Virus : tout ce qui est solide disparaît dans l’air

Ce que nous savons avec certitude, c’est que, bien au-delà du coronavirus, il y a une guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis. Une guerre sans quartier qui, comme tout porte à croire, devra se terminer par un vainqueur et un vaincu.

Il y a un débat en sciences sociales pour savoir si la vérité et la qualité des institutions d’une société donnée sont mieux connues dans des situations de normalité, de fonctionnement courant ou dans des situations exceptionnelles de crise. Peut-être que les deux types de situations induisent de manière égale la connaissance, mais ils nous permettent sans doute de connaître ou de révéler des choses différentes. Quelles informations potentielles dérivent de la pandémie de coronavirus ?https://www.alainet.org/sites/default/files/styles/imagen-principal-articulo/public/coronavirus_0.jpg?itok=gx9KquZp

Panneau de conseils de prevention du Coronavírus à l’Université Federale du Rio Grande do Sul, Porto Alegre, Brésil. Photo  Luiza Castro/Sul21

La normalité de l’exception

La pandémie actuelle n’est pas une situation de crise clairement opposée à une situation normale. Depuis les années 1980 (le néolibéralisme étant devenu la version dominante du capitalisme et se soumettant de plus en plus à la logique du secteur financier), le monde a vécu dans un état de crise permanent. Une situation doublement anormale. D’une part, l’idée de crise permanente est un oxymore, car, au sens étymologique, la crise est par nature exceptionnelle et temporaire et constitue une opportunité pour la surmonter et conduire à une situation meilleure. En revanche, lorsque la crise est transitoire, elle doit être expliquée par les facteurs qui la provoquent.

Cependant, lorsqu’elle devient permanente, la crise devient la cause qui explique tout le reste. Par exemple, la crise financière permanente est utilisée pour expliquer les coupes dans les politiques sociales (santé, éducation, protection sociale) ou la détérioration des conditions salariales. Ainsi, on s’ empêche de s’interroger sur les véritables causes de la crise. L’objectif de la crise permanente est de n’est pas être résolue et quel vise donc cet objectif? Fondamentalement, deux choses: légitimer la concentration scandaleuse des richesses et empêcher que des mesures efficaces soient prises pour éviter la catastrophe écologique imminente. C’est ainsi que nous vivons depuis quarante ans. Pour cette raison, la pandémie ne fait qu’aggraver une situation de crise à laquelle la population mondiale a été soumise. D’où son danger spécifique. Dans de nombreux pays, il y a dix ou vingt ans, les services de santé publique étaient mieux préparés à faire face à la pandémie qu’aujourd’hui.

L’élasticité du social

À chaque époque historique, les formes dominantes de vie (travail, consommation, loisirs, coexistence) et d’anticipation ou de report de la mort sont relativement rigides et semblent dériver de règles gravées dans le marbre de la nature humaine. Il est vrai qu’elles changent progressivement, mais les altérations passent presque toujours inaperçues. Le déclenchement d’une pandémie n’est pas associé à ces types de changements. Cela exige des changements drastiques. Et soudain, ceux-ci deviennent possibles, comme s’ils l’avaient toujours été. Il est possible de rester à la maison et d’avoir le temps de lire un livre et de passer plus de temps avec la famille, de consommer moins, de supprimer la dépendance de passer du temps dans les centres commerciaux, regardant ce qui est à vendre et oubliant ce qu’on veut, mais cela ne peut être obtenu par un autre moyen que l’achat. L’idée conservatrice qu’il n’y a pas d’alternative au mode de vie imposé par l’hyper-capitalisme dans lequel nous vivons s’effondre. Cela devient évident qu’il n’y a pas d’alternatives parce que le système politique démocratique a été contraint de cesser de discuter des alternatives. Comme elles ont été expulsées du système politique, les alternatives entreront de plus en plus dans la vie des citoyens par la porte de derrière des crises pandémiques, des catastrophes environnementales et des effondrements financiers.

Autrement dit, les alternatives reviendront de la pire façon possible.

La fragilité de l’humain

L’apparente rigidité des solutions sociales crée un étrange sentiment de sécurité dans les classes qui en profitent le plus. Il est vrai qu’il y a toujours une certaine insécurité, mais il existe des moyens et des ressources pour la minimiser, qu’il s’agisse de soins médicaux, de polices d’assurance, de services de sociétés de sécurité, de psychothérapie, de salles de gym. Ce sentiment de sécurité se conjugue avec celui d’arrogance voire de condamnation envers tous ceux qui se sentent victimes des mêmes solutions sociales. L’épidémie virale perturbe ce bon sens et évapore la sécurité du jour au lendemain. Nous savons que la pandémie n’est pas aveugle et a des objectifs privilégiés, mais elle crée quand même une prise de conscience de la communion planétaire, en quelque sorte démocratique. L’étymologie du terme pandémie dit exactement cela : le peuple entier. La tragédie est que, dans ce cas, la meilleure façon de faire preuve de solidarité est de nous isoler les uns des autres et même de ne pas nous toucher. C’est une étrange communion de destins. D’autres ne seraient-ils pas possibles ?

