Chili soulagé : ni fascisme ni communisme, bien au contraire…

L’atmosphère d’émotions exprimée par les hommes et les femmes du peuple dans la rue, presque en larmes, est surprenante…

La banque gagne : ni spectre du fascisme, ni du communisme

Qui a parlé de terreur ? Hier soir [le dimanche 19, NdE], au milieu des congratulations entre Boric et le « président » Piñera, entre Boric et « José-Antonio » Kast et entre les personnages de l’élite – les deux droites et les damoiseaux du Frente Amplio, la peur s’est dissipée d’un seul coup, et en moins d’une demi-heure, les deux spectres, celui du fascisme et celui du communisme, se sont évanouis. La République avait été sauvée.

  • Une grande opération médiatique qui a réussi à attirer 5 d’électeurs supplémentaires, surtout dans les secteurs populaires, qui ont crié sans retenue leurs désirs dans les rues, tout comme les secteurs moyens, bien que sur un ton légèrement plus modéré, se sont réjouis, donnant un air de légitimité au système politique et à son institutionnalité électorale. Remarquable.

S’il n’y avait pas les franges capturées par la peur, qui ont voté sans conviction et même avec la nausée – une bonne partie de ces 5 points de pourcentage supplémentaires – et un contingent qui a explicitement appelé à ne pas voter, on pourrait dire que le potentiel de la Révolte a été définitivement annulé hier soir. Mais non, même si nous ne sommes qu’au début d’un grand chantier de restauration.

Viennent maintenant la négociation, la composition et la durée du premier cabinet de Boric, surtout à la lumière du boycott des transports d’hier, comme un avant-goût des tactiques menaçantes que le capital peut répéter pour obtenir un cabinet ami, car sinon, nous le savons déjà : grève des investissements, spéculation sur le dollar, fuite des capitaux, coupure des réseaux numériques, arrêt du commerce, etc. Le capital opérera pour faire passer non seulement le langage mais aussi les intentions un peu plus loin que ce que le désormais président élu a déjà fait avant le second tour. Et nous savons que Boric – quels que soient ses efforts – n’a pas la stature politique d’Allende pour résister aux menaces du capital local et encore moins à celles de l’impérialisme…

Peut-être capitulera-t-il, d’abord en politique étrangère – décevant les progressistes latino-américains qui l’ont encensé – puis en politique intérieure, et alors il nous dira soudain à la télévision nationale qu’il avait tort et que les chaînes sont effectivement nécessaires pour imposer l’ordre, et ce Gabriel se transformera en un autre Gabriel, González Videla, cette fois du XXIe siècle [1]. Le premier test décisif sera peut-être le Wallmapu [pays mapuche, NdT], une guerre qui lui servira de prétexte pour brandir le sabre, obtenir la reconnaissance des forces armées et des polices, et inaugurer la nouvelle saison des réprimandes et des punitions pour les peuples. Certes, légitimer la loi anti-barricades et refuser la grâce générale aux prisonniers politiques de la révolte du 18 Octobre ne revient pas à imposer une nouvelle « loi maudite » [Loi de Défense permanente de la Démocratie, adoptée en 1948 et abrogée en 1958, interdisant le Parti communiste, NdT] et à déchaîner la répression sur le peuple, mais qui sait ?

Dans un autre registre parallèle, la droite s’est redressée par rapport aux résultats des élections à la Convention constitutionnelle : elle est passée de 22% à 44% des voix avec un taux de participation en hausse et l’a fait autour de la droite la plus dure, alors que dans le même temps, la droite concertacionniste s’est également recomposée sous l’aile du petit monsieur. Dans la perspective du mois de mars prochain, du remplacement de Piñera par un gouvernement légitimé, d’une Convention constituante dotée d’une nouvelle direction et de nouvelles tâches, et d’un peuple à nouveau enthousiaste, il n’est pas du tout hasardeux de dire que le système politique a reçu un nouveau souffle, du moins temporairement. Seul le parlement sera un champ de bataille difficile.

Et c’est l’une des clés de la sortie par le haut de la crise politique précipitée par la révolte d’octobre 2019, car une fois de plus, des secteurs importants du peuple seront objectivement expropriés de leur rôle de protagonistes en le cédant à nouveau au système, et subjectivement domestiqués par des illusions et des espoirs infondés. L’atmosphère d’émotions exprimée par les hommes et les femmes du peuple dans la rue, presque en larmes, est surprenante… des scènes similaires à celles de la victoire de Bachelet – la première femme présidente, une femme séparée et une femme victime de violations des droits humains – ou au lendemain du référendium de 1988, lorsque beaucoup de personnes ont embrassé des militaires et des policiers. Combien de temps cette nouvelle fable durera-t-elle ? 30 ans ?

Difficile. Car, malheureusement, ces groupes majoritaires seront une fois de plus confrontés à la dure réalité. Et ceux d’entre nous qui ont lutté pour la constitution du Peuple comme sujet politique, étranger à tout cynisme, ne peuvent que contribuer à briser et à faire fuir l’illusionnisme, à intensifier les appels à se redresser et à résister à la cooptation, au désarmement et à la répression comme nous y avons collectivement résisté depuis la transition jusqu’à aujourd’hui.

Avec ce résultat électoral, la fin de partie (politique) galope au sommet tandis que la résistance d’en bas claudique, hésitante et peu sûre, avec le danger que les franges populaires rupturistes arrivent au référendum de sortie [de la transition avec une nouvelle constitution, NdT] résignées à la logique du moindre mal ou vulnérables au chantage d’en haut qui, avec Boric à la tête, obligera le peuple à accepter ce que la Convention constituante offre ou à « continuer avec la constitution de Pinochet ».

