Chili : un irrépressible désir de liberté

Qu’est-ce qui pourrait empêcher la nation chilienne de recouvrer ses libertés et ses droits les plus fondamentaux ? L’approbation de la nouvelle Constitution est une porte ouverte sur l’avenir…

« Les empereurs romains n’oubliaient surtout pas de prendre le titre de Tribun du peuple, parce que cet office était tenu pour saint et sacré ; établi pour la défense et la protection du peuple, il jouissait d’une haute faveur dans l’État. Ils s’assuraient par ce moyen que le peuple se fierait mieux à eux, comme s’il lui suffisait d’entendre ce nom, sans avoir besoin d’en sentir les effets. Mais ils ne font guère mieux ceux d’aujourd’hui qui, avant de commettre leurs crimes les plus graves, les font toujours précéder de quelques jolis discours sur le bien public et le soulagement des malheureux. On connaît la formule dont ils font si finement usage ; mais peut-on parler de finesse là où il y a tant d’impudence ?»

(Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire,  1576)

Étienne de la Boétie a écrit son célèbre texte alors qu’il avait à peine 16 ans. Sa réflexion récurrente porte sur une question très simple : comment se fait-il que des millions d’êtres humains se laissent assujettir et asservir sans même chercher à retrouver leur liberté ?

Étienne de la Boétie

L’auteur souligne que n’importe quel animal capturé vit sa captivité comme un malheur et dans de nombreux cas préfère mourir plutôt que de perdre sa liberté. D’après Étienne de la Boétie, la réaction des êtres humains est souvent très différente :

« Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu’il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté qu’il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien, et si volontiers, qu’on dirait à le voir qu’il n’a pas seulement perdu sa liberté mais bien gagné sa servitude.»

Je suis convaincu que le peuple chilien ne souscrit pas à ce comportement malheureux. Au contraire, je retiens la leçon d’Etienne de la Boétie lui-même :

« Tant qu’un peuple est contraint d’obéir et qu’il obéit, il se porte bien ; mais dès qu’il peut secouer le joug et qu’il le fait, il se porte encore mieux…».

Salvador Allende a dit la même chose le jour funeste du 11 septembre 1973 :

« Le Peuple doit se défendre et non pas se sacrifier. Le Peuple ne doit pas se laisser écraser ni attaquer, mais ne doit pas non plus se laisser humilier. (…) Sachez que, plus tôt qu’on ne croit, les grandes avenues par où l’homme libre passera pour construire une société meilleure seront à nouveau dégagées. »

Quatre siècles séparent l’exploit du Camarade Président de l’œuvre de ce brillant adolescent qui avertissait l’humanité du danger qu’elle encourt en normalisant l’esclavage et à l’absence de droits.

Dans le Chili d’aujourd’hui, on assiste malheureusement à la prolifération d’une caste très encline à la servitude, qui se déclare avec enthousiasme partisane du joug de la Constitution imposée en dictature, une loi maudite qui depuis 42 ans, prive le peuple chilien de ses droits civiques, le transformant en objet de prédation d’une poignée d’oligarques.

L’horreur ignoble en gestation, sa simple existence, est une source de honte pour tout être humain bien né. Qui pourrait évoquer sans ressentir un sentiment de dégoût un texte dont l’objectif principal consiste à priver tout un peuple des droits fondamentaux énonces en 1793 par la Révolution française, puis adoptés par l’Organisation des Nations unies ?

Lorsqu’il s’agit d’effacer de la surface de la Terre cette atteinte à l’humanité et à l’intelligence commise par la dictature civico-militaire, notre principale préoccupation n’est pas d’être focalisés sur la version en traitement de texte, ni sur la police utilisée pour l’imprimer. Il suffit de savoir que la gestation du nouveau texte constitutionnel s’est faite en bonne et due forme démocratique.

Ce détail dérange. En particulier le groupe autoproclamé « Amarillos por Chile» [Jaunes (caca d’oie) pour le Chile, se présentant comme « centristes », NdE], et les nombreux cadavres ambulants qui se targuent d’être des de zombies de cinémascope.

Le texte est important, bien entendu. Et j’irais même jusqu’à dire que nombreux sont ceux qui pensent (nous pensons) que si on leur (m’) avait confié la rédaction de la nouvelle Constitution, celle-ci serait une merveille de précision, de concision, de justesse et d’humanité.

Mais la réalité des processus sociaux, ceux qui « ne s’arrêtent ni par le crime ni par la force » a choisi les membres de la Convention constitutionnelle pour une si noble tâche. Leur travail, qui consiste à rédiger le texte de la Nouvelle Constitution, est une porte ouverte vers l’avenir.

Chacun peut relever des défauts, des imperfections, des lacunes et des négligences. Mais ce texte a l’immense mérite de faire disparaître d’un trait de plume l’infame injustice causée par la Constitution pinochetiste de 1980, « réformée » par Lagos en 2005.

À cela s’ajoute l’opportunité de construire un pays dans lequel ses citoyens retrouveront, après presque 50 ans d’odieuse servitude, leurs libertés et leurs droits les plus fondamentaux.

“ L’histoire nous appartient, ce sont les peuples qui la font » a dit mon (unique) Président.

Voilà pourquoi, le 4 septembre, je voterai « Oui » à la nouvelle Constitution.

Luis Casado pour La Pluma

Original:  Chile: Un irreprimible deseo de libertad

Traduit par Rafael Tobar

Edité par Fausto Giudice / María Piedad Ossaba

Source: Politika, 11 de julio de 2022

*Rafael Tobar: Étudiant deuxième année de Master LISH (Lettres , Interfaces Numériques et Sciences Humaines) à l’Université Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis, traducteur-Interprète français<>espagnol , assistant éditorial, stagiaire à La Pluma.