États-Unis : Un an de présidence de Joe Biden

Biden et le parti démocrate déçoivent des secteurs des classes populaires qui les avaient soutenus face à Trump et aux candidats républicains à l’automne 2020.

Certain·es commentateurs/trices ont pensé que la présidence de Joe Biden allait être l’occasion d’un tournant keynésien aux États-Unis. Les mêmes illusions et espoirs avaient surgi au début de la présidence de Barack Obama en 2009.

Dans les deux cas, l’élection a eu lieu alors que les États-Unis traversaient une grave crise qui pouvait amener le gouvernement à prendre des mesures fortes engageant un virage par rapport à des décennies de politiques néolibérales.

L’administration de Barack Obama aurait pu appliquer des mesures de contrainte à l’égard du grand capital et notamment des grandes banques et des grands fonds d’investissement largement responsables de l’énorme crise qui avait explosé à partir de 2007-2008. De plus, Barack Obama avait promis une profonde réforme du système de santé, de la sécurité sociale, des retraites et la mise en place d’une réforme fiscale visant à faire payer un peu plus d’impôts aux plus nantis à commencer par le 1 % le plus riche. Il n’en avait rien été.

Dans le cas de Joe Biden, celui-ci avait annoncé qu’il demanderait aux plus grandes entreprises et aux plus riches de payer plus d’impôts, il avait promis des mesures progressistes en matière d’accès à la santé, à la protection sociale ainsi qu’un salaire horaire minimum légal de 15 dollars…

Ces promesses lui ont permis de mobiliser en sa faveur une partie de l’électorat qui ne se déplaçait plus vers les urnes. Au début de son mandat, il a nommé Bernie Sanders président de la commission du budget du Sénat ce qui est apparu, à certain·es, comme le gage de la volonté de réellement mettre en œuvre des mesures progressistes. D’autres, dont je fais partie, y ont vu un moyen de coincer Bernie Sanders.

 Des promesses non tenues

On peut affirmer très clairement, après presqu’un an de mandat, que les promesses de tournant progressiste vers plus de justice sociale n’ont pas été tenues.

Très vite le salaire minimum de 15 dollars a été abandonné, et le salaire horaire minimum reste fixé à 7,25 dollars.

Aucune mesure n’a été prise pour prélever des impôts nouveaux sur les grandes entreprises et sur les plus riches. Pire, une mesure supplémentaire favorable aux ménages fortunés est proposée par l’Administration Biden et le comble c’est que cela permet à une série d’élu·es républicain·es de dénoncer l’injustice et la fourberie de la mesure comme favorisant les riches [1]. Il s’agit de porter de 10 000 à 80 000 dollars le montant qu’un·e contribuable peut déduire de ses impôts fédéraux au titre du paiement d’impôts locaux (soit municipaux soit les impôts payés à l’État). Selon une analyse effectuée par le Tax Policy Center, un organisme non partisan, et le Center for a Responsible Federal Budget, 94 % des bénéfices de l’augmentation du plafond de l’impôt sur le revenu à 80 000 dollars iraient au quintile supérieur des contribuables du pays – qui gagnent au moins 175 000 dollars par an – et 70 % aux cinq pour cent supérieurs [2]. La perte de revenus pour le Trésor s’élèverait à 275 milliards de dollars par an.

Très vite le salaire minimum de 15 dollars a été abandonné, et le salaire horaire minimum reste fixé à 7,25 dollars

Le budget militaire a été augmenté et porté à 768 milliards de dollars avec l’appui des Républicains. C’est le budget le plus élevé depuis la deuxième guerre mondiale (et ce malgré le désengagement en Afghanistan).

En matière de travaux publics, l’administration Biden a fait passer, avec l’appui des Républicains, un budget favorable aux grandes sociétés de construction.

Rappelons que c’est aux États-Unis que la pandémie de coronavirus a entraîné le nombre de décès en chiffres absolus le plus élevé du monde : plus de 820 000 morts à la date du 21 décembre 2021.

