Le pont Morandi, important viaduc autoroutier de Gênes géré par une société privée, s’est écroulé le 14 août, en provoquant plus de 40 victimes. La cause probable est un effondrement structurel, dont les signes ont cependant été ignorés pendant des années.
« C’est une image apocalyptique, on dirait qu’une bombe est tombée sur cette artère vitale » : c’est ainsi qu’un journaliste décrivait le pont Morandi qui venait de s’effondrer à Gênes, emportant la vie des dizaines de personnes. Des mots qui évoquent d’autres images, celles de la quarantaine de ponts détruits en Serbie par les bombardements de l’OTAN en 1999, dont le pont sur la Morava méridionale où deux missiles ont frappé un train en tuant ses passagers.
Pendant 78 jours, 1 100 avions, décollant principalement des bases italiennes mises à disposition par le gouvernement D’Alema, ont fait 38 000 sorties, larguant 23 000 bombes et missiles. Les structures et infrastructures de la Serbie furent systématiquement détruites, provoquant des milliers de victimes civiles.
54 avions italiens prirent part aux bombardements, effectuant 1378 sorties, attaquant les objectifs établis par le commandement USaméricain. « En nombre d’avions, nous étions les deuxièmes derrière les USA. L’Italie est un grand pays et on ne doit pas être surpris de son engagement dans cette guerre », avait déclaré D’Alema.
Le pont de Novi Sad, bombardé par l’OTAN en mars 1999
L’ année même où il participait à l’anéantissement de l’État yougoslave, le gouvernement D’Alema démantelait l’entreprise publique Società Autostrade (qui gérait aussi le pont Morandi), en cédant une partie à un groupe d’actionnaires privés et vendant le reste en bourse.
Le pont Morandi s’est effondré pour l’essentiel en raison d’un système basé sur le profit, celui-là même sur lequel reposent les puissants intérêts représentés par l’OTAN.
Doigts pointés, par Arend van Dam, Pays-Bas
Le rapprochement entre les images du pont Morandi effondré et celles des ponts serbes bombardés, qui à première vue peut sembler artificiel, est en fait bien fondé. Tout d’abord, la vision atroce des victimes ensevelies par l’effondrement devrait nous faire réfléchir sur la réalité horrible de la guerre, que les grands médias nous ont montrée comme une sorte de jeu vidéo guerrier, avec le pilote qui cadre le pont dans son viseur et le missile télécommandé qui le pulvérise.
En second lieu, il convient de rappeler que la Commission européenne a présenté le 28 mars un plan d’action qui prévoit le renforcement des infrastructures de l’UE, y compris les ponts, non pas pour les rendre plus sûrs pour le trafic civil, mais plus adaptés à la circulation des véhicules militaires (voir dans Il Manifesto du 3 avril 2018).
Le plan a été décidé en réalité par le Pentagone et l’OTAN, qui ont demandé à l’Union européenne d’« améliorer les infrastructures civiles afin qu’elles soient adaptées aux besoins militaires », de manière à pouvoir déplacer le plus vite possible des chars, des canons automoteurs et d’autres armements lourds d’un pays européen à un autre pour faire face à « l’agression russe ».
Par exemple, si un pont n’est pas en mesure de supporter le poids d’une colonne de chars, il devra être renforcé ou reconstruit. D’aucuns diront que le pont deviendra ainsi plus sûr même pour les véhicules civils. Mais la question n’est pas si simple. Ces améliorations ne seront réalisées que sur les itinéraires d’importance vitale pour le trafic militaire, et les coûts induits énormes seront à la charge de chacun des pays, qui devront détourner des ressources destinées à l’amélioration de l’ensemble des infrastructures.
Il est prévu que l’UE fournisse une contribution financière à hauteur de 6,5 milliards d’euros, mais – selon Federica Mogherini, responsable de la « politique de sécurité » de l’UE – rien que pour « assurer l’adaptation des infrastructures d’importance stratégique aux besoins militaires ».
Le temps presse : en septembre, le Conseil européen devra préciser (sur l’indication de l’OTAN) quelles infrastructures doivent être renforcées pour permettre le passage du trafic militaire. Le pont Morandi y figurera-t-il aussi, reconstruit pour permettre aux chars US/OTAN de circuler en toute sécurité au-dessus de la tête des Génois ?
Manlio Dinucci
Original: Ponti crollati e ponti bombardati
Traduit par Jacques Boutard
Edité par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي
Traductions disponibles : English Türkçe Español Deutsch Português/Galego
Source : Tlaxcala, le 19 septembre 2018