Les Saoudiens veulent un accord nucléaire avec les USA : peut-on leur faire confiance pour ne pas fabriquer une bombe ?

Le prince héritier d’Arabie Saoudite Mohammed ben Salman a déclenché des alarmes à Washington lorsqu’il a déclaré plus tôt cette année que « si l’Iran développait une bombe nucléaire, nous suivrions son exemple dès que possible ».

Par  David E. Sanger et William J. Broad, avec la contribution de Mark Mazzetti à Washington et David Kirkpatrick à Londres. Une version de cet article est parue en une de l’édition imprimée de New-York du New York Times du 23 novembre, sous le titre : Le meurtre du dissident perturbe un accord sur le combustible nucléaire

Le prince héritier d’Arabie Saoudite Mohammed ben Salman a déclenché des alarmes à Washington lorsqu’il a déclaré plus tôt cette année que « si l’Iran développait une bombe nucléaire, nous suivrions son exemple dès que possible ».

WASHINGTON – Avant que le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salman, ne soit impliqué par la CIA dans l’assassinat de Jamal Khashoggi, les services de renseignements US essayaient de résoudre un autre mystère : le prince préparait-il la fabrication d’une bombe atomique ?

L’héritier de 33 ans du trône saoudien avait supervisé des négociations avec le Département de l’énergie et le Département d’État pour amener USA à vendre au royaume des projets de centrales nucléaires. La valeur de l’opération pouvait s’élever jusqu’à 80 milliards de dollars, selon le nombre de centrales que l’Arabie saoudite déciderait de construire.

Mais il y a un problème : l’Arabie saoudite insiste pour produire son propre combustible nucléaire, même si elle pourrait l’acheter à meilleur marché à l’étranger, selon des responsables US et saoudiens familiers des négociations. Cela a fait craindre à Washington que les Saoudiens ne détournent leur carburant vers un projet d’armement clandestin – exactement ce que les USA et leurs alliés craignaient que l’Iran ne fasse avant de conclure l’accord nucléaire de 2015, que le président Trump a depuis abandonné.

Le prince Mohammed a déclenché des alarmes lorsqu’il a déclaré au début de l’année, au beau milieu des négociations, que si l’Iran, le rival le plus féroce de l’Arabie saoudite, « développait une bombe nucléaire, nous ferions de même dès que possible ». Ses négociateurs ont suscité des inquiétudes supplémentaires en disant à l’administration Trump que l’Arabie saoudite refuserait de signer un accord qui permettrait aux inspecteurs des Nations Unies de chercher partout dans le pays des signes indiquant que les Saoudiens pourraient travailler sur une bombe, ont déclaré des responsables US.

Interrogé au Congrès en mars dernier sur ses négociations secrètes avec les Saoudiens, le ministre de l’Énergie Rick Perry a esquivé la question de savoir si l’administration Trump insisterait pour que le royaume se voie interdire de produire du combustible nucléaire.

Huit mois plus tard, l’administration ne veut pas dire où en sont les négociations. Derrière la transaction pointe maintenant la question de savoir si on peut faire confiance à propos de combustible et de technologie nucléaires à un gouvernement saoudien qui a assassiné M. Khashoggi et a changé à plusieurs reprises son récit au sujet de ce meurtre. Ce carburant peut être utilisé à des fins bénignes ou militaires : si l’uranium est enrichi à 4 % de pureté, il peut alimenter une centrale électrique ; à 90 %, il peut être utilisé pour une bombe.

En privé, les fonctionnaires de l’administration soutiennent que si les USA ne vendent pas l’équipement nucléaire à l’Arabie saoudite, quelqu’un d’autre le fera,  peut-être la Russie, la Chine ou la Corée du Sud.

Ils soulignent que le fait d’assurer que les Saoudiens utilisent un réacteur conçu par Westinghouse, le seul fabricant US en lice pour l’opération, cadre bien avec l’insistance de M. Trump sur le fait que les emplois, le pétrole et les relations stratégiques entre Riyad et Washington sont tous beaucoup plus importants que la mort d’un dissident saoudien vivant et écrivant des chroniques dans un journal aux USA.

En vertu des règles qui régissent les accords nucléaires de ce genre, le Congrès aurait la possibilité de rejeter tout accord avec l’Arabie saoudite, bien que la Chambre et le Sénat auraient chacun besoin d’une majorité à l’abri du veto (présidentiel) pour arrêter les plans de M. Trump.

« C’est une chose de leur vendre des avions, mais c’en est une autre de leur vendre des bombes atomiques, ou la capacité de les fabriquer », a déclaré le représentant Brad Sherman, démocrate de Californie et membre de la Commission des affaires étrangères de la Chambre.

Après la mort de M. Khashoggi, M. Sherman a mené la charge pour changer la loi et rendre plus difficile pour l’administration Trump de parvenir à un accord nucléaire avec l’Arabie Saoudite. Il a décrit cela comme l’un des moyens les plus efficaces de punir le prince Mohammed.

« Un pays auquel on ne peut pas faire confiance sur l’utilisation d’une scie à os ne devrait pas en inspirer à propos d’armes nucléaires », a déclaré M. Sherman, faisant référence au meurtre brutal de M. Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul le mois dernier.

