Équateur : Consultations populaires et référendums

Il ne fait aucun doute que ces procédés font partie des luttes politiques et sociales autour du pouvoir. Et de même que l’Équateur a connu d’autres périodes de type réformiste, progressiste et démocratique, il vit actuellement une période de récession où les élites oligarchiques et la bourgeoisie néolibérale s’accrochent au maintien de leur hégémonie par tous les moyens à leur disposition en s’emparant de l’État et de ses institutions.

Au cours du XIXe siècle, la « démocratie » équatorienne – comme dans toute l’Amérique latine – représentait un idéal éloigné des réalités sociales du pays. Celui-ci était soumis à l’emprise des familles de propriétaires terriens, de marchands et de banquiers, qui firent stagner la croissance économique et le développement du bien- être social. Dans ces conditions, il semble étrange que le président Gabriel García Moreno ait convoqué le premier référendum de l’histoire nationale afin d’approuver la Constitution de 1869. Il réussit à atteindre son but et la Constitution consacré le système conservateur, proclama la religion catholique comme seule religion reconnue par l’État et instaura l’obligation d’«être catholique » pour être citoyen.

Les 12 autres consultations populaires et référendums que l’Équateur a connus appartiennent à l’histoire contemporaine. Le 15 janvier 1978, un choix fut fait entre deux projets et la nouvelle Constitution l’emporta. Celle-ci entra en vigueur avec l’investiture de Jaime Roldós (1979-1981), premier président du long cycle « démocratique » du pays.

Cette Charte renforça les capacités de l’État, définit quatre secteurs de l’économie (privé, public, mixte et communautaire), fit reconnaître les ressources nationales stratégiques et garantit les droits individuels et sociaux.

Le 1er juin 1986, León Febres Cordero instaura le premier gouvernement oligarchique en faveur du patronat de cette époque. Par ailleurs, il demanda au peuple de se prononcer sur une seule question, afin que les «indépendants» puissent être candidats, sans exiger d’affiliation à un parti. Mais il fut battu, car les citoyens en faveur du NON se mobilisèrent pour exprimer leur rejet du gouvernement, qui était devenu un régime despotique et répressif.

Lors du référendum organisé par Sixto Durán-Ballén le 28 août 1994, la même question obtint un OUI sur 7 questions : la possibilité de réformes constitutionnelles, la limitation des pouvoirs du Congrès sur le budget et les fonds publics, l’élection des députés de l’assemblée nationale, la réélection et la possibilité d’acquérir une seconde nationalité. Le gouvernement, qui souhaitait consolider sa gestion, obtint un soutien.

Cependant, le 26 novembre 1995, le président Sixto Durán-Ballén poursuivit la politique économique néo-libérale née sous le régime de Léon Febres Cordero. Par conséquent, il fut confiant à l’idée d’obtenir le soutien populaire pour un nouveau processus de consultation portant sur 11 questions : le thème de la décentralisation, les ressources nationales, la paralysie des services publics, la dissolution du Congrès, les élections régionales et uninominales, la présidence du Congrès, les réformes du système judiciaire, la création de la Cour constitutionnelle, et surtout la possibilité de « privatiser » la sécurité sociale. Le pays rejeta toutes les questions, exprimant son refus de la voie néolibérale et oligarchique du dirigeant.

Le 25 mai 1997, le président intérimaire Fabián Alarcón eut recours à une consultation populaire au sujet de 13 questions. L’objectif de cette consultation était de faire durer son gouvernement après le renversement du régime corrompu de son prédécesseur Abdalá Bucaram; et ce malgré le fait que les questions portaient sur la possibilité d’une Assemblée constituante, la réglementation des partis politiques, l’intégration des organes de contrôle, la modernisation du pouvoir judiciaire et même l’adoption de la révocation du mandat.

Des années plus tard, le 26 novembre 2006, Alfredo Palacio consulta le peuple équatorien sur 3 questions vraiment inutiles. En effet, ces questions visaient en fin de compte à donner la priorité à l’investissement public dans la santé, ce que n’importe quel gouvernement décidé et efficace pouvait faire.

Rafael Correa convoqua 4 consultations populaires : d’abord  sur la tenue d’une Assemblée constituante le 15 avril 2007, puis pour l’approbation d’une nouvelle Constitution le 28 Septembre 2008. Il fut largement soutenu et une nouvelle Constitution vit le jour. Celle-ci ouvrit la voie à une économie sociale, un État pluriethnique et à de plus grandes garanties sociales. Cette Charte n’a jamais été du goût de la droite néolibérale, et aujourd’hui il y a même des secteurs qui demandent un retour à la Constitution de 1998.

Le gouvernement de Rafael Correa s’inscrivit dans la continuité du progressisme latino-américain du XXIe siècle. Il réalisa des investissements publics et améliora les conditions économiques et sociales du pays. Ces améliorations furent des réalisations reconnues dans les rapports des principales organisations internationales.

