Lula réajuste la politique internationale du Brésil

L’air de renouveau brésilien, avec son impact géopolitique évident, se diffuse rapidement sur la scène internationale. La “grande diplomatie officielle” promue par Planalto (siège du gouvernement brésilien) a trouvé un nouvel allié : les mouvements sociaux brésiliens qui descendent à nouveau dans les rues transatlantiques, donnant une voix à une Amérique latine qui est normalement réduite au silence dans le Vieux Continent.

Le président Lula prend des mesures décisives pour actualiser la politique internationale de son pays. Depuis son investiture, en moins de quatre mois, il a replacé le Brésil au premier plan et s’est attaqué avec audace aux grandes questions de l’agenda mondial.

Le leadership diplomatique se reconstruit

Lula semble avoir réponse à toutes les grandes questions régionales et mondiales. Il a confirmé l’importance de l’Union des Nations Sud-américaines, ce qui signifie une relance immédiate de l’UNASUR, pratiquement enterrée par son prédécesseur Jair Bolsonaro. Il a repris contact à haut niveau avec tous les acteurs de la politique intérieure vénézuélienne. De plus, il envoie des signaux, d’un calibre et d’une intensité variables, sur presque toutes les questions complexes de la réalité latino-américaine actuelle.

En terme de “non-alignement”, dès le premier jour de son mandat, Lula s’est prononcé sur la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Dans la nouvelle philosophie internationale promue depuis Brasilia, tout est permis sauf se cacher.

Lula visite le centre de recherche de Huawei. Photos publiques

Mettant à jour le leadership reconnu de ses précédents gouvernements, le président brésilien a lancé la proposition d’un groupe de paix, recherchant des alliances au plus haut niveau et pariant sur une solution négociée au pire conflit armé qui ait frappé l’Europe depuis le début du siècle. Comme l’ont rappelé de nombreuses voix d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, cette guerre, non seulement favorise une plus grande instabilité mondiale et menace d’embraser la Terre, mais a déjà des répercussions dramatiques sur les nations “périphériques” du Sud, notamment en terme de prix des denrées alimentaires et de l’énergie, ainsi que de poussées inflationnistes.

Au cours de la deuxième semaine d’avril, Luiz Inácio da Silva s’est rendu en Chine, sans demander la permission à Washington ou à Bruxelles. À Pékin, il a participé à un sommet avec Xi Jinping et a tenu des réunions avec d’importants secteurs industriels et commerciaux. Avec ces derniers, il a négocié des accords qui favoriseront la réindustrialisation du Brésil. Comme le souligne une analyse de la version portugaise du Monde Diplomatique du 13 avril, “la Chine est le premier partenaire commercial du Brésil depuis 2009 et leur commerce bilatéral a atteint un record de 150 milliards de dollars en 2022, avec un excédent de 28,6 milliards de dollars pour le Brésil”.

Lula avec Xi Jinping lors de sa récente visite en Chine. Photo PT Brésil.

En outre, les deux pays viennent d’annoncer un nouvel accord visant à faciliter le commerce et l’investissement en monnaies locales, ce qui est considéré comme un coup dur porté à l’hégémonie du dollar. L’analyse du mensuel souligne que le président Lula est confronté à d’innombrables défis en ce début de mandat, mais que la coopération avec la Chine peut être stratégique pour le Brésil, en l’aidant à relever au moins trois défis majeurs : l’éradication de la faim et de l’extrême pauvreté (et la promotion et l’intensification de l’agriculture familiale), la réindustrialisation et, enfin, le retour du Brésil à un rôle géopolitique pertinent à l’échelle régionale et mondiale.

Au cours de sa visite en Chine, Lula a accompagné Dilma Rousseff lors de son investiture en tant que présidente de la Nouvelle Banque de Développement (NBD), au siège de cette dernière, à Shanghai. La NDB est un organisme multilatéral créé au milieu de la dernière décennie, avec la participation du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud (appelés “BRICS”). Elle cherche à devenir une alternative aux institutions dominées par l’Occident, telles que la Banque mondiale (https://www.ndb.int). Durant sa tournée, Lula a remis explicitement en question le rôle du dollar américain comme monnaie prédominante dans les échanges internationaux.

