Abolir le duo Banque mondiale/FMI et créer une nouvelle architecture internationale démocratique

Série : 1944-2024, 80 ans d’intervention de la Banque mondiale et du FMI, ça suffit !
En attendant, il faut amener des institutions comme la Banque mondiale et le FMI à rendre des comptes à la justice devant des juridictions nationales, exiger l’annulation des dettes qu’elles réclament et agir pour empêcher l’application des politiques néfastes qu’elles recommandent ou imposent.

Dignidad, autonomía, solidaridad, Ben Schumin

La Banque mondiale et le FMI ont 80 ans. 80 ans de néocolonialisme financier et d’imposition de politique d’austérité au nom du remboursement de la dette. 80 ans ça suffit ! Les institutions de Bretton Woods doivent être abolies et remplacées par des institutions démocratiques au service d’une bifurcation écologique, féministe et antiraciste. À l’occasion de ces 80 ans, nous republions tous les mercredis une série d’articles revenant en détail sur l’histoire et les dégâts causés par ces deux institutions.

  1. Autour de la fondation des institutions de Bretton Woods
  2. La Banque mondiale au service des puissants dans un climat de chasse aux sorcières
  3. Conflits entre l’ONU et le tandem Banque mondiale/FMI des origines aux années 1970
  4. SUNFED versus Banque mondiale
  5. Pourquoi le Plan Marshall ?
  6. Pourquoi l’annulation de la dette allemande de 1953 n’est pas reproductible pour la Grèce et les Pays en développement
  7. Domination des États-Unis sur la Banque mondiale
  8. Le soutien de la Banque mondiale et du FMI aux dictatures
  9. Banque mondiale et Philippines
  10. Le soutien de la Banque mondiale à la dictature en Turquie (1980-1983)
  11. La Banque mondiale et le FMI en Indonésie : une intervention emblématique
  12. Les mensonges théoriques de la Banque mondiale
  13. La Corée du Sud et le miracle démasqué
  14. Le piège de l’endettement
  15. La Banque mondiale voyait venir la crise de la dette
  16. La crise de la dette mexicaine et la Banque mondiale
  17. Banque mondiale et FMI : huissiers des créanciers
  18. Les présidents Barber Conable et Lewis Preston (1986-1995)
  19. L’opération de séduction de James Wolfensohn (1995-2005)
  20. La Commission Meltzer sur les IFI au Congrès des États-Unis en 2000
  21. Les comptes de la Banque mondiale
  22. De Wolfowitz (2005-2007) à Ajay Banga (2023-…) : les hommes du président des États-Unis restent à la tête de la Banque mondiale
  23. La Banque mondiale et le FMI ont jeté leur dévolu sur Timor Oriental, un État né officiellement en mai 2002
  24. Climat et crise écologique : Les apprentis sorciers de la Banque mondiale et du FMI
  25. L’ajustement structurel et le Consensus de Washington n’ont pas été abandonnés par la Banque mondiale et le FMI au début des années 2000
  26. Les prêts empoisonnés de la Banque mondiale et du FMI à l’Équateur
  27. Équateur : Les résistances aux politiques voulues par la Banque mondiale, le FMI et les autres créanciers entre 2007 et 2011
  28. Équateur : De Rafael Correa à Guillermo Lasso en passant par Lenin Moreno
  29. La Banque mondiale n’a pas vu venir le printemps arabe et préconise la poursuite des politiques qui ont produit les soulèvements populaires
  30. Le FMI et la Banque mondiale au temps du coronavirus : La quête ratée d’une nouvelle image
  31. La farce de la « prise en compte du genre » : une grille de lecture féministe des politiques de la Banque mondiale
  32. La Banque mondiale, le FMI et les droits humains
  33. Mettre fin à l’impunité de la Banque mondiale
  34. ABC Banque mondiale 2.0
  35. Abolir le duo Banque mondiale/FMI et créer une nouvelle architecture internationale démocratique

Cet article fait le bilan du FMI et de la Banque mondiale en proposant de les abolir (de même que l’OMC). Il s’agit de les remplacer par de nouvelles institutions qui mettent la priorité sur la satisfaction des droits humains fondamentaux, dans le cadre d’une nouvelle architecture internationale démocratique.