Des experts nucléaires ont déclaré que le prince Mohammed aurait dû être exclu de toute aide nucléaire dès qu’il a évoqué la perspective d’acquérir des armes nucléaires pour contrer l’Iran.

« Nous n’avons jamais envisagé, et encore moins conclu, un accord de coopération nucléaire avec un pays qui menaçait de quitter le traité de non-prolifération, même à titre provisoire », a déclaré William Tobey, un haut responsable du département de l’Énergie sous l’administration Bush qui a témoigné sur les risques de l’accord avec l’Arabie saoudite.

Il faisait référence à la menace du prince héritier de contrebalancer toute arme nucléaire iranienne – une mesure qui exigerait des Saoudiens qu’ils abandonnent publiquement leurs engagements au titre du traité de non-prolifération ou qu’ils mènent secrètement la course à la bombe.

L’administration Trump a refusé de fournir une mise à jour sur les négociations, qui ont été assez intenses pour que M. Perry se rende à Riyad fin 2017. Au cours des derniers mois, un haut fonctionnaire du département d’État a poursuivi les discussions sur l’accord en Europe.

Le ministère saoudien de l’Énergie a déclaré dans un communiqué : « Le gouvernement saoudien a confirmé à maintes reprises que chaque composante du programme saoudien d’énergie atomique est strictement destinée à des utilisations civiles et pacifiques. Le gouvernement saoudien a décidé d’aller de l’avant avec ce projet non seulement pour diversifier les sources d’énergie, mais aussi pour contribuer à notre économie. L’Arabie saoudite a appelé à plusieurs reprises à un Moyen-Orient exempt de toute forme d’armes nucléaires. »

L’Arabie saoudite s’est longtemps montrée intéressée à acquérir, ou à aider ses alliés à acquérir, les éléments constitutifs d’un programme qui pourrait fabriquer des armes nucléaires et protéger le royaume des menaces potentielles de ses voisins – d’abord Israël, puis l’Irak et l’Iran.

Le gouvernement saoudien a financé la fabrication secrète par le Pakistan de ses propres armes nucléaires, la première “bombe sunnite”, comme l’ont appelée les créateurs pakistanais du programme. Ce lien financier a longtemps laissé les responsables américains du renseignement se demander s’il n’y avait pas une contrepartie : si l’Arabie saoudite avait un jour besoin de son propre petit arsenal, le Pakistan pourrait le fournir – peut-être en déplaçant des troupes pakistanaises en territoire saoudien.

Les Saoudiens pensaient aussi aux systèmes de distribution. En 1988, le royaume a acheté à la Chine des missiles à moyenne portée conçus pour être équipés d’ogives nucléaires, chimiques ou biologiques, suscitant les protestations des responsables US.

Le ministre de l’Énergie, Rick Perry, a rencontré le ministre saoudien de l’énergie, Khalid al-Falih, à Riyad l’an dernier. Photo Fayez Nureldine/Agence France-Presse – Getty Images

Les inquiétudes de Riyadh ont culminé en 2003 lorsqu’il a été révélé que Téhéran avait secrètement construit une vaste usine souterraine d’enrichissement de l’uranium – un combustible pour les  armes et les réacteurs nucléaires.

À l’époque, les Iraniens avaient avancé le même argument que les Saoudiens à l’heure actuelle, à savoir qu’ils devaient posséder toutes les installations de production nécessaires pour alimenter les centrales nucléaires. (Les Iraniens ont ouvert en 2011 une de ces centrales, un réacteur nucléaire à Bushehr, construit par les Russes.)

C’est cette insistance qui a déclenché la crise nucléaire iranienne. Au fil des ans, plusieurs pays ont démontré qu’il est possible de transformer des programmes prétendument civils en sources de carburant pour bombes, et donc d’ogives atomiques et de puissance militaire. Israël a récemment publié des archives, volées à Téhéran en janvier, pour prouver que le gouvernement iranien a trompé le monde pendant des années.

Les Saoudiens, quant à eux, n’avaient pas d’installations équivalentes. Ils ont promis de les avoir.

« Quoi que les Iraniens fabriquent, nous le fabriquerons aussi », avait averti le prince Turki al-Faisal, ancien chef des services de renseignement saoudiens, alors que l’administration Obama cherchait à négocier ce qui est devenu l’accord nucléaire de 2015 avec l’Iran.

En vertu de ce pacte, l’Iran fabrique actuellement un petit nombre de centrifugeuses nucléaires, bien qu’il ait dû expédier 97 % de son combustible nucléaire hors du pays. Les Saoudiens pensent qu’ils doivent être positionnés de manière à être à la hauteur de tous les mouvements de l’Iran, bien que les experts disent que cela prendrait un certain temps. « Personne ne pense que les Saoudiens seront bientôt en mesure de le faire « , a déclaré Matthew Bunn, un expert nucléaire de la Kennedy School of Government de l’Université Harvard. « Il est plausible de penser qu’ils ne pourraient pas construire une arme sans aide extérieure. »

Le principal défi pour l’administration Trump est qu’elle a déclaré qu’on ne peut jamais faire confiance à l’Iran sur aucune une technologie de fabrication d’armes. Maintenant, elle doit décider s’il faut tracer la même ligne pour les Saoudiens.