Malgré l’extrême gravité de la situation, Joe Biden n’a pris aucune mesure qui aurait pu entrer en contradiction avec les intérêts des grandes entreprises pharmaceutiques. Alors que le gouvernement détient le principal brevet pour la production des vaccins à ARN messager, il refuse de l’utiliser et de faire produire des vaccins par le secteur public aux États-Unis ou ailleurs (voir l’encadré « Biden protège les intérêts du Big Pharma aux dépens de la population du Nord comme du Sud ») Toute la production est laissée aux mains du Big Pharma et les brevets que les entreprises privées ont déposés ne sont pas suspendus. L’administration Biden n’a pas offert non plus le brevet qu’il détient aux pays qui auraient pu en bénéficier et qui sont capables de produire eux-mêmes des vaccins si on leur en donne la possibilité. Alors qu’il avait affirmé, en mai 2021, que son administration voulait que l’OMC lève les brevets comme le demandent plus de 100 pays du Sud, Joe Biden n’a pas véritablement agi pour que cette mesure soit prise.

Encadré : Biden protège les intérêts du Big Pharma aux dépens de la population du Nord comme du Sud [3]

Les vaccins à ARNm de Pfizer (E-U.) – BioNTech (All.) et de Moderna (E.U.), qui ont été mis sur le marché en moins d’un an, reposent en partie sur des brevets antérieurs. Notamment une technologie conçue par l’université de Pennsylvanie pour fabriquer un ARN messager inoffensif pour l’organisme, dont le brevet a été déposé en 2005.

La technique innovante consistant à stabiliser la protéine de spicule (également appelée protéine spike) est, elle aussi, issue de la recherche publique. En effet, le brevet spécifique déposé par le gouvernement des États-Unis – brevet numéro 10 960 070, plus connu sous le nom de brevet ’070’ – concerne la manière dont la protéine spike est stabilisée dans le vaccin, une technique qui a été développée par le centre de recherche sur les vaccins du National Institutes of Health (NIH) qui est un organisme gouvernemental étatsunien. Selon l’association étasunienne radicale de consommateurs Public Citizen basée à Washington, grâce au brevet ’070 mentionné plus haut, le gouvernement des États-Unis aurait pu et pourrait produire lui-même des vaccins ARNm. Il pourrait également transmettre gratuitement le brevet aux États qui souhaitent produire le vaccin pour leur population et, dans un geste de solidarité, pour d’autres peuples. Voici un extrait d’un communiqué de Public Citizen datant de la mi-novembre 2020 et commentant l’annonce de la production du vaccin ARNm-1273 par Moderna : « C’est le vaccin du peuple. (…) Ce n’est pas seulement le vaccin de Moderna. Des scientifiques fédéraux ont aidé à l’inventer et les contribuables financent son développement. Nous avons tous joué un rôle. Il devrait appartenir à l’humanité. L’administration actuelle [c’est-à-dire celle de Trump, note d’Éric T] et le président élu Biden ont tous deux l’occasion de faire de ce vaccin un bien public gratuit et accessible à tous et de contribuer à l’augmentation de la production mondiale, afin d’éviter un rationnement médical qui pourrait devenir une forme d’apartheid mondial en matière de vaccins. » [4]. Dans ce cas, il ne s’agit pas de lever ou de supprimer le brevet, il suffit de le mettre à disposition de tiers. En refusant de faire cela, alors que des organisations comme Public Citizen le lui demandent, le gouvernement de Joe Biden montre clairement qu’il veut protéger les privilèges du Big Pharma.

Selon Public Citizen, les pouvoirs publics pourraient facilement produire des milliards de doses de vaccin à un coût très nettement inférieur aux sommes versées jusqu’ici aux grandes entreprises pharmaceutiques privées

Selon une étude très convaincante, publiée en mai 2021 par Public Citizen les pouvoirs publics, à commencer par ceux des pays les plus riches, pourraient facilement produire des milliards de doses de vaccin à un coût très nettement inférieur aux sommes versées jusqu’ici aux grandes entreprises pharmaceutiques privées. Public Citizen en fait la démonstration en se basant sur une étude réalisée par des chercheurs de l’Imperial College de Londres. L’étude démontre de façon convaincante « que la communauté mondiale pourrait mettre en place des centres régionaux capables de produire huit milliards de doses de vaccin à ARNm d’ici mai 2022. Cela suffirait à couvrir 80 % de la population ». Le coût ? 9,4 milliards de dollars pour un vaccin du type Pfizer – BioNtech, pour 5 installations, 17 lignes de production et 1386 salariés. Un chiffre à comparer aux dizaines et dizaines de milliards qui ont été distribué à l’industrie pharmaceutique par les États, pour vacciner seulement les peuples des pays riches… et servir des dividendes aux actionnaires [5].