Sommaire
 32 thèses à charge de la Banque mondiale et du FMI
  1. Depuis leur création en 1944, la Banque mondiale et le FMI ont soutenu activement toutes les dictatures et tous les régimes corrompus du camp allié des États-Unis.
  2. Ils piétinent la souveraineté des États en violation flagrante du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes du fait notamment des conditionnalités qu’ils imposent. Ces conditionnalités appauvrissent la population, accroissent les inégalités, livrent les pays aux transnationales et modifient les législations des États (réforme en profondeur du Code du travail, des Codes miniers, forestiers, abrogation des conventions collectives, etc.) dans un sens favorable aux créanciers et « investisseurs » étrangers.
  3. Bien qu’ils aient détecté des détournements massifs, la Banque mondiale et le FMI ont maintenu, voire augmenté, les montants prêtés aux régimes corrompus et dictatoriaux alliés des puissances occidentales (voir le cas emblématique du Congo-Zaïre de Mobutu après le rapport Blumenthal en 1982).
  4. Ils ont aidé par leur soutien financier la dictature d’Habyarimana au Rwanda jusqu’en 1992, ce qui a permis de quintupler les effectifs de son armée. Les réformes économiques qu’ils ont imposées en 1990 ont déstabilisé le pays et exacerbé des contradictions latentes. Le génocide préparé depuis la fin des années 1980 par le régime d’Habyarimana est perpétré à partir du 6 avril 1994, faisant près d’un million de morts chez les Tutsis (et les Hutus modérés). Par la suite, la Banque mondiale et le FMI ont exigé des nouvelles autorités rwandaises le remboursement de la dette contractée par le régime génocidaire.
  5. Ils ont soutenu d’autres régimes dictatoriaux de l’autre camp (Roumanie de 1973 à 1982, Chine à partir de 1980) afin d’affaiblir l’URSS avant son implosion en 1991.
  6. Ils ont soutenu les pires dictatures jusqu’à ce qu’elles soient renversées. Exemples : le soutien emblématique à Suharto en Indonésie de 1965 à 1998, à Marcos aux Philippines de 1972 à 1986, à Ben Ali en Tunisie et à Moubarak en Égypte jusqu’à leur renversement en 2011.
  7. Ils ont activement saboté des expériences démocratiques et progressistes : de Jacobo Arbenz au Guatemala et de Mohammad Mossadegh en Iran dans la première moitié des années 1950, de Joao Goulart au Brésil au début des années 1960, aux sandinistes au Nicaragua dans les années 1980 en passant par Salvador Allende au Chili de 1970 à 1973. La liste complète est bien plus longue.
  8. La Banque mondiale et le FMI exigent des peuples, victimes des tyrans qu’ils financent, le remboursement des dettes odieuses que ces régimes autoritaires et corrompus ont contractées.
  9. De même, la Banque mondiale a exigé de pays qui ont accédé à l’indépendance à la fin des années 1950 et au début des années 1960 qu’ils remboursent les dettes odieuses contractées par les anciennes puissances coloniales pour les coloniser. Cela a été notamment le cas en ce qui concerne la dette coloniale contractée par la Belgique auprès de la Banque mondiale pour compléter la colonisation du Congo dans les années 1950. Rappelons que ce type de transfert de dettes coloniales est interdit par le droit international.
  10. Dans les années 1960, la Banque mondiale et le FMI ont soutenu financièrement des pays comme l’Afrique du Sud de l’apartheid et le Portugal qui maintenait sous son joug des colonies en Afrique et dans le Pacifique alors que ces pays faisaient l’objet d’un boycott financier international décrété par l’ONU. La Banque mondiale a soutenu un pays qui en avait annexé un autre par la force (annexion du Timor oriental par l’Indonésie en 1975).
  11. En matière d’environnement, la Banque mondiale poursuit le développement d’une politique productiviste et extractiviste désastreuse pour les peuples et néfaste pour la nature. Elle subventionne massivement la construction des centrales thermiques au charbon qui ont un effet désastreux au niveau de la pollution et du changement climatique. Elle a réussi en plus à se faire attribuer la gestion du marché des permis de polluer. La Banque mondiale finance également la construction de grands barrages qui produisent d’énormes dégâts environnementaux. Elle favorise le développement de l’agrobusiness contre l’agriculture paysanne, elle soutient l’utilisation massive de pesticides, d’herbicides, d’engrais chimiques responsables d’une perte dramatique de biodiversité et d’un appauvrissement des sols. La Banque mondiale favorise la privatisation et la commercialisation des terres au profit des grands propriétaires.
  12. La Banque mondiale finance des projets qui violent de manière flagrante les droits humains. Parmi les projets directement soutenus par la Banque mondiale, on peut mettre en exergue le projet « transmigration » en Indonésie (années 1970-1980) dont plusieurs composantes sont assimilables à des crimes contre l’humanité (destruction du milieu naturel de populations indigènes, déplacements forcés de populations). Dans les années 2000, la Banque mondiale a financé intégralement la mal nommée opération « départs volontaires » en RDC, un plan de licenciement qui viole les droits de 10 655 agents de la Gécamines, l’entreprise publique minière située au Katanga. Ces derniers attendent toujours le paiement de leurs arriérés de salaires et les indemnités prévues par le droit congolais.
