Ce n’est pas suffisamment connu, mais il y a peut-être peu de scientifiques du social qui aient théorisé autant et aussi bien sur la guerre que Vladimir I. Lénine. Étudiant la Première Guerre mondiale, il a écrit : « Le prolétariat lutte et luttera toujours sans relâche contre la guerre, mais sans oublier un seul instant que les guerres ne pourront disparaître que lorsque la division de la société en classes aura complètement disparu ». Le leader soviétique a également enseigné que : « Dans la guerre, c’est celui qui a le plus de réserves, le plus de sources de force, le plus de soutien parmi le peuple qui gagne ».
Manifeste socialiste de Zimmerwald contre la guerre, septembre 1915 : « la guerre qui a provoqué tout ce chaos est le produit de l’impérialisme, des efforts des classes capitalistes de chaque nation pour satisfaire leur appétit d’exploitation du travail humain et des trésors naturels de la planète… ils enterrent, sous des montagnes de décombres, les libertés de leurs propres peuples, en même temps que l’indépendance des autres nations. »
De même, l’un des plus brillants stratèges militaires contemporains, le général vietnamien Vo Nguyen Giap, a souligné le fait que les victoires au combat étaient étroitement liées aux « activités de production, de communication, de transport, de culture, de santé et autres ». Ainsi, le général Giap a considéré que « la victoire multilatérale […] est le résultat de la lutte héroïque de tous les compatriotes de toutes les branches, services et régions qui ont consacré leurs efforts prodigieux, défié les bombes et les balles et surmonté d’innombrables difficultés ».
Il est donc nécessaire de comprendre que le phénomène de la guerre est très complexe, notamment parce que le facteur subjectif joue un rôle décisif pour forger des victoires en cas d’absence ou d’insuffisance des éléments matériels qui en constituent l’aspect objectif.
À l’époque moderne, bien que les instruments technologiques jouent un rôle de plus en plus important, l’outil principal et concluant reste la composante humaine qui participe au conflit. Quels que soient les développements technologiques, l’objectif de la guerre reste l’occupation d’un territoire, ce qui n’est possible que lorsque les soldats d’une armée et les officiers qui les commandent prennent le contrôle effectif de l’espace géographique.
Seuls ceux qui ont participé à une guerre connaissent la barbarie qu’elle implique. Dans la guerre, le meilleur et le pire de l’être humain se déchaînent, le meilleur parce que la décision de donner sa vie pour une chose à laquelle on croit dépasse toute analyse de la subjectivité qui pourrait motiver une telle action. Cela ne s’applique certainement pas aux mercenaires et aux tueurs à gages qui ne se battent que pour l’argent et les émoluments qu’ils peuvent obtenir. Mais la guerre libère aussi le pire de la condition humaine, à savoir le besoin de tuer pour survivre.
Il est bien connu que ce qui sépare un politicien ordinaire d’un homme d’État, c’est essentiellement sa capacité à gérer avec succès les éléments de défense et de sécurité, en premier lieu, à être capable de diriger les forces armées ; il est également fondamental de posséder le génie et la compétence pour mener la politique étrangère et les relations internationales. Tout le monde peut faire le reste, surtout s’il est bien conseillé. J’ai eu la chance de rencontrer le commandant en chef Fidel Castro, le plus grand génie militaire du XXe siècle en Amérique latine, et je sais de quoi je parle.
Je veux ici parler de la conduite de la guerre en Ukraine et sur l’élément décisif de la direction et du commandement stratégiques dans le conflit, qui ne se joue pas seulement sur le terrain de la guerre. D’une part, le président russe Vladimir Poutine a montré des signes clairs de sa capacité à gérer la guerre « comme une continuation de la politique par d’autres moyens ».
