Arrêté par la junte militaire en 1977, torturé, Miguel Ángel Estrella avait été naturalisé français en 1985. Il « a consacré toute sa vie à la musique au service de la liberté », écrivent ses proches dans un communiqué.
Le pianiste Miguel Ángel Estrella, ardent défenseur de la liberté, nous a quittés
Le pianiste argentin Miguel Angel Estrella, en juillet 1980, en France Gamma-Rapho via Getty Images – Daniel SIMON
Arrêté par la junte militaire, torturé, il n’avait jamais cessé de se battre pour la paix et la liberté à travers sa musique. Le célèbre pianiste franco-argentin Miguel Ángel Estrella est mort dans la nuit de mercredi à jeudi, à l’âge de 85 ans.
Né en Argentine au sein d’une famille modeste, Miguel Ángel Estrella poursuit des études au conservatoire de Buenos Aires. Il joue avec son épouse Martha dans les bidonvilles, pour faire découvrir la musique aux plus démunis. Une initiative qui fait d’eux des communistes aux yeux des régimes autoritaires argentins qui se succèdent alors au fil des coups d’État.
Torturé puis libéré, sous la pression de ses soutiens
À partir de 1965, Miguel Ángel Estrella continue ses études de musique à Paris, avec pour professeures Nadia Boulanger et Marguerite Long. Malgré la dictature, le pianiste décide de rentrer en Argentine. Arrêté par la junte militaire en 1977, il est détenu en Uruguay, où il subit des tortures, qui lui abiment notamment les mains. Le musicien continue néanmoins de jouer dans sa cellule avec un clavier muet.
Sous la pression de comités de soutien (composés d’Yves Montand, de Simone Signoret, de Nadia Boulanger ou encore d’Henri Dutilleux), Miguel Ángel Estrella est libéré en 1980. Il se réfugie alors en France et, en 1982, reprend ses concerts. Il crée la Fime (Fédération Internationale Musique Espérance), pour remercier le monde musical de l’avoir « sauvé de l’enfer ». 10 ans plus tard, la fondation devient une ONG reconnue par l’Unesco. Le pianiste fonde aussi l’Orchestre pour la paix, composé de jeunes musiciens chrétiens, musulmans et juifs.
Le chanteur Daniel Balavoine lui dédie en 1983 sa chanson Frappe avec ta tête, qui évoque les tortures sous les régimes militaires en Amérique latine. Parmi les enregistrements de Miguel Ángel Estrella, les Bagatelles de Bartók, le Concerto n°3 pour piano de Beethoven, Bach, ou encore Chopin. En 2000, il avait reçu le Prix Nansen et le Prix des Nations Unies pour les Trois Amériques. Miguel Ángel Estrella était aussi depuis 2003 ambassadeur d’Argentine à l’UNESCO. Chevalier de la Légion d’honneur, naturalisé français en 1985, il « a consacré toute sa vie à la musique au service de la liberté », écrivent ses proches dans un communiqué.
Source: France musique, le 7 avril 2022
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Miguel Ángel Estrella, pianiste et inlassable militant des droits de l’Homme, est mort à 81 ans
Le musicien franco-argentin, ancien ambassadeur et infatigable défenseur des libertés, avait surmonté la détention et la torture en Amérique du Sud pour se réfugier à Paris et reprendre sa carrière.
Miguel Ángel Estrella le 15 septembre 2011 à Paris, à une conférence de presse (TIBOUL / MAXPPP)
Le pianiste engagé et ancien ambassadeur argentin Miguel Ángel Estrella, torturé sous le régime militaire uruguayen entre 1977 et 1980, s’est éteint en France à l’âge de 81 ans, a annoncé jeudi la délégation argentine à l’Unesco. “La Délégation argentine auprès de l’Unesco a la tristesse d’annoncer le décès de Miguel Angel Estrella, ambassadeur argentin auprès de l’Unesco et ambassadeur de bonne volonté de l’Unesco, pianiste et fondateur de l’ONG Musique Espérance”, a écrit la délégation sur Twitter.
Torturé et détenu en Uruguay durant deux ans
Réfugié en Uruguay après avoir fui la dictature argentine au pouvoir depuis 1976, Miguel Ángel Estrella n’a pas été épargné par le pouvoir autoritaire uruguayen qui l’a torturé et détenu pendant plus de deux ans, le soupçonnant d’activités subversives. “Ils se concentraient surtout sur mes mains (…), feignant notamment de vouloir m’amputer”, racontera le pianiste argentin, libéré sous la pression internationale en février 1980.
Pour ne pas perdre espoir sous la torture, Estrella “parle à Jésus” et pour garder une certaine agilité, il joue sur un piano imaginaire, dans sa cellule. Accueilli à Paris, il travaille pour redevenir le virtuose qu’il était. Et il racontera son histoire.