Les fins ne justifient pas les moyens

Le ralentissement de l’activité économique, en particulier dans le pays le plus grand et le plus dynamique du monde, a des conséquences négatives évidentes. Mais, d’un autre côté, cela a des conséquences positives. Par exemple, la diminution de la pollution atmosphérique. Un spécialiste de la qualité de l’air de l’Agence spatiale américaine (NASA) a déclaré qu’une baisse aussi spectaculaire de la pollution n’avait jamais été observée dans une zone aussi vaste. Est-ce à dire qu’au début du XXIe siècle, la seule façon d’éviter la catastrophe écologique de plus en plus imminente passe par la destruction massive de la vie humaine ? Avons-nous perdu l’imagination préventive et la capacité politique de la mettre en pratique ?

Pour contrôler efficacement la pandémie, on sait que la Chine a mis en place des méthodes de répression et de surveillance particulièrement strictes. Il devient de plus en plus clair que les mesures ont été efficaces. Il s’avère que la Chine, malgré tous ses mérites, n’a pas celui d’être un pays démocratique. Il est très douteux que de telles mesures puissent être mises en œuvre ou appliquées de manière tout aussi efficace dans un pays démocratique. Est-ce à dire que la démocratie n’a pas la capacité politique de répondre aux urgences ? Au contraire, The Economist a montré au début de cette année que les épidémies ont tendance à être moins meurtrières dans les pays démocratiques en raison de la libre circulation de l’information. Mais comme les démocraties sont de plus en plus vulnérables aux fausses nouvelles, nous devrons imaginer des solutions démocratiques basées sur la démocratie participative au niveau du quartier et de la communauté, et sur une éducation civique orientée vers la solidarité et la coopération, et non vers l’entrepreneuriat et la compétitivité à tout prix.

La guerre dont est faite la paix

La façon dont le récit de la pandémie a été initialement construit dans les médias occidentaux a mis en évidence le désir de diaboliser la Chine. Les mauvaises conditions d’hygiène sur les marchés chinois et les étranges habitudes alimentaires des Chinois (primitivisme évoqué) étaient à l’origine du mal. De manière subliminale, le public mondial a été alerté du danger que la Chine, désormais la deuxième économie du monde, domine le monde. Si la Chine n’était pas en mesure d’empêcher de tels dommages à la santé mondiale et, en outre, ne pouvait pas les surmonter efficacement, comment pouvons-nous faire confiance à la technologie de l’avenir proposée par la Chine ? Le virus est-il né en Chine ? La vérité est que, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’origine du virus n’a pas encore été déterminée. Par conséquent, il est irresponsable que les médias officiels aux États-Unis parlent du « virus étranger » ou même du « coronavirus chinois », d’autant plus que c’est seulement dans les pays dotés de bons systèmes de santé publique (les États-Unis n’en font pas partie) qu’il est possible de faire des tests gratuits et déterminer avec précision les types de grippe qui se sont produits au cours des derniers mois.

Ce que nous savons avec certitude, c’est que, bien au-delà du coronavirus, il y a une guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis. Une guerre sans quartier qui, comme tout porte à croire, devra se terminer par un vainqueur et un vaincu. Du point de vue des États-Unis, il est urgent de neutraliser le leadership de la Chine dans quatre domaines : la fabrication de téléphones mobiles, les télécommunications de cinquième génération (intelligence artificielle), les voitures électriques et les énergies renouvelables.

La sociologie des absences

Une pandémie de cette dimension provoque un choc mondial. Bien que le drame soit avéré, il est bon de prendre en compte les ombres que crée la visibilité. Par exemple, Médecins sans frontières met en garde contre l’extrême vulnérabilité face au virus des milliers de réfugiés et d’immigrants détenus dans des camps d’internement en Grèce. Dans l’un de ces camps (Moria), il y a un robinet d’eau pour 1 300 personnes et le savon manque. Les détenus ne peuvent vivre que près les uns des autres. Des familles de cinq ou six personnes dorment dans un espace de moins de trois mètres carrés. C’est aussi l’Europe, l’Europe invisible.

Boaventura de Sousa Santos

Original: Original: Vírus: tudo o que é sólido se desfaz no ar

Traduit par El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

Traductions disponibles: Español