On ne peut pas en dire autant de ceux qui gèrent la guerre depuis l’autre côté. Lorsque le chef de la “diplomatie” européenne, Joseph Borrell, affirme que la fin du conflit interviendra sur le plan militaire, puis, plus récemment, assure que « la Russie a déjà perdu la guerre et est sur la défensive contre Kiev » » alors que la Russie a déjà conquis 27,2 % du territoire ukrainien – où, soit dit en passant, dans une bonne partie de celui-ci, la vie évolue vers la normalité sous le contrôle de la Russie – nous nous rendons compte que nous sommes confrontés à des niveaux très dangereux d’ignorance et de stupidité. Surtout, parce que cette vision des faits conduit à des décisions profondément erronées qui aboutissent au sacrifice inutile de milliers de soldats pour des intérêts politiques qui ne sont même pas liés à la rhétorique et à l’attirail traditionnels de l’Occident.
Lorsque l’on regarde la carte des opérations militaires, la récente “contre-offensive” ukrainienne tant vantée dans le sud, il est difficile de croire qu’une telle action a été planifiée par des militaires professionnels : une pénétration dans un secteur de défense russe, laissant les flancs ouverts et avançant en profondeur jusqu’à ce qu’il devienne impossible pour la logistique de remplir sa mission d’assurer les fournitures de combat nécessaires au succès, présageait un désastre… et ce fut le cas : 152 chars, 151 véhicules de combat d’infanterie, 110 véhicules blindés de combat, 56 camions blindés, 17 véhicules spéciaux, 11 avions de chasse de divers types et 3 hélicoptères détruits, et pire encore, 3100 soldats anéantis entre le 29 août et le 6 septembre, voilà le bilan de cette folie, motivée uniquement par la nécessité de montrer des résultats pour justifier l’arrivée et l’augmentation de l’aide occidentale, même s’il est évident que c’est une cause perdue. Il convient de noter que les médias occidentaux se sont massivement précipités pour intituler ce désastre « Victoire épique des forces armées ukrainiennes », trompant leurs lecteurs en toute impunité.
Pendant ce temps, l’armée russe continue de concentrer ses efforts sur la reprise du contrôle de l’ensemble du territoire de Donetsk, en conservant les régions libérées des provinces de Kherson, Kharkov, Zaporojié et Nikolaïev. Au même moment, le président Poutine, le ministre de la Défense, le général Shoigu, et le chef d’état- major général des forces armées russes, le général Gerassimov, se sont rendus dans l’Extrême-Orient du pays pour inspecter sur place les manœuvres militaires Vostok 2022 qui se déroulent sur sept champs de tir et dans les mers du Japon et d’Okhotsk, et auxquelles participent quelque 50 000 soldats, plus de 5 000 unités d’armement lourd, 140 avions et 60 navires de Russie ainsi que d’Algérie, d’Arménie, d’Azerbaïdjan, de Biélorussie, de Birmanie, de Chine, d’Inde, du Kazakhstan, du Kirghizstan, du Laos, de Mongolie, du Nicaragua, de Syrie et du Tadjikistan.
Dans le cas de l’“offensive” ukrainienne dans le sud du pays, les dirigeants politiques (Zelensky, Biden, Johnson, Scholz, Macron, Borrell, Stoltenberg & Co), qui ne connaissent rien à la guerre, ont imposé aux forces armées le caractère obligatoire d’une opération militaire qui, dès le départ, n’avait aucune chance d’aboutir et qui a coûté la vie à 3100 jeunes Ukrainiens qui ont cru qu’ils étaient en train de se sacrifier pour la Patrie, alors qu’en réalité ils l’ont fait pour les intérêts commerciaux des grandes transnationales usaméricaines de l’énergie et de l’armement qui tirent d’énormes profits de cette guerre.
