Tunisie : Le comité de défense de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi tire à boulets rouges sur Ennahdha

Cette deuxième onde de choc en quelque mois poussera à nouveau les Tunisiens dans la rue dans un contexte politique tendu dont sera issu le Quartet du dialogue national, prix Nobel de la paix 2015.

Plusieurs documents relatifs à ces affaires auraient été volés du ministère de l’Intérieur et auraient été retrouvés chez un militant chargé de la veille médiatique d’Ennahdha

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Le comité de défense de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi a tenu, mardi 2 octobre, une conférence de presse, durant laquelle il est revenu sur les circonstances de l’assassinat des deux militants de gauche, sous le thème: “L’organisation spéciale du mouvement Ennahdha après la révolution et sa relation avec les assassinats politiques: Des vérités révélées pour la première fois”.

Selon l’avocat Ridha Raddaoui, plusieurs documents relatifs à ces affaires auraient été volés du ministère de l’Intérieur et auraient été retrouvés chez un moniteur d’auto-école, à El Mourouj qui répond au nom de Mustapha Khedher. Ce dernier serait “le président des opérations spéciales d’Ennahdha”, un groupe oeuvrant pour le compte du parti et impliqué dans les assassinats de Belaid et Brahmi.

Mustapha Khedher a fait partie du groupe impliqué dans la purge opérée par Ben Ali contre des hauts cadres de l’armée et a été décoré par l’ancien président de la République Moncef Marzouki, a indiqué le comité de défense, ajoutant que celui-ci a eu de nombreuses communications avec Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, mais également avec certains dirigeants du parti à l’instar de Noureddine Bhiri et de Rafik Bouchleka.

Ce dernier a été chargé de recueillir des informations sur des cadres sécuritaires, des juges, et des membres de l’armée a indiqué le comité de Défense.

Toujours selon la même source, Mustapha Khedher aurait eu des liens avec les services de renseignements italiens afin de faire relâcher un journaliste capturé en Syrie par le Front Al Nosra. Une fois le journaliste relâché, celui-ci aurait bénéficié des largesses desdits services qui lui auraient donné certaines informations concernant la Tunisie. Parmi ces informations figurent une rencontre prévue entre leurs services et Béji Caid Essebsi en 2013 lors de la manifestation d’Errahil [“Dégage”, mouvement pour exiger la démission du gouvernement de la troïka, après l’assassinat de Belaid, Note de Tlaxcala], ce qu’il aurait encouragé. 

Selon le comité de défense, Béji Caid Essebsi, alors président de Nidaa Tounes, aurait garanti aux services secrets italiens que s’il arrivait au pouvoir, les compagnies pétrolières italiennes ne seraient pas inquiétées.

L’homme en question a été arrêté avant d’être relâché le 8 septembre dernier après des pressions d’Ennahdha, a expliqué le comité.

D’autres documents ont été volés d’un dossier pénal comme confirmé par plusieurs agents du ministère de l’Intérieur, a ajouté Ridha Raddaoui, expliquant qu’il existe une “chambre noire”, inaccessible, au sein dudit ministère qui contiendrait des documents dangereux et pouvant faire la lumière sur ces assassinats: “Le directeur des archives à l’époque nous avait refusé l’accès (…) tout comme ses successeurs”, a regretté le comité de défense.

“Ce qui est certain, c’est que des partis politiques sont impliqués”

Évoquant les liens entre ce militant d’Ennahdha et les Frères musulmans en Égypte, le comité de défense affirme qu’il espionnait de nombreuses ambassades au profit de services de renseignements étrangers : il aurait ainsi espionné l’ambassade U.S en Tunisie, mais également celle d’Algérie.

“Il y a un appareil sécuritaire complet rattaché à Ennahdha qui exerce dans la clandestinité aujourd’hui”, a-t-il ajouté, affirmant que celui-ci a récupéré de Ben Ali ce qui se faisait de meilleur en matière d’espionnage en apprenant à ses membres l’espionnage à distance notamment via l’usage de voitures.

“Ennahdha a fait des sessions de formation en espionnage et contre-espionnage à ses adhérents”, a affirmé Ridha Radaoui, ajoutant que celles-ci ont été assurées par un ancien cadre sécuritaire de Ben Ali. 

“Nous avons tout fait pour contacter le ministre de l’Intérieur avant cette conférence de presse mais malheureusement, il n’a pas voulu répondre ni à nos appels, ni à nos SMS. Ceci est un indicateur important de la politique de notre gouvernement que nous considérons comme otage du parti que nous avons aujourd’hui directement accusé (à savoir Ennahdha), qui dispose d’un appareil (sécuritaire) propre à lui qui est impliqué dans ces assassinats”, a continué à expliquer le comité.

“Nous faisons porter au ministre de l’Intérieur sa responsabilité par rapport à ce qui s’est dit aujourd’hui. Nous faisons porter à ce gouvernement sa responsabilité dans la divulgation des documents pour que la vérité soit diffusée”, a-t-il conclu.

Chokri Belaid, Secrétaire général et porte-parole du Mouvement des patriotes démocrates, a été assassiné le 6 février 2013 devant son domicile. Il avait à de nombreuses reprises critiqué le parti Ennahdha lui reprochant d’être derrière les mouvements islamistes extrémistes en Tunisie.

Son assassinat avait entrainé une onde de choc dans le pays où les manifestations se sont succédées poussant le chef du gouvernement d’Ennahdha Hamadi Jebali à présenter sa démission.

Quelques mois après, le 25 juillet 2013, le Coordinateur général du Mouvement du peuple, Mohamed Brahmi, est à son tour assassiné devant son domicile.

Cette deuxième onde de choc en quelque mois poussera à nouveau les Tunisiens dans la rue dans un contexte politique tendu dont sera issu le Quartet du dialogue national, prix Nobel de la paix 2015.

Note de Tlaxcala: le parti Enahdha a répondu à ces révélations par un communiqué de 5 phrases niant tout et accusant le “Front populaire” (dont faisaient partie les deux dirigeants assassinés) d’avoir pour “seul programme d’investir dans le sang des martyrs afin de dissimuler son récent échec électoral et son incapacité à présenter des programmes sérieux au peuple tunisien”.

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