  13. La Banque mondiale et le FMI ont favorisé l’émergence des facteurs ayant provoqué la crise de la dette qui a éclaté en 1982. En résumé : a) la Banque mondiale et le FMI ont poussé les pays à s’endetter dans des conditions menant au surendettement ; b) ils ont poussé, voire forcé les pays à lever les contrôles sur les mouvements de capitaux et sur le change, accentuant la volatilité des capitaux et facilitant ainsi fortement leur fuite ; c) ils ont poussé les pays à abandonner l’industrialisation par substitution d’importation au profit d’un modèle basé sur la promotion des exportations.
  14. Ils ont dissimulé les dangers qu’ils avaient pourtant eux-mêmes détectés (surendettement, crise de paiements, transferts nets négatifs…).
  15. Dès que la crise a éclaté en 1982, la Banque mondiale et le FMI ont systématiquement favorisé les créanciers et affaibli les débiteurs.
  16. La Banque mondiale et le FMI ont recommandé, voire imposé des politiques qui ont fait payer la facture de la crise de la dette aux peuples, tout en favorisant les plus puissants.
  17. La Banque mondiale et le FMI ont poursuivi la « généralisation » d’un modèle économique qui augmente systématiquement les inégalités entre les pays, et à l’intérieur de ceux-ci.
  18. Dans les années 1990, la Banque mondiale et le FMI, avec la complicité des gouvernants, ont étendu les politiques d’ajustement structurel à la majorité des pays d’Amérique latine, d’Afrique, d’Asie, d’Europe centrale et orientale (y compris la Russie).
  19. Dans ces derniers pays, les privatisations massives ont été réalisées au détriment du bien commun et ont enrichi de manière colossale une poignée d’oligarques.
  20. Ils ont renforcé les grandes entreprises privées et affaibli à la fois les pouvoirs publics et les petit·es producteurs/trices. Ils ont aggravé l’exploitation des salarié·es et les ont précarisés davantage. Ils ont fait de même avec les petit·es producteurs/trices.
  21. Leur rhétorique de lutte pour la réduction de la pauvreté cache mal une politique concrète qui reproduit et renforce les causes même de la pauvreté.
  22. Le discours de la Banque mondiale sur « l’égalité de genres » coincide en pratique avec des politiques qui renforcent certains aspects de la domination patriarcale. Les politiques financées par la Banque et par le FMI ont des conséquences néfastes sur les conditions de vie des femmes.
  23. La libéralisation des flux de capitaux qu’ils ont systématiquement favorisée a renforcé l’évasion fiscale, la fuite des capitaux, la corruption.
  24. La libéralisation des échanges commerciaux a renforcé les économies dominantes et fragilisé les économies dominées. La plupart des petit·es et moyen·nes producteurs/trices des pays en développement ne sont pas en mesure de résister à la concurrence des grandes entreprises, qu’elles soient du Nord ou du Sud.
  25. La Banque mondiale et le FMI agissent avec l’OMC et les gouvernements complices pour imposer un agenda radicalement opposé à la satisfaction des droits humains fondamentaux.
  26. Depuis que la crise frappe l’Union européenne, le FMI, à partir de 2010, a été en première ligne pour imposer aux peuples grec, portugais, irlandais, chypriote… les politiques qui ont été imposées préalablement aux peuples des pays en développement, à ceux d’Europe centrale et orientale dans les années 1990.
  27. La Banque mondiale et le FMI, qui prêchent la bonne gouvernance à longueur de rapports, couvrent en leur sein des agissements douteux.
  28. La Banque mondiale et le FMI ont contribué systématiquement à porter atteinte au service de santé publique. Cela a fortement affaibli la capacité des pouvoirs publics et des peuples à affronter des maladies traditionnelles comme la malaria ou la tuberculose ainsi que des épidémies nouvelles comme celle du Covid-19.
  29. Ces deux institutions maintiennent la plupart des pays en développement dans la marginalité bien qu’ils constituent la majorité de ses membres, privilégiant une poignée de gouvernements des pays riches.
  30. En résumé, la Banque mondiale et le FMI constituent des instruments despotiques aux mains d’une oligarchie internationale (une poignée de grandes puissances et leurs sociétés transnationales) qui renforce le système capitaliste international destructeur de l’humanité et de l’environnement.
  31. Il est nécessaire de dénoncer les agissements néfastes de la Banque mondiale et du FMI afin d’y mettre fin. Les dettes dont ces institutions réclament le remboursement doivent être annulées et ces institutions ainsi que leurs dirigeants doivent être traduits devant la justice.
  32. Il est urgent de construire une nouvelle architecture démocratique internationale qui favorise une redistribution des richesses et soutienne les efforts des peuples pour la réalisation d’un développement socialement juste et respectueux de la nature.