Le 7 mai 2011, il tint une autre consultation populaire portant sur 10 questions traitant de diverses matières pénales : l’interdiction aux entreprises financières de soutenir les entreprises de médias, les réformes du système judiciaire, l’interdiction des casinos et des jeux d’argent, ainsi que des spectacles impliquant la mort d’animaux, la loi sur les médias, le délit d’enrichissement illicite et la non-affiliation au système de sécurité sociale (IESS1) comme infraction pénale.

Et le 19 février 2017, l’unique question d’une autre consultation visant à interdire à ceux qui ont des biens ou des capitaux dans des paradis fiscaux d’occuper des fonctions électives, eut d’énormes répercussions, de même qu’il y eut une résistance de la part des élites. Dans toutes les consultations et référendums, les propositions du gouvernement ont remporté une victoire écrasante.

Eric Toussaint décrit le processus qui, en Équateur en 2007-2008, a conduit à l’adoption d’une nouvelle constitution. Interview réalisée par le cinéaste Pierre Carles et montée par Eleni Tsekeri,

Lenín Moreno opéra un changement radical dans la conduite de l’État par rapport à la décennie qui venait de s’écouler. Il mit fin aux acquis sociaux du gouvernement précédent, instaura une persécution sans précédent du «correisme2 » et restaura le modèle économique néolibéral, les liens de dépendance avec les capitaux étrangers et les politiques impérialistes.

Le 4 février 2018, il organisa une consultation populaire sur 7 questions : la sanction pour fait de corruption, le retour à un quinquennat non renouvelable, la restructuration du Conseil de la participation citoyenne et du contrôle social (CPCCS*) chargé de désigner les instances de contrôle, la prescription pour les crimes sexuels, l’interdiction de l’industrie minière dans les zones sensibles, l’abrogation de la loi sur la plus-value et la réduction des zones d’exploitation pétrolière. Le gouvernement obtint le soutien des citoyens.

Le triomphe à la présidence de Guillermo Lasso s’inscrit dans la continuité du gouvernement de Moreno. Celui-ci a définitivement consolidé un gouvernement néolibéral au service du patronat. Il fut soutenu par un bloc au pouvoir sans précédent grâce à l’hégémonie des grands groupes financiers et médiatiques et la domination des forces de la droite. Le dimanche 5 février 2023, le gouvernement de Lasso a appelé à un vote sur 8 questions.

Les questions portaient sur l’extradition, l’autonomie du ministère public, la réduction du nombre de députés de l’assemblée nationale, l’inscription des partis, les autorités de contrôle, la restructuration du CPCCS3, le sous-système de protection des eaux et la compensation pour le soutien à la production de services environnementaux. Le Non l’a emporté pour les 8 questions.

À la consultation populaire du 5 février dernier, les Équatoriens ont dit Non au banquier Lasso, contesté et devenu illégitime.

S’il est vrai que les consultations populaires et les référendums sont des mécanismes de démocratie directe, il est tout aussi indéniable que chaque gouvernement a cherché à consolider sa politique à son époque respective.

La volonté de réformer le pouvoir législatif a été réitérée, et ce afin d’avoir une plus grande influence sur ses décisions, mais aussi sur le pouvoir judiciaire et le système de justice, et même sur les organes de contrôle (inspection des Finances, Ministère public, Surintendances, Services de défense).

Dans plusieurs consultations populaires, non seulement le nombre de questions, mais aussi leurs « annexes », ont perturbé la conscience collective et ont dissimulé à l’ensemble de la population les véritables intentions et les répercussions des sujets consultés sur la vie du pays.

Il ne fait aucun doute que ces consultations populaires font partie des luttes politiques et sociales autour du pouvoir.

Et de même que le pays a connu d’autres moments de type réformiste, progressiste et démocratique, il vit actuellement une période de régression où les élites oligarchiques et les bourgeoisies néolibérales s’accrochent au maintien de leur hégémonie par tous les moyens à leur disposition en s’emparant de l’État et de ses institutions.

NdT

*Le CPCCS (Consejo de Participación Ciudadana y Control Social) est une entité autonome qui promeut et encourage l’exercice des droits liés à la Participation des Citoyens en prônant la transparence et l’éthique. Cette entité enquête sur les actes qui génèrent la corruption et affectent la participation ou l’intérêt public, nomme les autorités qui lui correspondent conformément à la Constitution et à la Loi pour le bien-être de la société civile. Elle joue également un rôle important dans la prévention et la lutte contre la corruption. Source : https://www.gob.ec/cpccs

Juan J. Paz y Miño Cepeda pour La Pluma, Équateur 6 février 2023

Original: Ecuador: Consultas y referendos

Traduit par Rafael Tobar

Révisé par Fausto Giudice

Édité par María Piedad Ossaba, le 10 février 2023