Les mesures prises par les USA pourraient contribuer à alimenter les intentions nucléaires des Saoudiens. Maintenant que l’accord avec l’Iran, négocié avec les puissances mondiales, est sur le point de s’effondrer après le retrait des USA par M. Trump, les analystes craignent que les Saoudiens ne se positionnent pour créer leur propre programme nucléaire en réponse.

Le royaume possède d’importants gisements d’uranium et cinq centres de recherche nucléaire. Selon les analystes, les effectifs de l’Arabie saoudite dans le secteur nucléaire ne cessent d’augmenter en taille et en sophistication,  même si elle ne poruit pas (econre) de combustible nucléaire.

Les dirigeants saoudiens ont vu une ouverture politique lorsque M. Trump a été élu.

À ses débuts, l’administration a passé beaucoup de temps à discuter des moyens par lesquels l’Arabie saoudite et d’autres États arabes pourraient acquérir des réacteurs nucléaires. Michael T. Flynn, qui a brièvement été conseiller à la sécurité nationale de M. Trump, a appuyé un plan qui aurait permis à Moscou et à Washington de coopérer sur un accord visant à fournir des réacteurs à Riyad, mais pas la capacité de produire son propre combustible nucléaire.

Comme condition préalable, les sanctions économiques US contre la Russie auraient été levées pour permettre à Moscou de se joindre à l’effort. M. Flynn a été congédié au début de 2017 à cause de ses conversations avec l’ambassadeur de Russie auprès de l’ONU.

À la fin de 2017, M. Perry, le ministre de l’Énergie, a abordé la question de la coopération nucléaire. Excluant la Russie, il a commencé à négocier les conditions avec Riyad. La question de savoir si les Saoudiens seraient interdits de production de combustible est rapidement devenue un point d’éclair au Congrès.

Lors de son audience de confirmation au Sénat en novembre 2017, Christopher A. Ford, secrétaire d’État adjoint à la sécurité internationale et à la non-prolifération, a qualifié ces garanties de “résultat souhaité”. Mais il a tergiversé sur la question de savoir si les USA insisteraient sur cette interdiction..

Le sénateur Edward J. Markey, un démocrate du Massachusetts qui siège à la commission sénatoriale des Affaires étrangères, a qualifié l’approche de l’administration de « recette de catastrophe ».

En février, M. Perry a conduit une délégation à Londres pour discuter d’un pacte qui interdirait la production de combustible, connu sous le nom d’accord 1-2-3, pendant au moins 10 à 15 ans. (Il se trouve que c’est la même durée que celle pendant laquelle les Iraniens oint été interdits de production de combustible en vertu de l’accord nucléaire de l’ère Obama, que M. Trump a qualifié de ” catastrophe “).

La délégation saoudienne était conduite par le ministre de l’Énergie, Khalid al-Falih, qui s’est opposé à cette proposition.

Des experts nucléaires ont déclaré que le royaume voulait construire jusqu’à 16 centrales nucléaires au cours des 20 à 25 prochaines années pour un coût de plus de 80 milliards de dollars. Récemment, elle a réduit son plan initial à la construction de seulement deux réacteurs. Westinghouse, basée en Pennsylvanie, fournirait la technologie, mais probablement sous licence à des sous-traitants sud-coréens.

Le prince héritier a fait la une des journaux en mars en faisant passer le débat public sur les intentions de Riyad des réacteurs aux bombes atomiques. Dans une interview accordée à CBS News, il a déclaré que si l’Iran acquérait des armes nucléaires, l’Arabie saoudite suivrait rapidement.

« L’Arabie saoudite ne veut pas acquérir de bombe atomique », a dit le prince Mohammed à 60 Minutes. « Mais sans aucun doute, si l’Iran développait une bombe atomique, nous ferons de même dès que possible ».

Quelques jours plus tard, M. Falih, le ministre de l’Énergie, s’est inquiété de l’issue des négociations avec Washington en insistant publiquement pour que Riyad fabrique son propre combustible nucléaire.

Il a dit dans une interview à Reuters qu’il espérait un accord.

« Il sera naturel », a-t-il dit, « que les USA soient avec nous et nous fournissent non seulement la technologie, mais qu’ils nous aident aussi pour le cycle du combustible et la surveillance, et s’assurent que nous le faisons selon les normes les plus élevées ».

Mais M. Falih a souligné que le royaume avait ses propres gisements d’uranium et qu’il voulait les exploiter plutôt que de compter sur un fournisseur étranger.

« Ce n’est pas normal pour nous », dit-il, « d’apporter de l’uranium enrichi d’un pays étranger ».

Various Authors – Autores varios – Auteurs divers- AAVV-d.a.

Original: Saudis want a U.S. nuclear deal. Can they be trusted not to build a bomb?

Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Traductions disponibles: Español 

Source: Tlaxcala, le 28 novembre 2018