Psychopatriotisme yankee

Quel plus grand endoctrinement que le négationnisme ou l’interdiction de réviser l’histoire ? Quel plus grand endoctrinement que d’imposer un silence complice ou une “histoire patriotique” dans les écoles, surchargée de mythes créés post factum et sans support documentaire ?

En vertu d’une loi de 1994 (Holocaust Education Bill), les écoles publiques de Floride ont une matière appelée “Holocauste”, dans laquelle sont étudiées les atrocités racistes commises en Europe contre les juifs. En 2020, le gouverneur Ron DeSantis a promulgué une autre loi exigeant que toutes les écoles primaires et secondaires certifient qu’elles enseignent l’Holocauste aux nouvelles générations. Dans le même temps, les sénateurs de la communauté afro ont réussi à faire inclure dans le programme la mention du massacre d’Ocoee, où au moins 30 Noirs ont été tués en 1920, ce qui, pour comprendre le racisme endémique et les injustices sociales, revient à expliquer le corps humain par son ombre.

Le 2 novembre 1920, July Perry est lynché par une foule lors du massacre d’Ocoee, le pire jour d’élections de l’histoire des USA. Les problèmes ont commencé lorsqu’un homme noir du nom de Moses Norman s’est vu refuser le droit de vote, parce qu’on lui a dit qu’il ne pouvait pas voter parce qu’il n’avait pas payé sa taxe électorale (photo de July Perry, avec l’aimable autorisation du Orange County Regional History Center) (Orlando Sentinel). Ci-dessous deux plaques commémoratives apposées pour le centenaire.

Par la loi également, à partir de 2022, dans ces mêmes lycées de Floride, il est interdit de discuter de l’histoire raciste usaméricaine. La raison, selon le gouverneur Ron DeSantis, est que « personne ne devrait apprendre à se sentir inégal ou à avoir honte de sa race. En Floride, nous ne laisserons pas l’agenda de l’extrême-gauche prendre le contrôle de nos écoles et de nos lieux de travail. Il n’y a pas de place pour l’endoctrinement ou la discrimination en Floride ».

Si on n’en parle pas, ça n’existe pas. De ce côté-ci de l’Atlantique, le racisme n’existe pas et n’a jamais existé.

Les mêmes esclavagistes qui définissaient des millions d’esclaves (la base de la prospérité du pays) comme “propriété privée” sur la base de leur couleur de peau, appelaient ce système une “bénédiction de l’esclavage”, qu’ils voulaient “répandre dans le monde entier” pour “lutter pour la liberté” tout en appelant leur système de gouvernement “démocratie” (Brown, 1858).

“Ce nègre a voté”. Cette photo provient de Miami, en Floride, dans les années 1920, où le Klu Klux Klan a lancé une “parade de la peur” destinée à effrayer les électeurs noirs pour qu’ils ne votent pas.
Après le massacre, jusqu’à 500 Noirs ont été chassés de leurs terres à Ocoee et le Klu Klux Klan a mis en place un embargo autour de la ville pour s’assurer qu’aucun d’entre eux ne pourrait retourner chez lui. Pendant ce temps, les Blancs saisissent leurs biens, parfois avec des actes exigeant que les terres “ne soient plus cédées aux Noirs”.

Les mêmes personnes qui ont volé et exterminé des peuples autochtones bien plus démocratiques et civilisés que la nouvelle nation de la ruée vers l’or avant la ruée vers l’or, ont appelé cela de la “légitime défense” contre des “attaques non provoquées” de sauvages (Jackson, 1833 ; Wayne, 1972).

Les mêmes personnes qui ont inventé l’indépendance du Texas pour rétablir l’esclavage, puis la guerre contre le Mexique pour s’approprier la moitié de son territoire, les mêmes personnes qui ont tué et violé des femmes devant leurs fils et leurs maris, l’ont fait selon le dessein divin de la “destinée manifeste” de Dieu (Scott, 1846).

Ceux qui pratiquaient le sport de tuer les Noirs aux Philippines le faisaient pour assumer “le lourd fardeau de l’homme blanc” de civiliser le monde (Kipling, 1899).

