Pénurie de masques : chronique d’un mensonge

La volte-face de l’exécutif sur la protection du visage révèle les duperies du pouvoir macroniste dans la gestion de la crise. La pénurie a été dissimulée derrière des consignes sanitaires irresponsables. Retour sur un véritable scandale.

Gouverner, c’est prévoir. Et, sur ce sujet, le gouvernement ne peut plus se voiler la face. Depuis deux mois, il a délibérément menti pour étouffer le scandale de la pénurie. « Il n’y a pas besoin d’un masque quand on respecte la distance de protection vis-à -vis des autres », expliquait, mi-mars, la porte-­parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, argumentant laborieusement : « Je ne sais pas utiliser un masque (…) ce sont des gestes techniques. » Des « éléments de langage » fantasques déclinés sur tous les tons. « Il faut sortir de ce fantasme autour des masques, explique également la ministre Agnès Pannier-Runacher, le 19 mars. Respecter une distance de plus d’un mètre, c’est beaucoup plus efficace qu’un masque. Et, surtout, on a des cas de contamination de gens qui portent des masques et le tripotent toute la journée. » Un raisonnement repris par le premier ministre lui-même devant la mission d’information parlementaire, mercredi dernier. « Il n’y a pas de preuve que le port du masque dans la population apporterait un bénéfice. Ce serait même plutôt le contraire, à cause d’une mauvaise utilisation », a osé Édouard Philippe devant les parlementaires.

https://www.humanite.fr/sites/default/files/styles/1048x350/public/images/74115.HR.jpg?itok=mCU0XQTCEn visite dans une usine, le 31 mars, Emmanuel Macron a tenté de démontrer qu’il était aux manettes pour doper la production nationale de masques… Loïc Venance/Pool/AFP

Deux jours plus tard, l’Académie de médecine prend le pouvoir macroniste de court et met fin à l’omerta en demandant que le port d’un masque « grand public » ou « alternatif » aux masques médicaux soit rendu obligatoire pour les sorties pendant la période de confinement et lors de sa levée. Jérôme Salomon, le directeur général de la santé, lui emboîte le pas. « Nous encourageons le grand public, s’il le souhaite, à porter des masques, en particulier ces masques alternatifs qui sont en cours de production ! » lance-t-il lors de son point presse quotidien, contredisant le discours officiel tenu jusqu’ici par les ministres à longueur d’antenne. Alors, pourquoi avoir attendu si longtemps, au risque de nouvelles victimes, pour consentir à ce changement de cap ?

Cette préconisation sanitaire du masque pour tous figurait pourtant noir sur blanc dans un rapport publié en mai 2019 par Santé publique France. « En cas de pandémie, le besoin en masques est d’une boîte de 50 masques par foyer, à raison de 20 millions de boîtes en cas d’atteinte de 30 % de la population » y est-il clairement écrit. Une recommandation qui n’a pas été suivie d’effet. Pour la simple et bonne raison que, dès le mois de janvier, le gouvernement savait qu’en cas de pandémie, il n’y aurait pas assez de masques pour répondre aux demandes. Empêtré dans ses mensonges, l’exécutif se retrouve alors face à une double contrainte : gérer la crise à coups de commandes précipitées et chaotiques, et tenter de camoufler politiquement cette pénurie qui aurait pu être évitée. Les ministres se gardent bien, d’ailleurs, de prononcer le mot, évoquant des « tensions » sur le marché mondial ou des « manques avérés ». « Il n’y a pas de sujet de pénurie », insiste Jérôme Salomon, le 26 février.

Un choix délibéré de cacher la vérité

Un mois plus tôt, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, assurait que « des dizaines de millions de masques (étaient) en stock, en cas d’urgence », et que « tout cela (était) parfaitement géré par les autorités ». « Et si un jour il fallait porter un masque, ajoutait-elle, alors nous distribuerions le masque, il n’y a absolument aucune raison d’aller en acheter ». En coulisses, c’est la panique. L’exécutif sait que s’ouvre une course contre la montre pour importer et produire des milliards de masques. Mais la gestion des commandes par les différents services concernés s’avère chaotique, avec des commandes tardives en trop faibles volumes et une coordination hasardeuse. Pendant ce temps, au front, les soignants découvrent effarés que la France ne dispose pas de stocks suffisants pour faire face à l’épidémie. Des médecins portent plainte contre l’État. Pas de quoi intimider le gouvernement, qui s’enferre dans ses mensonges. Le 17 mars, le nouveau ministre de la Santé, Olivier Véran, affirme avec morgue que « nous avons assez de masques aujourd’hui pour permettre aux soignants d’être armés face à la maladie et de soigner les malades ». C’est une tout autre histoire, tragique, qui s’écrit au même moment dans les hôpitaux et Ehpad.

Le gouvernement s’était pourtant targué de jouer la transparence

Ce jour-là, Olivier Véran lâche le chiffre fatidique : « 110 millions de masques » seraient disponibles dans les stocks de l’État. Il y en avait plus d’un milliard, dix ans plus tôt. Alors comment expliquer cette disette ? Le tournant dans la gestion des stocks date du quinquennat Hollande. En 2013, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, décide de supprimer les stocks de l’État et de transférer cette compétence aux employeurs, qu’ils soient publics ou privés. En 2015, un rapport sénatorial juge la situation « catastrophique » et préconise que l’État conserve ses stocks stratégiques. Il n’en sera rien et la confiance aveugle dans la production chinoise accéléra la catastrophe.

Mais, au lieu de jouer la transparence, comme il s’y était pourtant formellement engagé devant les Français, et de mettre sur la table la réalité de cette pénurie, l’exécutif choisit de cacher la vérité sous une communication indigente. Lors de sa visite d’une usine de masques du Maine-et Loire, mardi 31 mars, pour tenter de redorer son blason et démontrer qu’il était aux manettes pour doper la production nationale, Emmanuel Macron a dénoncé les « irresponsables » qui en sont « déjà à faire des procès, alors que nous n’avons pas gagné la guerre ». Une étrange manière de qualifier les interventions de l’opposition parlementaire, dont le devoir est d’interroger les choix politiques censés être pris dans l’intérêt général.

Hier, face au tollé provoqué par ce changement de discours sur le port du masque, Olivier Véran a encore une fois noyé le poisson. Interrogé par l’opposition sur ce « flottement », le ministre de la Santé s’est contenté de répondre que la question restait « ouverte ». « À mesure que les recommandations scientifiques évoluent, nous sommes amenés nous-mêmes à nous réinterroger », a poursuivi le ministre. Celles de l’Académie de médecine et du directeur général de la santé sont pourtant on ne peut plus claires.

Rachel Prizac

Source: L’Humanité, le 8 avril 2020