Boutcha, un Timişoara du XXIème Siècle

Pourquoi Boutcha ? Parce qu’en anglais, Butcha évoque immanquablement « butcher », boucher ? Mais qui serait le boucher en chef de Boutcha ? Deux thèses s’affrontent : Azatbek Asanbekovitch Omurbekov et Serhii Korotkykh.

Le 1er avril 2022, le maire de Boutcha, une banlieue résidentielle de 36 000 habitants au nord-ouest de Kiev, annonce que la ville a été « libérée » la veille 31 mars des occupants russes. Simultanément, la police ukrainienne annonce qu’elle y a lancé la chasse aux « saboteurs » et aux « agents russes déguisés en civils ». Le 2 avril, l’avocat ukrainien Ilya Novikov publie sur sa page facebook une vidéo provenant d’une page ukrainienne sur Telegram, d’une minute neuf secondes montrant un convoi de blindés ukrainiens se déplaçant sur une rue de Boutcha. On peut compter douze corps, dont un a les mains liées dans le dos avec un bandeau blanc.

Dans les heures qui suivent, l’ensemble de la « socialmediasphère », puis des médias traditionnels, se déchaîne. « Les Russes ont commis des crimes de guerre à Boutcha, ils ont massacré 300 civils ». Personne n’a vu 300 cadavres. Certaines photos montrent des sacs noirs censés contenir des corps. On veut bien croire qu’ils contiennent des morts, mais cela ne nous dit pas quand et comment ils sont morts. Les photos, les vidéos se succèdent dans un chaos total : un même corps apparaît sur diverses photos à des endroits différents. Des corps apparaissent, disparaissent, réapparaissent avec des détails différents. Certaines photos montrent des corps aux mains attachées dans le dos, d’autres avec un brassard blanc au bras. Durant le mois pendant lequel des troupes russes ont occupé Boutcha et les localités avoisinantes, les civils étaient encouragés à arborer des brassards blancs pour afficher qu’ils étaient des civils non hostiles. Les civils, militaires et paramilitaires ukrainiens portaient, eux, des brassards bleus. Les militaires russes auraient donc, selon le récit dominant, tué des civils qui ne leur étaient pas hostiles. Ils sont donc aussi fous que leur chef, Poutine, le Grand Satan de 2022.

Après et en même temps que les médias et réseaux sociaux, les politiciens entrent dans la danse : Joe Biden, Ursula von der Leyen, Josep Borrell, tous dénoncent le « crime de guerre de Boutcha ». La Russie est exclue du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Zelensky, le « serviteur du peuple », héros sempityernel d’un feuilleton sans fin, réclame un « Tribunal de Nuremberg pour Poutine ». Et enfin, voilà le pape himself qui, dans une scène digne de Nanni Moretti, brandit et embrasse un drapeau ukrainien « provenant de la ville martyre de Boutcha », au cours d’une cérémonie où il remet des œufs de Pâques à des enfants ukrainiens. Aucun média ayant publié des photos ou la vidéo de la scène n’a expliqué ce qui était écrit sur le drapeau : «4ème Centurie cosaque de Maidan ». La centurie (« sotnya») était l’unité de base des troupes cosaques des diverses armées dans lesquelles elles ont servi. Durant ce que Radio Free Europe baptisa « l’Euromaidan » de 2013-2014, le service d’ordre organisé par le politicien, au départ néonazi puis girouette, Andriy Paroubiy, était structuré en groupes portant de tels noms poétiques évoquant le « glorieux passé » ukrainien, autrement dit le combat contre le « judéo-bolchevisme ».

Voilà pour Boutcha. Pourquoi Boutcha ? Parce qu’en anglais, Butcha évoque immanquablement « butcher », boucher ? Mais qui serait le boucher en chef de Boutcha ? Deux thèses s’affrontent : Azatbek Asanbekovitch Omurbekov et Serhii Korotkykh.

Le premier est un lieutenant-colonel de l’unité 51460 de la 64e Brigade séparée de fusiliers motorisés russe. Kirghize selon certaines sources, karakalpak selon d’autres, son grand-père et son père auraient servi dans l’Armée rouge et son frère ferait partie du FSB.