Lula et Dilma Rousseff lors de l’investiture du Président de la Nouvelle Banque de Développement Fotos Publicas

Le lundi 17 avril, au lendemain du retour de la délégation brésilienne de son voyage en Chine et aux Émirats arabes unis, Mauro Vieira, ministre brésilien des affaires étrangères, a reçu son homologue russe Sergueï Lavrov, qui entamait une tournée diplomatique en Amérique latine. Une fois de plus, Washington a haussé le ton et tenté – mais en vain – de désigner le Brésil et la Russie comme faisant partie du même camp dans la guerre contre l’Ukraine. Au cours des quatre derniers mois, les autorités brésiliennes ont insisté à plusieurs reprises sur la nécessité d’une solution pacifique, négociée et à court terme, à la confrontation russo-ukrainienne. Sans épargner les critiques à l’égard de certaines puissances occidentales qui continuent à encourager cette guerre, le message de la diplomatie brésilienne en faveur de la paix a été le même à Pékin que lors de la rencontre avec Lavrov, au Brésil même.

Le ministre russe des Affaires étrangères, M. Lavrov, arrive au Brésil Photos publiques

Pour clore cette première phase de son offensive internationale, le président Lula a atterri au Portugal le vendredi 21 avril, au début d’une visite de cinq jours dans la péninsule ibérique. Sa visite en Portugal et en Espagne a pour but de renforcer les relations du Brésil avec l’Union européenne, de signer des accords de coopération économique, de continuer à expliquer la logique de sa proposition de paix et , surtout, d’entériner son concept de non-alignement en se projetant, une fois de plus, comme une référence latino-américaine dans la diplomatie mondia

Diplomatie et solidarité

L’offensive diplomatique promue sur plusieurs fronts par le gouvernement Lula coïncide également avec une nouvelle dynamique dans l’arène internationale, promue à l’unisson par les mouvements populaires d’Amérique du Sud.

Fin mars et début avril, la tournée en Europe d’un membre de la direction nationale du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) a constitué une bouffée d’air frais pour les acteurs européens de la solidarité, favorisant un nouvel élan de soutien au processus engagé par le Brésil depuis le 1er janvier dernier.

En moins de deux semaines, le leader paysan João Paulo Rodrigues a visité les capitales de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne. Il a séjourné quatre jours en Suisse pour animer un intense programme d’activités.

João Paolo Rodrigues a été reçu par Pierre Yves Maillard_député national et président de l’Union syndicale suisse. Photo Sergio Ferrari

Point commun de cette tournée européenne : des rencontres de haut niveau avec des responsables politiques, parlementaires et syndicaux ; des échanges avec des représentants d’organisations non gouvernementales (ONG) et de la société civile ; des contacts étroits avec des groupes d'”amis” du MST et de la solidarité en général, ainsi que de nombreux contacts avec différents médias.

Après plusieurs années sans initiatives de ce genre, la visite de Rodrigues a relancé une dynamique d’échanges entre les mouvements populaires latino-américains et les acteurs sociaux progressistes du Vieux Continent. Cette tournée avait valeur de reconstruction de passerelles dans la perspective d’une relance et d’une globalisation de la solidarité.

Avec un agenda très serré, ce qui s’est passé en Suisse a été l’un des moments les plus emblématiques de cette tournée européenne du leader du MS

Un demi-pays, trois villes, des dizaines de contacts

De la France, il est arrivé en train à Lausanne, capitale du canton de Vaud, le 29 mars au soir. Il est parti de l’aéroport de Zurich/Kloten en Suisse le 2 avril pour Berlin, capitale de l’Allemagne. En trois jours, Rodrigues a parcouru près de la moitié de ce petit pays européen de 40’000 km2 et 9 millions d’habitants. Sa première activité à Lausanne – organisée par l’ONG de coopération solidaire E-CHANGER – lui a permis de rencontrer une douzaine de représentants de forces politiques et d’organisations syndicales. Y ont participé des responsables des partis Verts, Solidarités et POP, des représentants des syndicats de la fonction publique (SSP) et de la communication (SYNDICOM), ainsi que le Collectif d’organisation de la Grève Féministe suisse, prévue le 14 juin prochain. UNITERRE, une organisation paysanne suisse affiliée à Via Campesina, a également participé à la réunion, qui s’est déroulée avec un ordre du jour ouvert, intégrant un large éventail d’informations sur la situation brésilienne et régionale actuelle. Le même soir, un collectif de militants d’organisations de gauche de la ville universitaire de Fribourg a organisé une autre rencontre avec le leader du MST.

