Au cours de son allocution télévisée du 12 juillet 2021, Emmanuel Macron a affirmé vouloir « réconcilier la croissance et l’écologie de production ». Innovation sémantique dénuée de sens, ce terme vise à disqualifier les pensées écologistes qui veulent au contraire poser des limites, sociales et écologiques, à la production. Macron, qui veut sauver la croissance quoi qu’il en coûte, n’en veut pas.
Voilà une innovation. Au moins sémantique. Au détour d’une phrase portant sur la grandeur que la France doit retrouver (extrait ci-dessous), Emmanuel Macron a annoncé vouloir « réconcilier la croissance et l’écologie de production », sans pour autant préciser le contenu donné à cette « écologie de production ». Comme si ce terme était connu de toutes et tous, comme si c’était une notion, un concept ou un paradigme qui fait sens et qui serait déjà installé dans le paysage. Il n’en est rien.
Macron invente « l’écologie de production » pour disqualifier les pensées écologistes
Une innovation sémantique
A la différence de l’écologie industrielle, de l’économie environnementale, de l’économie écologique, ou encore du développement durable et de la décroissance, qui font toutes référence à des écoles de pensée plus ou moins structurées, « l’écologie de production » ne renvoie à rien de précis. Ni à une notion ou un concept élaboré dans l’une des sphères de réflexion sur l’économie ou l’écologie. Encore moins à un courant de pensée.
« Ecologie de production » est clairement une innovation sémantique. Il nous faut donc nous y arrêter : quelle en est la signification ? Quel(s) en sont les objectif(s) ? Pourquoi l’utiliser maintenant ? Puisque nous n’avons ni référence académique ni explication du terme par Emmanuel Macron lui-même et que, sauf erreur, il n’avait d’ailleurs jamais été utilisé jusqu’ici par le Président de la République, voici quelques toutes premières remarques.
Notons d’abord qu’Emmanuel Macron n’abandonne pas purement et simplement le terme « écologie » : dans une intervention télévisée dont ce n’était pas l’objet, il aurait pu se limiter à promouvoir la « croissance verte » ou affirmer qu’une « production écologique » est possible. Autant de formules discutables, mais finalement très classiques. Ce n’est pas ce qu’il a décidé.
Un terme dépourvu de sens
Non, par le terme « écologie de production », il prétend se positionner clairement dans le monde intellectuel et politique de l’écologie tout en se démarquant des autres écoles de pensée. Il entend ainsi incarner une écologie « alternative », celle de la « production », et imposer une ligne de démarcation opposant une « écologie de production » à une écologie qui ne serait pas « de production », à une écologie qui ne viserait pas la production.
Il nous faut d’abord dire qu’une telle dichotomie est totalement absconse. Il n’existe pas une seule école de pensée de l’écologie qui voudrait abandonner toute forme de production et qui ne viserait pas la production d’un certain nombre de biens et services pour satisfaire des besoins humains vitaux. Cela n’aurait aucun sens : même la cueillette de plantes sauvages nécessite travail et outils et s’apparente à une forme de production. Le concept « d’écologie de production » comme moyen de se démarquer d’autres écoles de pensée de l’écologie est donc d’abord dépourvu de sens.
Disqualifier les pensées écologistes qui interrogent le contenu de la production
Il ne faut néanmoins pas s’arrêter là. Toutes les écoles de pensée « écologistes », y compris leur transcription politique, ont en effet en commun de questionner, de façon plus ou moins frontale et radicale, le contenu, la quantité et la qualité de la production : du développement durable aux théories de la décroissance, on retrouve, sous des formes variées une mise en cause de la production actuelle, qu’elle soit industrielle, agricole ou de services. On y retrouve aussi la volonté de transformer ses soubassements matériels et son organisation qui sont jugés, à raison, comme insoutenables, tant sur le plan écologique que social
Ces différentes écoles de pensée élaborent donc des propositions – qu’il ne s’agit pas ici de discuter – visant à transformer l’organisation, le contenu, la qualité et la quantité de la production pour rendre celle-ci compatible avec les objectifs de développement durable et/ou les limites de la planète : à des ressources limitées doivent correspondre une production revisitée. En utilisant le terme « d’écologie de production » plutôt que chercher à qualifier le type de « production » qu’il souhaite pour la France, Emmanuel Macron veut créer une dichotomie artificielle pour disqualifier toutes ces propositions qui visent à tenir compte des limites de la planète.
Refuser d’insérer la production dans des limites sociales ou écologiques
Avec ce terme « d’écologie de production », Emmanuel Macron veut combattre frontalement ce que les différentes approches écologistes ont en commun : réinsérer la production de biens et services dans des limites, sociales et écologiques, via des normes sur les processus de production ou les produits finis ou des restrictions sur les quantités. Macron ne veut pas de ces limites. Il veut d’abord produire avant d’éventuellement interroger le contenu de cette production, et donc les besoins auxquels elle est sensée répondre.