 La troisième dose de vaccin au Nord et l’apartheid vaccinal

Comme les pays d’Europe occidentale, les États-Unis organisent l’injection massive d’une troisième dose du vaccin (on se prépare même à une quatrième dose comme le fait déjà l’État d’Israël) et la vaccination des enfants alors que l’OMS demande que la priorité soit donnée à la vaccination des populations des pays du Sud qui n’y ont accès qu’au compte-gouttes.

En matière de régulation financière visant à imposer un peu de discipline aux grandes banques et aux autres grandes sociétés financières, rien n’a été fait. Au contraire, le laxisme est amplifié. Pour indiquer clairement son orientation favorable aux marchés financiers et au grand capital, Biden a prolongé le mandat du président de la Réserve fédérale Jerome Powell, qui avait été nommé par Donald Trump. Il a également nommé Janet Yellen, l’ancienne présidente de la Réserve fédérale, au poste de secrétaire d’État au Trésor (l’équivalent du Ministère des Finances). Cela a constitué un signal de plus en faveur du grand capital. Début décembre 2021, Saule Omarova, la femme qui était censée prendre en charge la régulation bancaire à la tête de l’Office of the Comptroller of the Currency (le Bureau du contrôle de la monnaie) a dû renoncer à son poste suite à une campagne de déstabilisation lancée par Wall Street et par les Républicains. Le Financial Times a écrit à ce propos : « Elle a dû faire face à une réaction brutale de la part des Républicains et du secteur bancaire, les critiques se concentrant sur sa formation et sa carrière d’universitaire avec des propositions incluant un système de compte bancaire géré par l’État. » [6]. En réalité, elle a non seulement dû affronter les attaques des Républicains, elle a été démolie par une série de parlementaires démocrates tout aussi liés au grand capital que leurs collègues.

Le programme « Build Back Better » est saboté par la droite du parti démocrate et sera très probablement abandonné

Biden avait promis de faire adopter un grand programme de dépenses pour plus de justice sociale et pour la défense de l’environnement. Ce programme « Build Back Better » (« Reconstruire en mieux »), connu sous ses initiales BBB, aurait dû être adopté en même temps que le grand plan de dépenses de travaux publics qui plaît au Grand capital. Biden et la présidente du Congrès, Nancy Pelosi, ont finalement laissé séparer les deux votes alors que la gauche du Parti démocrate rejetait cette séparation. Le plan des travaux publics a été adopté avec le soutien des Républicains et malgré l’opposition de 6 parlementaires de la gauche démocrate dont Alexandria Ocasio-Cortez. Par contre le programme « Build Back Better » est saboté par la droite du parti démocrate et sera très probablement abandonné.

Cet abandon du programme « Build Back Better » montre la nature réelle de la politique de l’administration Biden, qui est largement, sur le plan économique et social, en continuité avec celle des présidents républicains que ce soit G. W. Bush ou D. Trump. En 1891, Friedrich Engels dans sa postface aux textes de Karl Marx sur la Commune de Paris, avait très bien décrit le système politique des États-Unis dominé par les partis Démocrate et Républicain qui alternent au pouvoir et défendent l’ordre capitaliste (voir encadré ci-dessous).

Encadré : Friedrich Engels sur le système politique des États-Unis

Nulle part les « politiciens » ne forment dans la nation un clan plus isolé et plus puissant qu’en Amérique du Nord, précisément. Là, chacun des deux grands partis qui se relaient au pouvoir, est lui-même dirigé par des gens qui font de la politique une affaire, spéculent sur les sièges aux assemblées législatives de l’Union comme à celles des États, ou qui vivent de l’agitation pour leur parti et sont récompensés de sa victoire par des places. On sait assez combien les Américains cherchent depuis trente ans à secouer ce joug devenu insupportable, et comment, malgré tout, ils s’embourbent toujours plus profondément dans ce marécage de la corruption. C’est précisément en Amérique que nous pouvons le mieux voir comment le pouvoir d’État devient indépendant vis-à-vis de la société, dont, à l’origine, il ne devait être que le simple instrument. Là, n’existent ni dynastie, ni noblesse, ni armée permanente (à part la poignée de soldats commis à la surveillance des Indiens), ni bureaucratie avec postes fixes et droit à la retraite. Et pourtant nous avons là deux grandes bandes de politiciens spéculateurs, qui se relaient pour prendre possession du pouvoir de l’État et l’exploitent avec les moyens les plus corrompus et pour les fins les plus éhontées ; et la nation est impuissante en face de ces deux grands cartels de politiciens qui sont soi-disant à son service, mais, en réalité, la dominent et la pillent.