 Bâtir une nouvelle architecture internationale

Il faut opter pour des propositions qui redéfinissent radicalement le fondement de l’architecture internationale (missions, fonctionnement…). Prenons le cas de l’OMC, du FMI et de la Banque mondiale.
L’organisation qui remplacera la Banque mondiale devrait être largement régionalisée (des banques du Sud pourraient y être reliées), elle aurait pour fonction de fournir des prêts à taux d’intérêt très bas ou nuls et des dons qui ne pourraient être octroyés qu’à condition d’être utilisés dans le respect rigoureux des normes sociales et environnementales et, plus généralement, des droits humains fondamentaux. Contrairement à la Banque mondiale actuelle, la nouvelle banque dont le monde a besoin ne chercherait pas à représenter les intérêts des créanciers et à imposer aux débiteurs un comportement de soumission au marché-roi, elle aurait pour mission prioritaire de défendre les intérêts des peuples qui reçoivent les prêts et les dons.

Le nouveau FMI, quant à lui, devrait retrouver une part de son mandat originel pour garantir la stabilité des monnaies, lutter contre la spéculation, contrôler les mouvements de capitaux, agir pour interdire les paradis fiscaux et la fraude fiscale. Pour atteindre cet objectif, il pourrait contribuer, en collaboration avec les autorités nationales et des fonds monétaires régionaux (qu’il faut créer), à la collecte de différentes taxes internationales.

La nouvelle OMC devrait viser, dans le domaine du commerce, à garantir la réalisation d’une série de pactes internationaux fondamentaux, à commencer par la Déclaration universelle des droits humains et tous les traités fondamentaux en matière de droits humains (individuels ou collectifs) et d’environnement. Sa fonction serait de superviser et de réglementer le commerce de manière à ce qu’il soit rigoureusement conforme aux normes sociales (conventions de l’Organisation internationale du travail) et environnementales. Cette définition s’oppose de manière frontale aux objectifs actuels de l’OMC. Ceci implique bien évidemment une stricte séparation des pouvoirs : il est hors de question que l’OMC, comme d’ailleurs toute autre organisation, possède en son sein son propre tribunal. Il faut donc supprimer l’Organe de règlement des différends.

Toutes ces pistes requièrent l’élaboration d’une architecture mondiale cohérente, hiérarchisée et dotée d’une division des pouvoirs. La clef de voûte pourrait en être l’ONU, pour autant que son Assemblée générale en devienne la véritable instance de décision – ce qui implique de supprimer le statut de membre permanent du Conseil de Sécurité (et le droit de veto qui lui est lié). L’Assemblée générale pourrait déléguer des missions spécifiques à des organismes ad hoc.
Une autre question qui n’a pas encore fait suffisamment de chemin est celle d’un dispositif international de droit, d’un pouvoir judiciaire international (indépendant des autres instances de pouvoir international), qui complète le dispositif actuel comportant principalement la Cour internationale de La Haye et la Cour pénale internationale. Avec l’offensive néolibérale qui a commencé au cours des années 1970-1980, la loi du commerce a progressivement dominé le droit public. Des institutions internationales comme l’OMC et la Banque mondiale fonctionnent avec leur propre organe de justice : l’Organe de règlement des différends au sein de l’OMC et le CIRDI au sein de la Banque mondiale, dont le rôle a démesurément augmenté. La charte de l’ONU est régulièrement violée par des membres permanents de son Conseil de Sécurité. Nous avons souligné les limites du droit international et les violations systématiques de la Charte des Nations unies, notamment l’interdiction du recours à la force contenu en son article 2. Des nouveaux espaces de non-droit sont créés (les prisonniers sans droit embastillés à Guantanamo par les États-Unis). Les États-Unis, après avoir récusé la Cour internationale de La Haye (où ils ont été condamnés en 1985 pour avoir agressé le Nicaragua), refusent la Cour pénale internationale (CPI). Israël coupable de perpétrer un génocide contre le peuple palestinien rejette également la compétence de la CPI [1]. Tout cela est extrêmement préoccupant et requiert d’urgence des initiatives pour compléter un dispositif international de droit.

En attendant, il faut amener des institutions comme la Banque mondiale et le FMI à rendre des comptes à la justice devant des juridictions nationales, exiger l’annulation des dettes qu’elles réclament et agir pour empêcher l’application des politiques néfastes qu’elles recommandent ou imposent.

Note:

[1Le Monde, « Israël conteste officiellement la compétence de la Cour pénale internationale sur Gaza », 24 septembre 2024, https://www.lemonde.fr/international/article/2024/09/25/israel-conteste-officiellement-la-competence-de-la-cour-penale-internationale-sur-gaza_6333430_3210.html consulté le 30/10/2024

Eric Toussaint

Source CADTM, le 20 novembre 2024

Traductions disponibles: Español  English

Edité par María Piedad Ossaba