Dans ce document daté de 2014, le pianiste évoque les ravages de la torture sur ses mains et l’aide décisive de la France pour le faire libérer
L’artiste crée l’ONG Musique Espérance pour ouvrir des ateliers musicaux dans les bidonvilles et les prisons. Il joue aussi dans des écoles, des usines, des maisons de retraite. “La musique sauve”, disait-il affirmant qu’en Amérique latine “il n’y a pas un seul jeune des bidonvilles formé à la musique qui soit tombé dans la drogue”.
Il était “un musicien né” et “d’abord un poète”, disait Nadia Boulanger de son élève
Né le 4 juillet 1940 à Tucuman, dans le nord de l’Argentine, d’un père poète fils de paysans libanais émigrés en Bolivie et d’une mère institutrice argentine d’ascendance amérindienne métissée, Estrella est marqué par les déshérités. Il se découvre une passion pour le piano à 12 ans et intègre à 18 ans le Conservatoire à Buenos Aires. Boursier, il séjourne à Londres et Paris.
Pour Nadia Boulanger, qui l’a eu comme élève, Estrella était un “musicien né” à la “puissance contenue” et “aussi et d’abord un poète”. Son répertoire éclectique lui faisait mêler Rameau, Messiaen et le folklore latino-américain. Yupanqui et Piazzola côtoyaient Bach et Beethoven dans un même concert.
En 2009, Miguel Ángel Estrella jouait Chopin sur le plateau de l’émission “Des Mots de minuit”
Avec l’écrivain et journaliste Jean Lacouture, il écrit Musique pour l’Espérance (1983, éditions Cana) et, en 2000, le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) lui décerne la médaille Nansen pour avoir fait “avancer la cause des réfugiés”.
Après avoir été ambassadeur de l’Argentine auprès de l’Unesco, Miguel Angel Estrella avait pris la tête de la Maison Argentine à la Cité universitaire de Paris.
Témoigner, toujours…
— Daniel Filmus (@FilmusDaniel) April 7, 2022
Le ministère argentin des Affaires étrangères a déploré sa mort dans son récit officiel, le louant comme « l’ancien ambassadeur du pays auprès de l’UNESCO et un pianiste talentueux qui a porté son message de paix dans le monde à travers la musique ».
« Je veux me battre avec la musique contre ceux qui veulent nous conquérir. »
La ministre de la province de Buenos Aires, Cristina Álvarez Rodríguez, s’est jointe. « Une profonde tristesse derrière le départ du maestro Miguel Angel Estrella. Un pianiste exceptionnel dévoué à son peuple. Un grand combattant pour la paix, les droits de l’homme et l’inclusion. De grands câlins à sa famille et à ses proches en cette période difficile », a-t-il déclaré.
Marcela Losardo, déléguée permanente de l’Argentine auprès de l’UNESCO et ancienne ministre de la justice et des droits de l’homme, qui s’est souvenue de lui comme d’un « pianiste de renommée internationale » et a noté que « l’ONU lui avait décerné le prix Nansen par l’intermédiaire d’Acnur pour son combat inlassable » pour la défense des droits de l’homme « .
Le président de Télam, Bernard Llorente, a rejoint les symptômes de la douleur. « Nous vous voyons toujours ! Miguel Ángel Estrella, pianiste et militant pour la paix et l’inclusion, est décédé. Un musicien de Tucuman est décédé à l’âge de 81 ans en France. », a écrit Llorente sur son profil sur le réseau social Twitter.
Le Centre international pour la promotion des droits de l’homme, l’UNESCO, a également exprimé ses condoléances et a salué sa figure et la lutte pour la paix : à l’UNESCO et l’Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO. Avant tout, un militant pour la paix et les droits de l’homme », a publié l’organisation.
Source: Kianoushs.com, le 8 avril 2022
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Faire part Miguel Angel Estrella
C’est avec une profonde tristesse que ACAF informe ses adhérent.e.s, sympathisant.e.s et ami.e.s du décès de notre cher ami, maestro et grand pianiste Miguel Ángel ESTRELLA.
Inlassable combattant pour la justice et la liberté, survivant de la dictature civico-militaire-ecclésiastique argentine, intellectuel de renommée internationale, Estrella a accompagné solidairement durant ces dernières années l’action de notre organisation –ainsi que d’autres du camp démocratique argentin—pour les droits humains (campagnes pour la libération de Milagro Sala) et en défense des libertés civiles. Il y a deux semaines sans la présence de Miguel Angel Estrella déjà gravement malade, nous avons installé dans la Maison de l’Argentine de la Cité Universitaire, dont il était le directeur jusqu’à son décès, une plaque d’hommage aux victimes du terrorisme d’état.
Nos sincères condoléances à sa famille avec la solidarité de ACAF.
Laura Rosa FRANCHI
Max DICKMANN
Co-presidentes
ACAF
Le faire-part attaché de l’Ambassade Argentine rend-compte de quelques jalons importants de la riche trajectoire politique, intellectuelle, professionnelle et diplomatique de Miguel Ángel ESTRELLA.