Encadré : Friedrich Engels sur le système politique des États-Unis

Nulle part les « politiciens » ne forment dans la nation un clan plus isolé et plus puissant qu’en Amérique du Nord, précisément. Là, chacun des deux grands partis qui se relaient au pouvoir, est lui-même dirigé par des gens qui font de la politique une affaire, spéculent sur les sièges aux assemblées législatives de l’Union comme à celles des États, ou qui vivent de l’agitation pour leur parti et sont récompensés de sa victoire par des places. On sait assez combien les Américains cherchent depuis trente ans à secouer ce joug devenu insupportable, et comment, malgré tout, ils s’embourbent toujours plus profondément dans ce marécage de la corruption. C’est précisément en Amérique que nous pouvons le mieux voir comment le pouvoir d’État devient indépendant vis-à-vis de la société, dont, à l’origine, il ne devait être que le simple instrument. Là, n’existent ni dynastie, ni noblesse, ni armée permanente (à part la poignée de soldats commis à la surveillance des Indiens), ni bureaucratie avec postes fixes et droit à la retraite. Et pourtant nous avons là deux grandes bandes de politiciens spéculateurs, qui se relaient pour prendre possession du pouvoir de l’État et l’exploitent avec les moyens les plus corrompus et pour les fins les plus éhontées ; et la nation est impuissante en face de ces deux grands cartels de politiciens qui sont soi-disant à son service, mais, en réalité, la dominent et la pillent.
Source : Friedrich Engels, Introduction aux textes de Karl Marx sur la Commune de Paris, 1891 disponible en ligne : https://www.marxists.org/francais/engels/works/1891/03/fe18910318.htm

L’administration Biden n’a pas non plus, malgré des discours bien intentionnés, pris de mesures pour réduire l’accès aux armes à feu alors que la quantité d’homicides est en forte hausse (30 % de hausse en 2021). 400 millions d’armes à feu sont en circulation aux États-Unis.

Par rapport aux États qui comme le Texas ont adopté une législation hyper-répressive à l’encontre de l’avortement, l’Administration Biden ne prend pas de mesures pour défendre la législation fédérale qui dépénalise l’avortement et elle se contente d’exprimer son désaccord.

Alors que des États, parmi lesquels une fois de plus le Texas, décident de modifier les lois électorales afin de limiter l’exercice du droit de vote par les classes populaires et notamment leurs parties racisées, l’Administration Biden ne fait rien.

En matière de droits des migrants et d’accueil des réfugiés, la politique de l’Administration de Biden ne se différencie par réellement de celle de D. Trump

En septembre 2021, l’émissaire américain en Haïti, Daniel Foote, a démissionné pour protester contre les expulsions « inhumaines » par les États-Unis de milliers de migrantˑ·es haïtienˑ·nes. Sa démission a constitué un coup dur pour Joe Biden : sa politique d’expulsions massives de migrants haïtiens vers leur pays est publiquement dénoncée par son propre émissaire [7].

En matière de politique internationale, l’administration prolonge et confirme celle adoptée par Trump sur des questions centrales : soutien total au régime sioniste ; agressivité à l’égard de Cuba et du Venezuela. Récemment, une enquête du New York Times a révélé que l’utilisation des drones en Syrie, en Irak et en Afghanistan avait officiellement entraîné la mort de plus de 1 400 civils. Le chiffre réel est certainement très supérieur. L’Administration de Biden a poursuivi de ce point de vue la politique de D. Trump. Fin août 2021 à Kaboul 10 civils ont été tués par un drone et on a appris en décembre 2021 que les responsables ne seraient pas sanctionnés. « Il n’y avait pas d’éléments suffisamment solides pour retenir des responsabilités personnelles », a expliqué à Washington le porte-parole du Pentagone, John Kirby, pour justifier l’absence de sanctions [8]. L’Administration Biden soutient également le régime militaire du Maréchal Al-Sissi en fournissant annuellement à son armée une aide de 1,3 milliard de dollars. De même, Biden maintient des relations étroites avec le régime ultra réactionnaire saoudien.

Le retour à l’accord de Paris sur le Climat et à la négociation concernant le nucléaire avec l’Iran ne débouche pas sur des mesures fortes. Au contraire, Biden vient d’augmenter les aides à l’extraction du pétrole et du gaz aux États-Unis afin d’augmenter le volume de l’extraction. En relation avec l’Iran, les États-Unis ne font pas de réelles concessions ce qui contribue au pourrissement de la situation.

 Comment expliquer qu’il n’y a pas de tournant keynésien ?