Ceux-là mêmes qui ont envahi, corrompu et affligé l’Amérique latine de républiques bananières, détruit des démocraties et implanté des dizaines et des dizaines de dictatures sanglantes, l’ont fait pour lutter pour la liberté et la démocratie (Beveridge, 1900 ; Washington Post, 1920 ; CIA, XXX).

Les mêmes personnes qui ont arrosé l’Asie de bombes atomiques, de millions d’autres bombes bénéfiques sans trêve, d’agents chimiques sur des millions d’êtres humains et qui ont laissé des milliers de morts partout où ils sont passés, ont qualifié cet exercice extrême du racisme de “victoire héroïque”, même s’il s’agissait de défaites humiliantes (Johnson, 1964 ; Bush, 2003).

Mais nous ne pouvons pas en parler car cela pourrait offenser une personne à la peau blanche qui s’identifie à tous ces champions de la liberté, de la démocratie et de la justice divine.

Comme le disait une chanson populaire utilisée pour recruter des volontaires pour la guerre inventée contre le Mexique :

La justice est la devise de notre pays
Celui qui a toujours raison (Pratt, 1847).

Ce n’est pas un hasard si, chaque fois que ces groupes de fanatiques ont senti que leurs privilèges étaient menacés par l’égalité jamais acceptée, ils ont inventé des théories d’auto-victimisation, comme la théorie de “l’extermination des Blancs”, formulée au XIXe siècle pour justifier le colonialisme et l’oppression des peuples non caucasiens (Pearson, 1893) et qui renaît aujourd’hui sous la forme d’une nouveauté, la “théorie du grand remplacement”, qui criminalise les immigrants des pays non européens en les qualifiant de “dangereux envahisseurs” (Camus, 2010).

Ce n’est pas une hasard si Adolf Hitler a été inspiré par le racisme institutionnalisé de l’extrême droite usaméricaine qui a endoctriné des millions de personnes à se sentir supérieures en raison de la couleur de leur peau et des millions d’autres à accepter leur infériorité pour la même raison (Grant, 1916).

Ce n’est pas un hasard si Hitler a décoré les grands hommes d’affaires usaméricains et a interdit l’enseignement des “choses de gauche” dans l’éducation publique. Avant de persécuter et de tuer les Juifs, il a fermé en 1933 la célèbre école du Bauhaus parce qu’elle était remplie d’“anti-allemands” et qu’elle était un “repaire de gauchistes” qui voulaient remettre en question et changer l’histoire.

En Floride et dans tout le pays, les systèmes éducatifs devraient commencer par une matière appelée “Hypocrisie patriotique” pour développer une certaine capacité intellectuelle à faire face à la réalité historique sans les édulcorants et les fantasmes d’Hollywood, de Disney World et du Ku Klux Klan.

Nous ne sommes pas responsables des crimes de nos ancêtres, mais nous sommes responsables de les faire nôtres en les niant ou en les justifiant. Nous sommes responsables des crimes et des injustices qui sont commis aujourd’hui grâce au déni de la réalité que, non sans fanatisme, nous appelons patriotisme. Un négationnisme criminel et raciste, car, une fois de plus, il nie la justice et le droit fondamental à la vérité des victimes pour ne pas froisser la sensibilité des autres, le groupe dominant depuis plus de deux siècles, celui qui insiste sur la stratégie de l’auto-indulgence et de l’auto-victimisation pour calmer ses frustrations et sa haine fondatrice. Pire encore lorsque ce droit à la vérité a été restreint par des lois et une culture pleine de tabous, tout cela au nom d’une démocratie qui les entrave et qu’ils utilisent, comme les démagogues de l’Athènes antique l’ont fait pour diaboliser puis exécuter Socrate pour avoir posé trop de questions. Tout cela est légal, cela va sans dire, jusqu’à ce que les lois soient écrites par d’autres.

Quel plus grand endoctrinement que le négationnisme ou l’interdiction de réviser l’histoire ? Quel plus grand endoctrinement que d’imposer un silence complice ou une “histoire patriotique” dans les écoles, surchargée de mythes créés post factum et sans support documentaire ?

 Il m’a demandé si j’ai entendu parler du Grand Remplacement
John Darkow, Columbia Missourian

 

Jorge Majfud,

Original: Psicopatriotismo Yanki

Traduit par Fausto Giudice

Edité par María Piedad Ossaba

Source: Tlaxcala, le 23 août 2022