Ce que confirme précisément le fait d’affirmer vouloir « réconcilier la croissance et l’écologie de production » : Macron met ainsi à distance toutes les analyses, critiques et propositions visant à interroger ce qu’il faut produire, comment il faut le produire, et pour satisfaire quels besoins. Poser comme non négociable le fait d’obtenir un « PIB en croissance », alors que cet indicateur ne tient pas compte de l’impact environnemental des processus de production, pas plus qu’il permet de discriminer entre la satisfaction d’un besoin vital et une consommation ostentatoire, vise à disqualifier tous les propos qui ont pour objectif d’en interroger le contenu.
Produire quoi qu’il en coûte et confier notre avenir dans les techs et les marchés
Qu’est-ce donc « l’écologie de production » ? D’abord de la production indiscriminée. D’abord de la production pour satisfaire des objectifs de croissance économique indifférenciés : d’une certaine façon, il s’agit de croître, quoi qu’il en coûte. Où est alors l’écologie ? Dans une confiance aveugle en l’innovation technologique et dans le transfert de la responsabilité aux consommateurs pour espérer réduire un tant soit peu les impacts de cette dite production sur la planète, ses ressources et les populations.
Ainsi le Président de la République peut parler « d’écologie de production » tout en se félicitant immédiatement (voir l’extrait) de la baisse des impôts de production et de l’impôt sur les sociétés qui vont profiter en premier lieu à certains des secteurs les plus nocifs pour la planète (énergies fossiles, finance, etc). Là où une politique écologique aurait discriminé les secteurs en fonction de leur impact écologique, « l’écologie de production » d’Emmanuel Macron soutient, sans ambages, des secteurs économiques qui aggravent la crise écologique.
Une continuité idéologique néfaste pour la planète et les populations.
Bien que vide de sens sur le plan académique ou intellectuel, le terme « d’écologie de production » utilisé par Emmanuel Macron fonctionne comme un oxymore où le deuxième terme a pour objectif de supplanter le premier : la production doit effacer l’écologie. Cette innovation sémantique incarne finalement assez clairement la continuité de la politique d’Emmanuel Macron en la matière depuis cinq ans (voir ici l’analyse de son programme ou ici une analyse du plan de relance) :
- faire de grandes déclarations sans objectif précis ; on se souvient du #MakeThePlanetGreatAgain en réponse à Donald Trump ;
- reporter à plus tard ce qui devrait être fait aujourd’hui dès qu’il s’agit de prendre des décisions qui vont toucher à la puissance des lobbys ou aux règles qui organisent l’économie mondiale ; on se souvient des exemples du CETA, du glyphosate, etc ;
- se conformer aux exigences des acteurs économiques et financiers ; la Loi Climat en est le dernier et plus abouti des exemples ;
- inciter les secteurs économiques les plus nocifs à agir sans les contraindre et sa ns les reconvertir d’urgence ; Total ou Engie sont ainsi encouragés, mais non contraints, à investir dans la transition énergétique ;
- ne surtout pas perturber le jeu économique et les droits acquis des acteurs économiques et ainsi faire confiance aux marchés ; le refus de conditionner les aides publiques à des objectifs sociaux, écologiques ou fiscaux en est l’illustration la plus emblématique.
- satisfaire les intérêts de la FNSEA ou des chasseurs plutôt que transformer l’agriculture et protéger les espèces menacées.
En guise de conclusion, « l’écologie de production » d’Emmanuel Macron consiste d’abord à laisser les forces économiques et les marchés décider de notre avenir et à intervenir à la marge pour laisser penser qu’on mène une politique écologique raisonnable. Dans les faits, c’est donc la croyance en un « Business As Usual » mâtiné de vert et de technologies innovantes pour résoudre les crises qu’ils ont contribué à aggraver.
Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015)
Emanuel Macron veut «réconcilier la croissance et l’écologie de production» © BFMTV
Retranscription écrite (intégralité du discours ici):
« Ce défi est de changer d’échelle (…) de redevenir une grande Nation de recherche, d’innovation, d’agriculture et d’industrie. Réindustrialiser. Réconcilier la croissance et l’écologie de production. Au niveau national, la baisse des impôts de production ainsi que celle de l’impôt sur les sociétés que nous avons décidées vont permettre d’accélérer ce mouvement. Au niveau européen, la présidence française de l’Union européenne, qui commencera le 1er janvier 2022, permettra de bâtir un agenda commun d’indépendance industrielle et technologique. »