Le facteur principal est l’état de la lutte des classes. Les classes populaires et en particulier les salariéˑ·es ne voient pas croître leur degré d’organisation et leur capacité d’action. C’est différent des années 1930 au cours desquelles le mouvement ouvrier était en pleine expansion aux États-Unis avec une vague de grèves et d’occupations d’usines notamment dans le secteur automobile. Les syndicats radicaux avaient le vent en poupe. Les idées socialistes également. L’URSS constituait un pôle d’attraction, la planification et le contrôle public des moyens de production apparaissaient comme une meilleure solution que le laisser-faire capitaliste.

Les mesures « sociales » prises par Trump puis par Biden ne sont pas structurelles, elles ne constituent pas de nouveaux droits, elles ne sont pas pérennes

Pour compléter le tableau, il faut ajouter qu’en 2020-2021 le gouvernement (que ce soit celui de Trump ou celui de Biden) a mis massivement de l’huile dans les rouages en versant des indemnités importantes aux classes populaires et en reportant le paiement d’une partie significative des dettes (dettes hypothécaires, dettes étudiantes, dettes de loyer…). En 2020 et en 2021, la pauvreté a diminué grâce aux aides sociales de différents types. Cela a joué un rôle réel d’amortisseur social. Les classes populaires n’ont pas été acculées à passer à l’action. Certes certains secteurs se sont mobilisés et dans certains cas ont obtenu des victoires mais c’est loin de représenter une vague de fond.

Les mesures « sociales » prises par Trump puis par Biden ne sont pas structurelles, elles ne constituent pas de nouveaux droits, elles ne sont pas pérennes. Si le programme « Build Back Better » était adopté on pourrait considérer que quelques progrès sociaux sont engrangés mais manifestement, dans le meilleur des cas, ce sera très limité. Cela montre qu’on n’est pas dans un nouveau cycle de type keynésien où le gouvernement et la classe capitaliste seraient amenés à faire d’importantes concessions aux classes populaires qui verraient progresser leurs droits sociaux et où les salaires réels augmenteraient substantiellement.

La classe capitaliste poursuit son enrichissement mêmesi le taux de profit n’est pas au mieux de sa forme et si une partie importante du capital accumulé est fictive et peut s’effondrer comme un château de cartes en cas de nouvelle crise financière.

Les inégalités continuent d’augmenter avec une plus grande concentration de richesse au profit du 1 % le plus fortuné.

 La question des dettes

Au troisième trimestre 2021, la dette publique des États-Unis a dépassé 28 000 milliards de dollars, soit 125 % du PIB du pays. Que ce soit après 2008 pour faire face à la crise financière ou à partir de 2020 face à la crise exacerbée par la pandémie du coronavirus, les gouvernants des États-Unis ont augmenté très fortement la dette publique. Il n’y a pas eu d’impôts de crise prélevés sur le grand capital. Jusqu’ici l’augmentation de la dette publique a été indolore car les taux d’intérêt sont proches de zéro. Actuellement le taux d’intérêt réel sur la dette publique est même négatif vu que l’inflation dépasse 5 %. La réserve fédérale va progressivement faire remonter les taux d’intérêt mais il n’y aura pas de graves problèmes à court ou moyen terme. Aux États-Unis, le volume de la dette publique poursuivra son ascension sans que cela provoque de grandes commotions.

La question des dettes réclamées abusivement aux classes populaires va gagner en importance au cours des prochaines années

Les dettes des ménages des classes populaires ont augmenté au cours des 10 dernières années mais les aides sociales sous forme de chèques envoyés en 2020-2021 par les pouvoirs publics ont allégé provisoirement le poids du remboursement. De plus, tant l’administration Trump que l’administration Biden ont suspendu provisoirement le remboursement d’une série de dettes : les dettes étudiantes, les dettes hypothécaires dans certains cas, certaines dettes de loyers également, sans oublier certaines dettes de petites entreprises. Mais ces mesures finiront et progressivement la situation se tendra. Certaines échéances sont connues : mai 2022 pour les dettes étudiantes dont le montant total dépasse 1 600 milliards de dollars. Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez demandent l’annulation totale. Des mouvements en faveur de l’effacement de ces dettes sont en cours et en préparation.

La question des dettes réclamées abusivement aux classes populaires va gagner en importance au cours des prochaines années.

En ce qui concerne les dettes étudiantes Barack Obama avait réalisé quelques annulations partielles (dont le coût a été assumé par les pouvoirs publics et pas par les prêteurs), il est possible que Biden en fasse autant. Cela dépendra notamment des mobilisations. Affaire à suivre.

