Équateur et Chili : l’échec du discours de la réussite

par Emilio Cafassi, Noam Chomsky, Jorge Majfud et Manuel Castells

Comment une infime minorité de 1% peut-elle continuer, décennie après décennie, à accumuler plus de richesse que les 99%  restants d’une société ? Ceux qui l’ont fait, eux, le savent assez bien :1) par une propagande massive et omniprésente, invisible mais réelle, comme le CO2 qui augmente dans l’atmosphère, et 2) par le harcèlement politique, économique et militaire en tout genre pour distraire le public de ce qu’on est en train de lui faire réellement.

Une autre manière est de lier divers objets de querelles et postulats sans rime ni raison : la religion des armes et l’amour de la religion, l’avortement et les réductions d’impôts pour les plus riches, la négation du changement climatique et la haine des immigrants, la libre circulation des capitaux et le patriotisme, etc.

De cette façon, le 1% continue de récolter les fruits de toute une société et de toute une histoire, avec le soutien nécessaire d’une élite créole dominante ou même (quand il y a une élection) d’un nombre significatif de ceux qui n’appartiennent pas à ce 1% .

Ainsi, en Amérique latine, les options néolibérales, quand elles ont échoué, l’ont fait à cause d’erreurs propres, et surtout, à cause du criminel blocus économique imposé par la superpuissance mondiale. Cela quand ils n’ont pas eu recours aux coups d’État militaires plus classiques pour défendre la liberté du capital de la minorité créole (classiste et raciste) alliée aux transnationales les plus puissantes.

Ainsi, d’autre part, en Amérique latine, les impositions néolibérales ont échoué malgré les inondations répétées de capitaux, sous forme de crédits de plusieurs millions de dollars, qui n’ont apporté ni progrès ni développement aux pays « bénéficiaires », mais plutôt des dettes massives et plus de pauvreté.

Pour le néolibéralisme, seule la réussite économique compte comme succès. Toutefois, ce mythe de la réussite économique n’a pas réussi, même dans les économies des pays colonisés par ce même  mythe. Au contraire, on insiste sur « l’échec avéré » des autres options, en pointant du doigt les pays harcelés, bloqués et en ruines, ce qui est un modèle d’action et de narration politique.

L’Amérique latine fait partie de cette vague que, faute d’un meilleur terme, on tend à appeler néolibéralisme. C’est une vague qui balaie, brûle et détruit la moindre mesure mise en place pour défendre la société et l’environnement jusqu’à mettre en danger la survie même de la planète. C’est une vague dont les conséquences économiques et sociales se répètent de manière cyclique sous nos yeux dans tout le continent.

Bien que ces jours-ci l’attention se concentre surtout sur le honteux état d’urgence imposé en Equateur et l’importante répression qui a suivi des mobilisations contre les mesures antipopulaires du gouvernement de Lenin Moreno, une grande majorité de pays vivent dans un état de menace permanente et d’incertitude alors que les investisseurs font pression, menacent et augmentent leurs profits.

Nous ne devons pas éluder le fait qu’au moment où nous écrivons ces lignes, le gouvernement équatorien continue à répondre par plus de morts, blessés, détenus et en rendant l’avenir incertain par l’imposition de la censure et du couvre-feu. Mais les mobilisations qui commencent à résister à cette crise humanitaire, produit des politiques adulatrices de la puissance mondiale et génératrices de misère, s’étendent du nord au sud. Comme en Colombie (siège du plus grand nombre de bases militaires usaméricaines dans l’hémisphère et siège du narcotrafic mondial et des paramilitaires impunis), où le seul processus de paix concret proposé en cinquante ans se heurte à une opposition. Comme au Pérou, où l’ignorance identique et mutuelle entre les deux pouvoirs fondamentaux de l’État (exécutif et législatif) est considérée comme une question constitutionnelle discutable, alors qu’au Venezuela (ce manifeste ne doit pas être vu comme un soutien à son gouvernement) la mafia hégémonique appelle à l’intervention militaire. L’Argentine fourmille de piquets et barrages routiers face à l’accélération exponentielle de la pauvreté et l’endettement soudain, tandis qu’au Chili et au Brésil, les inégalités sociales, l’absence de protection, le trafic de drogue et la violence civile et policière continuent de s’aggraver et menacent de contagion des pays comme l’Uruguay.

Différents processus électoraux sont prévus en Argentine, en Bolivie et en Uruguay dans ce qui reste de cette annéee. D’autres suivront dans les années à venir. Le clivage est entre le récit du 1% (l’autoritarisme des élites, le militarisme réactionnaire, la haine des racistes, des nationalistes, des classes, la hargne du sexisme acharné, le néo-médiévalisme, la destruction de l’environnement en échange d’une poignée de dollars) et la construction d’une démocratie progressiste, solidaire et non-consumériste qui mette l’accent sur l’être humain au lieu de la richesse de quelques-uns au détriment de tous. Une société capable de construire un monde pour tous et pas seulement pour une minorité choisie par un dieu qui ne l’a jamais choisie.

Various Authors – Autores varios – Auteurs divers- AAVV-d.a.

Original: The failed ethos of success: Chile, Ecuador

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Source: Tlxcala, le 24 octobre 2019

Traductions disponibles: Español