Talibanistan : cimetière d’empires, berceau d’imaginaires

L’entrée dans Kaboul des Talibans le 15 août 2021 a secoué bien des certitudes assénées par la machine de propagande médiatique depuis 20 ans, à commencer par la première : que ceux-ci constitueraient le Mal absolu. La preuve : on négocie avec eux, on discute avec eux, on échange des informations avec eux, on les interviewe, on les accompagne en patrouille, bref on s’embarque avec eux. Lentement mais sûrement, à l’image de fous furieux de Dieu se substitue celle de pères tranquilles en gilet jaune entendant gérer leur pays en bons pères de famille. Les bricoleurs jihadistes pachtounes de la fin du XXème siècle sont devenus des professionnels tout-terrain, sur tous les plans : militaire, politique, diplomatique, communicationnel. Bref, en 20 ans, ils ont appris la leçon. Et ils ont appris l’anglais. Ils le parlent, mal, mais on les comprend. Un adjectif revient souvent : « inclusive », inclusif. Ils vont inclure tout le monde dans l’Afghanistan des années 2020 : les femmes, les minorités, et même les salopards collabos qui sont partis avec la caisse, dans le genre Nour ou Dostom, et, pourquoi pas, même le petit Massoud du Panshir. Bref, désormais les Talibans vont raser gratis.

En regardant les reportages et documentaires produits sur l’Afghanistan depuis 30 ans, une chose m’a frappé : les moudjahidine des montagnes ont l’air de hippies des années 1960 et 1970, avec leurs barbes, leurs longues chevelures passées au henné et leurs yeux enkhôlés. Ils sont timides, réservés et méfiants au premier contact, mais, une fois le contact établi, se montrent chaleureux et fraternels. Un vrai rêve de gay californien. Peace and Love plus kalash, 4X4, youtube et talkie-walkie. Il ne reste plus qu’à attendre la série Netflix Love in Hindukush, dont une conséquence logique devrait être une décision de la Banque Mondiale et du FMI d’octroyer un prêt consistant à l’Émirat islamique pour la reconstruction du cimetière des empires. Nous vivons vraiment une époque formidable.

Kaboul, 1971. Photos, Jack Garofalo/Paris Match via Getty Images

Edité par María Piedad Ossaba

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