La dette des grandes entreprises privées a très fortement augmenté au cours des dernières années. En cas de remontée des taux, il est possible que des faillites se produisent et qu’une nouvelle crise financière se déclenche.

 Conclusions

La politique de l’administration Biden, au-delà des effets d’annonces et des promesses non tenues, s’inscrit largement dans la continuité de l’offensive du capital contre les classes populaires. Il n’y a pas un tournant social qui est réellement amorcé et qui romprait avec 40 ans de politiques néolibérales.

Personne à gauche ne va regretter Trump mais de là à se faire des illusions sur Biden, il y a des limites à ne pas franchir.

Biden et le parti démocrate déçoivent des secteurs des classes populaires qui les avaient soutenus face à Trump et aux candidats républicains à l’automne 2020. Au cours de l’année 2021, lors de plusieurs élections partielles, cette déception s’est exprimée dans les urnes et les Républicains ont renforcé leur position. Les élections d’octobre 2022 risquent d’aboutir à une perte de majorité des Démocrates au parlement et au Sénat, cela augmentera la tendance à la continuité. Une victoire républicaine aux élections présidentielles de 2024 est possible.

La gauche dans le parti démocrate et en dehors de celui-ci saura-t-elle trouver le chemin pour se renforcer et rompre le système bipartisan si bien décrit par Friedrich Engels il y a 130 ans ? C’est la grande question historique. Le mouvement populaire qui aux États-Unis a connu des moments forts comme lors du Black Lives Matter ou lors des mobilisations féministes pourra-t-il se consolider ? Les salarié·es marqueront-ils/elles des points contre le patronat ? La jeunesse entrera-t-elle dans une succession de combats qui prolongeront le Black Lives Matter, qui porteront sur l’environnement, sur les dettes… Les réponses à ces questions sont ouvertes et d’une grande importance pour tous les peuples de la planète.

Notes:

[2Financial Times, 27-28 novembre 2021, “Democrats’ tax relief plan leaves bitter taste for party leftwingers” https://time.com/6128775/salt-cap-democrats-divided/ ; https://www.ft.com/content/712d0a22-8aa1-4204-b93a-3653c1f5bb5e “According to analysis by both the non-partisan Tax Policy Center and the fiscally hawkish Center for a Responsible Federal Budget think-tanks, 94 per cent of the benefits of increasing the Salt cap to $80,000 would go to the top quintile of earners nationwide — who make at least $175,000 a year — with 70 per cent going to the top five per cent.”

[3Le contenu de cet encadré est un extrait de Éric Toussaint « Coronavirus : Biens communs mondiaux contre Big Pharma » https://www.cadtm.org/Coronavirus-Biens-communs-mondiaux-contre-Big-Pharma

[4Public Citizen, « Statement : Moderna Vaccine Belongs to the People », publié le 16 novembre 2020,
https://www.citizen.org/news/statement-moderna-vaccine-belongs-to-the-people/

[5Public Citizen, « How to Make Enough Vaccine for the World in One Year », publié le 26 mai 2021, https://www.citizen.org/article/how-to-make-enough-vaccine-for-the-world-in-one-year/

[6Financial Times, 9 décembre 2021. Extrait de l’article du FT : « « Ce qui inquiète les banques de Wall Street, c’est que je vais être un régulateur indépendant, à l’esprit fort, qui n’est pas l’un des leurs, qui ne leur est pas redevable », a-t-elle déclaré au FT.
(…) Jon Tester, sénateur démocrate du Montana, et Mark Warner, de Virginie, ont tous deux exprimé des inquiétudes au cours de l’audition concernant les critiques antérieures d’Omarova sur certains aspects d’un projet de loi de 2018 qu’ils avaient défendu et qui avait assoupli les réglementations pour les banques communautaires. Tester a également remis en question sa proposition d’une autorité nationale d’investissement soutenue par l’État, qui, selon lui, pourrait décider à quels secteurs de l’économie prêter de l’argent. »

[8Nouvel Observateur, « Bavure américaine de fin août à Kaboul : pas de sanctions, colère de la famille des victimes » https://www.nouvelobs.com/monde/20211213.AFP5613/bavure-americaine-de-fin-aout-a-kaboul-pas-de-sanctions-colere-de-la-famille-des-victimes.html

Eric Toussaint pour La Pluma

Edité par María Piedad Ossaba

Traductions disponibles: Español English

Publié par CADTM