Le second, né en 1974, surnommé « Malyuta » en ukrainien et « Botsman » en russe, est un néonazi biélorusse, membre de l’organisation fasciste russe RNE (Unité nationale russe) qu’il a quittée pour fonder la Société national-socialiste, fondateur de l’ONG Zirka (Protection et reconstruction du pays), soupçonné d’une série de meurtres et d’agressions en Belarus puis en Ukraine, où il sévit depuis 2014. Incorporé au Bataillon Azov, il a été naturalisé ukrainien en décembre 2014 au cours d’une cérémonie où le président Porochenko l’a remercié pour ses services.

En mai 2015, il est devenu le chef du Service de police pour la sécurité des objets stratégiques, nouvellement créé et l’a dirigé jusqu’en 2017. Il a aussi eu à faire avec Foxtrot-13, une société de gardiennage gérée par des policiers. En 2020, l’un des auteurs d’un dossier sur notre homme, publié par l’Institut de politique nationale, l’accusant entre autres d’être un agent du FSB, a été kidnappé et sévèrement tabassé dans les environs de Kiev, par les « suspects habituels ».

Korotkykh est arrivé à Boutcha avec ses hommes début avril. Imaginons le genre de travail humanitaire auquel ils se sont livrés : enterrer des cadavres ou en produire ?

La mise en scène de Boutcha entrera dans l’histoire comme le « détail » qui aura fait basculer l’Ukraine dans l’Union européenne. Une autre montagne de cadavres exquis dans les placards de Bruxelles. De quoi détrôner définitivement les fantomatiques « 4 630 cadavres de Timișoara, victimes du Dracula communiste de Bucarest » qui firent la Une de la presse libre et démocratique, du Figaro à Libération, une invention médiatique exemplaire, désormais enseignée dans les écoles de journalisme, datant d’une époque préhistorique (décembre 1989), quand l’internet n’existait pas, mais où un pauvre Roumain parlant une langue étrangère pouvait vendre n’importe quoi à un média assoiffé de « scoop ». Quelques exemples dont je me souviens : « Ceausescu a fait creuser une autoroute souterraine menant directement de son palais à la mer Noire (225 km…) », « la Securitate utilise des snipers arabes pour tirer sur les manifestants pro-démocratiques », « Elena Ceausescu avait dans son palais un frigo plein de rosbifs (de viande humaine, bien sûr) ». Et le plus beau : « Ceaușescu, atteint de leucémie, aurait eu besoin de changer son sang tous les mois. Des jeunes gens vidés de leur sang auraient été découverts dans la forêt des Carpates. Ceaușescu vampire ? Comment y croire ? La rumeur avait annoncé des charniers. On les a trouvés à Timișoara. Et ce ne sont pas les derniers » (TF1). Une variante circulait au Paraguay : le dictateur Stroessner, atteint d’une maladie de peau, devait prendre régulièrement un bain dans du sang de jeunes vierges. Celles-ci étaient donc kidnappées et saignées par ses hommes de main. Mais c’était là à mettre au compte des contes et légendes indiennes sur les « chupasangre », les vampires, entendez les conquérants espagnols. Bref, des histoires de sauvages. Les civilisés armés de leurs iPhones ne font pas mieux.

« Tout ce qui arrive le fait toujours comme il se doit et toujours pour le mieux ».
Monument local à l’écrivain Mikhaïl Boulgakov, écrivain russe (1891-1940) né à Kiev, qui passait ses vacances dans la datcha familiale à Boutcha.
« Dès l’instant où quelqu’un télégraphie qu’il a eu la tête coupée, c’est qu’elle ne l’est pas complètement[…] » (Le Maître et Marguerite)

Fausto Giudice

Source: Tlaxcala, le 9 avril 2022

Edité pour María Piedad Ossaba

Traductions disponibles:

English    Bucha, a Timişoara of the XXIst Century
Deutsch  Butscha, ein Timişoara des XXI. Jahrhunderts
Italiano   Bucha, un Timişoara del XXI secolo
Español  Bucha, una Timişoara del siglo XXI