Les activités publiques se sont terminées le premier samedi d’avril, à Berne, par une rencontre organisée par le groupe régional de l’ONG E-CHANGER/Berne, en collaboration avec Novo Movimiento et Voz do Cerrado (tous trois activement présents avec des projets de solidarité au Brésil) et SYNDICOM. Plus de 70 personnes ont participé, ce qui, proportionnellement, compte tenu de la population de Berne et de São Paulo, signifierait une participation de 3’500 personnes à une activité similaire dans cette ville brésilienne. L’intérêt du mouvement de solidarité suisse pour le récit informatif et testimonial du MST, ainsi que pour son analyse de la situation latino-américaine et mondiale, était évident.

Le leader brésilien du MST a été accueilli par Andreas Missbach, directeur d’Alliance Sud, 3e de gauche à droite. Photo Sergio Ferrari

La veille, également dans la capitale suisse, l’agenda fut aussi intense que significatif. João Paulo Rodrigues a rencontré le directeur d’Alliance Sud, principale plate-forme de plaidoyer des plus importantes ONG suisses de développement (dont Caritas, Action de Carême, Aide protestante, Swissaid, Caritas, Solidar et Terre des Hommes). Un peu plus tard, à son propre siège, il a rencontré le président de l’Union syndicale suisse (USS), la principale confédération nationale de travailleurs avec près de 400’000 membres appartenant à 19 organisations syndicales différentes.

A l’issue des différentes activités suisses, Rodrigues fut invité à présenter son analyse politique lors d’une réunion dans la petite ville voisine de Münchenwiller. Ceci dans le cadre d’une rencontre des représentants syndicaux de la gauche suisse, dont une ancienne présidente de la Confédération, plusieurs députés et sénateurs nationaux, le président du Parti socialiste (troisième force parlementaire nationale), des dirigeants des Verts, ainsi que plusieurs présidents des plus importants syndicats suisses.

Une visite en Suisse très “marathonienne” : des rencontres, des échanges, des réflexions partagées, mais aussi de nouveaux défis de solidarité à relever. L’accent a été mis sur la nouvelle phase politique au Brésil et les futures relations entre ce géant sud-américain et l’Europe. Citons en particulier l’analyse des accords en cours de négociation entre le MERCOSUR et l’Union européenne, ainsi que celui entre le MERCOSUR et l’Association européenne de libre-échange, composée de la Suisse, du Liechtenstein, de l’Islande et de la Norvège.

De plus, à chaque réunion, les participants ont cherché à connaître la vision du MST sur la situation brésilienne et la réalité continentale et mondiale actuelle, sur les objectifs et les défis des mouvements populaires latino-américains, tels que la Via Campesina et la CLOC (Coordination latino-américaine des organisations rurales), ainsi que sur l’importance du Congrès national du MST prévu pour la mi-2024.

La réflexion et le débat sur la guerre entre la Russie et l’Ukraine ont déchaîné les passions au cours des réunions : confrontant l’analyse d’une bonne partie de la gauche européenne – alignée sur l’Ukraine – à la propre perception des mouvements sociaux latino-américains qui, bien qu’ils soient attachés au droit à la souveraineté des peuples et à la non-intervention, n’acceptent pas non plus le diktat de l’OTAN dans ce grave conflit de guerre.

L’air de renouveau brésilien, avec son impact géopolitique évident, se diffuse rapidement sur la scène internationale. La “grande diplomatie officielle” promue par Planalto (siège du gouvernement brésilien) a trouvé un nouvel allié : les mouvements sociaux brésiliens qui descendent à nouveau dans les rues transatlantiques, donnant une voix à une Amérique latine qui est normalement réduite au silence dans le Vieux Continent.

Sergio Ferrari & Beat ‘Tuto’ Wehrle depuisBerna, Suiza pour La Pluma

Original  Lula reajusta la política internacional de Brasil
Traduit par Rosemarie Fournier
Edité par María Piedad Ossaba