dollars », alors qu’il s’agissait d’une transaction entre deux entités publiques, et qu’elle n’a jamais touché à cet argent.

Après avoir été traînée dans la boue, cinq ans durant !, Marcela Aguiñaga est innocentée en août 2022. (voir l’émotion de la militante dans cette vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=Cz9QXiEGrJI&t=1360s à partir de 8:00 minutes ). La persécution avait pour but d’assécher le mouvement correiste. Comme Marcela Aguiñaga et Paola Pabón, mille et un autres cas du même acabit. Les grands commentateurs autorisés nous assurent pourtant que la démocratie équatorienne se porte à merveille depuis que le tyrannique Correa est parti.

L’affaire aurait pu sembler réglée. La gauche correiste semblait affaiblie durablement. Puis, déjà, en 2021 premier coup de semonce. Un jeune homme, sorti de la discrétion de rigueur alors, se présente à l’élection présidentielle, sans parti, sans média, sans trop d’expérience. Mais, mais, mais, il est soutenu par Correa, transatlantique extension. Et le jeune homme, Andrés Arauz, frôle le palais présidentiel. Échouant de peu, il ne remporte « que » 47,50% des voix face à l’un des hommes les plus riches de l’Équateur, le banquier Guillermo Lasso. Lasso président, l’œuvre de destruction du correisme pouvait continuer au son des tambours médiatiques. Jorge Glas, ancien vice-président, fidèle au correisme, n’était pas près de sortir de prison.

Survient maintenant, le 5 février 2023, journée d’élections locales, pour les mairies et les provinces, avec en plus un référendum à 8 questions voulu par Lasso. Résultat : incroyable victoire correiste ! Imaginons un boxeur qui pendant 12 x 3 minutes n’a fait que prendre des coups, sans pouvoir en placer une, puis, à la fin du combat, l’emporte par KO technique. Les candidats correistes, les persécutés, les vilipendés, remportent des victoires tous azimuts. Inébranlables dans leurs convictions politiques, impassibles face à la haine médiatique et courageux face à la lawfare, ils réapparaissent inchangés.

Les Équatoriens ont dit non au banquier Lasso, remis en cause et délégitimé, à son référendum du 5 février

Quito, capitale de la république, est remportée par Pabel Muñoz – le militant correiste calme et sérieux vainc les amuseurs superficiels de la droite. Guayaquil, la grande ville portuaire du sud, est remportée par Aquiles Álvarez, homme tranquille, l’air de ne pas y toucher. Les correistes emportent en tout neuf provinces. Celle qui a vu la police entrer brutalement chez elle à 5h00 du matin, celle qui portait encore il y a peu un bracelet électronique, celle qui avait été emprisonnée pendant plus de deux mois – pour rien –, Paola Pabón, est réélue préfète de la province de Pichincha, la plus importante du pays (l’équivalent de la région Île-de-France). La province du Guayas (où se trouve Guayaquil), bastion du parti de droite social-chrétien (PSC) depuis plus de trente ans, est remportée par la leader nationale du mouvement correiste Marcela Aguiñaga, une authentique prouesse politique. Pichincha et Guayas sont les deux provinces les plus peuplées du pays. La province d’Azuay, au sud, est remportée par le correiste Juan Cristóbal Lloret. Dans la province de Manabí le militant correiste Leonardo Orlando est réélu. Etc. Neuf provinces emportées par la révolution citoyenne, dont les plus importantes !

Les correistes sont heureux, mais la victoire est amère. Ces dernières années, tant de souffrances inutiles, et injustifiables. Et maintenant le risque de la répression violente : le samedi 4 février 2023 a été assassiné Omar Menéndez, candidat correiste à la mairie de Puerto López, dans la province de Manabí. Le bulletin portant son nom a au demeurant remporté l’élection le lendemain dimanche 5 février, comme un ultime hommage populaire au leader local de la révolution citoyenne. La route vers la reconquête du pouvoir national ne sera certainement pas semée de roses, mais le peuple équatorien ne vient-il pas de montrer que tout est possible ?

* Se fue a volver:

Il est parti pour revenir, expression typiquement équatorienne qui, signifie que l’on reviendra bientôt, que l’on n’est pas parti pour de bon. Ce documentaire traite de la persécution politique dont a fait l’objet la couche dirigeante de la Révolution citoyenne au moment du départ du gouvernement de l’ancien président Rafael Correa Delgado, ce qui a entraîné leur exil dans différents endroits du monde, parmi lesquels le Mexique de la Quatrième Transformation [NdlE].

Mila Desmers, Paris le 8 fèvrier 2023

Edité par María Piedad Ossaba

Traduction disponible: Español