La vérité est donnée par des avis d’experts, dont aucun n’est l’ami de Poutine ou de la Russie. Lisons ce que certains d’entre eux disent. Au tout début de la guerre, dans une longue interview, Jacques Baud, colonel de l’armée suisse, expert en renseignement militaire et en service à l’OTAN et à l’ONU, à qui l’on demandait comment il évaluait l’offensive russe, répondait : « Attaquer un autre État est contraire aux principes du droit international. Mais il faut aussi tenir compte du contexte dans lequel s’inscrit une telle décision. Tout d’abord, il convient de préciser que Poutine n’est ni fou ni déconnecté de la réalité. C’est une personne méthodique et systématique, c’est-à-dire très russe. Je crois qu’il était conscient des conséquences de son opération en Ukraine. Il a estimé, manifestement à juste titre, que, qu’il s’agisse d’une « petite » opération pour protéger la population du Donbass ou d’une opération « massive » en faveur de la population du Donbass et des intérêts nationaux de la Russie, les conséquences seraient les mêmes. Il a donc opté pour la solution maximale ».
Dans un article paru mardi dans le Wall Street Journal, le général de brigade Mark Kimmitt, de l’armée usaméricaine, a affirmé : « Entamer un règlement diplomatique serait désagréable et pourrait sembler défaitiste, mais il y a peu de chances de sortir de l’impasse actuelle, il est donc peut-être préférable d’entamer les négociations maintenant plutôt que plus tard ». Kimmitt a rappelé que l’OTAN ne peut plus faire face à la nécessité de maintenir le rythme des livraisons d’armes à l’Ukraine car les forces ukrainiennes les perdent trop souvent sur le champ de bataille. Le général usaméricain a écrit qu’il pensait que la réduction des fournitures occidentales à Kiev aurait un effet « désastreux » sur l’armée ukrainienne.
Enfin, le général à la retraite et ancien secrétaire adjoint du Conseil de sécurité nationale et de défense de l’Ukraine, Serhiy Krivonos, a exprimé sa consternation face aux pertes “monstrueuses” de l’armée ukrainienne, qui, selon lui, se chiffrent par « dizaines de milliers, et pourraient même atteindre des centaines de milliers ». S’interrogeant sur les causes de cette situation et sur le refus des autorités et des médias occidentaux d’en parler, Krivonos écrit : « Les histoires selon lesquelles ce n’est pas le moment d’en parler ne sont rien d’autre qu’une tentative de brouiller la mémoire, d’effacer l’histoire. Mais comment pouvez-vous effacer le sang des morts, qui se comptent déjà par centaines de milliers ? Qui répondra de cela ? »
Pendant ce temps, le Washington Post, dans un article publié mardi 6 septembre, a été contraint d’affirmer que les militaires ukrainiens qui ont pris part à la tentative de contre-offensive dans la région de Kherson, dans le sud du pays, « se plaignent de lourdes pertes, du manque de munitions et du retard technologique par rapport à l’armée russe ». Le quotidien de la capitale impériale cite un soldat qui a déclaré que presque tous ses camarades, au nombre de 120, « ont été blessés, dont beaucoup grièvement ». Il a imputé cette situation à la nécessité d’économiser les munitions, mais a également écrit que lorsqu’ils ont tiré, « il était difficile d’atteindre les cibles en raison des problèmes liés aux systèmes de guidage des vieilles armes ». Le Post conclut que « de nombreux combattants des forces armées ukrainiennes doutent que la tentative en vaille la peine [face à] de telles pertes ».
Quelques jours avant que cela ne se produise sur le champ de bataille, Zelensky et sa femme ont posé pour le magazine Vogue, dont le dernier titre était : « Toutes les tendances minijupe pour l’automne et l’hiver 2022 ». Traiter la guerre comme s’il s’agissait d’un événement banal, de type showbiz, et supposer que la mort de tant de jeunes gens restera impunie en raison de l’irresponsabilité politique des dirigeants européens, cela fera partie des prochaines chroniques à écrire lorsque cette histoire sera terminée. Mais je ne pense pas que ce seront des minijupes que les soldats ukrainiens porteront au combat à l’approche du redoutable hiver boréal.