Mais nous avons des conditions plus favorables pour que cela ne se produise pas : au moins depuis octobre 2019, les franges populaires sont tendanciellement politisées. Une partie de ces 5% supplémentaires qui sont passés de l’abstention à un vote forcé par la situation, ainsi que les fractions d’abstentionnistes actifs, constituent une réserve minimale pour une ligne de front capable de soutenir l’esprit rebelle de ce grand soulèvement populaire qu’a été Octobre. Il existe un nouvel atout des organisations et des collectifs, dotés de l’expérience et de la mémoire des luttes populaires récentes, un atout qui problématise, apprend, essaie, s’empare du verbe et propose des pistes.

Nous savons que ces forces sont faibles, mais elles sont plus faibles en raison de la dispersion et de l’éloignement artificiel qu’en raison de leur nombre. Il s’agit d’œuvrer intelligemment et généreusement à leur convergence, à leur unité, de dépasser le sectarisme et d’unir leurs volontés. Et pas seulement pour faire face à la crise politique en cours et à ses sorties par le bas, mais aussi parce que stopper la dynamique actuelle d’un capitalisme qui nous conduit au suicide collectif est devenu un impératif éthique incontournable dans nos vies.

[1] Ce rapprochement de personnages a été suggéré par Sergio Rodríguez Gelfenstein dans son article Du Venezuela au Chili, de Caldera à Boric : un seul Chávez et un seul Salvador

Annexe

Pour ceux qui auraient la mémoire qui flanche

Liste des personnes tuées pour avoir combattu d’octobre 2019 à décembre 2021

JUSTICE !

Nom/Age/Date du décès

1 Mateusz Maj, 30, 19 de octubre
2 Paula Lorca, 44, 19 de octubre
3 Alicia Cofre, 42, 19 de octubre
4 Renzo Barboza, 38, 20 de octubre
5 Manuel Muga, 59, 20 de octubre
6 Andres Ponce, 38, 20 de octubre
7 Yoshua Osorio, 17, 20 de octubre
8 Julián Perez, 51, 20 de octubre
9 Luis Salas, 47, 20 de octubre
10 Romario Veloz, 26, 20 de octubre
11 Kevin Gómez, 23, 20 de octubre
12 Jose Arancibia, 74, 21 de octubre
13 Eduardo Caro, 44, 20 de octubre
14 Manuel Rebolledo, 22, 21 de octubre
15 Jose Uribe, 25, 21 de octubre
16 Sin identificar (hombre), 21 de octubre
17 Alex Nuñez, 39, 22, de octubre
18 Mariana Diaz, 34, 21 de octubre
19 Joel Triviño, 4, 22 de octubre
20 Cardenio Pardo, 37, 22 de octubre
21 Agustin Coro, 52, 24 de octubre
22 Maicol Yagual, 22, 25 de octubre
23 Cesar Mallea, 46, 25 de octubre
24 German Aburto, 30, 26 de octubre
25 Héctor Martínez, 57, 01 de noviembre
26 Robinson Gómez 27, 12 de noviembre
27 Sin identificar (Mujer), 13 de noviembre
28 Abel Acuña, 27, 15 de noviembre
29 Sin identificar (hombre), 21 de diciembre
30 Sin identificar (hombre), 21 de diciembre
31 Mauricio Fredes 33, 27 de diciembre
32 Jorge Mora, 37, 28 de Enero
33 Sergio Aburto, 22, 30 de enero
34 Sin identificar (hombre), 30 de enero
35 Ariel Moreno, 24, 31 de enero
36 Irma Gutierrez, 07 de febrero
37 Sin identificar (hombre), 01 de marzo
38 Danilo Cárdenas, 29, 04 de Marzo
39 Alexis Aguilera, 20, 06 de marzo
40 Cristian Valdebenito, 46, 07 de marzo
41 Sebastian Quevedo, 27, 21 de diciembre
42 Daniela Carrasco, 19 de octubre
43 Esteban Conche, 15, 24 de noviembre
44 Aníbal Villarroel, 26, 18 de octubre
45 Francisco Martínez, 27, 05 de febrero
46 Camilo Miyake, 27, 07 de febrero
47 Jaime Veizaga, 23, 09 de febrero
48 Francisco Reyes, 25, de octubre
49 Javier Cornejo, 24, 30 de octubre
50 Valeska Carmona, 33
51 Cristian Tapia, 24, 12 de enero
52 Emilia Herrera, 17 de Febrero
53 Angela González, 29, de marzo
54 Patricio Machuca, 28 de marzo
55 Pablo Marchant, 29 de julio
56 Denisse Cortés, 10 de octubre
57 Isidora Bravo, 2 de octubre
58 Juan Garabito, 18 de octubre
59 Juan Antonio, González, 20 de octubre
60 Jordán Liempi, 03 de noviembre
61 Patricio Pardo, 10 de diciembre
62 Juanito Garay, 13 de noviembre

LE PEUPLE NE PEUT PAS CONTINUER À ENTERRER SES MORTS

(Source : Poder Popular Chile)

Rafael Agacino

Original: Chile aliviado: ni fascismo ni comunismo sino todo lo contrario…

Traduit par Fausto Giudice

Source: Tlaxcala, le 21 décembre 2021

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