Le James Bond sioniste ? Comment un agent du Mossad a contribué à asseoir le régime brutal de Noriega au Panama

La nature complète de l’activité de Harari au Panama n’apparaîtra que lorsque le Mossad et les censeurs militaires israéliens autoriseront la publication de plus de détails. Personne ne se fait l’illusion que cela se produira de sitôt.

Des documents déclassifiés du ministère israélien des Affaires étrangères font la lumière sur les liens secrets tissés par un homme d’affaires israélien et agent du Mossad avec la dictature militaire qui a régné sur le Panama pendant 20 ans.

Mike Harari, homme d’affaires israélien et agent du Mossad, alias « le James Bond sioniste », derrière le général Manuel Noriega, à gauche, en Israël. Il dirigea de 1972 à 1979 l’unité “Kidon” (Baïonette) du Mossad chargée de mener l’opération “Colère de Dieu”, qui consista en l’exécution de 14 Palestiniens et Arabes à travers l’Europe et le bassin méditerranéen, pour venger la mort des athlètes israéliens à Munich, due principalement au cafouillage total de la police allemande dans la prise d’otages [NdT]

Hugo Spadafora* a été enlevé en plein jour en septembre 1985. Médecin local dans une petite ville de l’est du Panama, le Dr Spadafora était depuis longtemps dans le collimateur du régime militaire pour les critiques virulentes qu’il osait formuler à son encontre. Le chef incontrôlé du régime, le général Manuel Noriega, a ordonné que Spadafora soit enlevé et torturé à mort ; des morceaux de son corps décapité ont été retrouvés en train de moisir dans un sac postal. Les résultats des tortures qu’il avait subies étaient clairement visibles. Sa tête n’a jamais été retrouvée.

Néanmoins, certains diraient que la famille Spadafora a eu de la chance. Contrairement à la longue liste d’opposants à la junte militaire au Panama qui ont « disparu », ils avaient au moins un corps à enterrer. La torture, les enlèvements, les meurtres et les disparitions faisaient partie intégrante de la réalité quotidienne au Panama depuis un coup d’État militaire en octobre 1968. Le régime tyrannique a conservé le pouvoir jusqu’à ce qu’il tombe en disgrâce auprès de son protecteur usaméricain. Lorsque Noriega a refusé de céder le pouvoir, les USA ont envahi le Panama et l’ont déposé par la force. C’était à la fin de 1989.

La dictature au Panama a effectivement perduré pendant 22 ans grâce au soutien usaméricain, mais les USA n’étaient pas le seul pays à soutenir le brutal régime militaire. Israël avait également des intérêts sécuritaires dans ce pays d’Amérique centrale et a maintenu des liens étroits avec le gouvernement, ignorant systématiquement ses violations des droits humains et sa corruption endémique.

Aujourd’hui encore, la plupart des faits concernant les relations des USA et d’Israël avec la junte panaméenne restent inconnus. L’armée usaméricaine est en possession d’une archive de milliers de caisses de documents classifiés relatifs au général Noriega. Du côté israélien, les documents pertinents du Mossad datant de cette période restent également inaccessibles au public. Ce qui est clair, c’est qu’à l’époque, tant Israël que les USA avaient des intérêts politiques et sécuritaires liés non seulement au Panama et à son célèbre canal, mais à toute l’Amérique centrale et du Sud. Un exemple en est l’affaire Iran-Contra du milieu des années 1980, au cours de laquelle Noriega a aidé les USA et Israël à armer les forces rebelles qui cherchaient à renverser le gouvernement socialiste du Nicaragua.

Des documents du ministère des affaires étrangères israélien récemment déclassifiés par les archives d’État israéliennes jettent un peu de lumière sur les liens qu’Israël entretenait avec les dirigeants despotiques du Panama. Les dizaines de dossiers comprennent des câbles de l’ambassade d’Israël à Panama City, informant le ministère à Jérusalem des développements locaux. Quels étaient exactement les intérêts d’Israël au Panama ? Les documents ne le disent pas. Ce qu’ils précisent sans équivoque, c’est que les liens militaires et politiques d’Israël avec le Panama ont été gérés pendant les décennies en question par le Mossad, à l’exclusion totale du ministère des Affaires étrangères.

Ainsi, de nombreux câbles mettent en scène un personnage central : Michael « Mike » Harari, l’agent principal du Mossad qui a créé l’unité d’assassinat de l’agence d’espionnage et a été surnommé le « James Bond sioniste » par les journalistes israéliens. Harari entretenait des relations étroites avec les dirigeants de la junte militaire du Panama lorsque celle-ci était au pouvoir. Peu avant sa mort en 2014, Harari a déclaré au journaliste Ronen Bergman dans une interview que Noriega avait été un collaborateur de haut rang au service de l’establishment de la défense d’Israël.

Harari s’est retiré du Mossad officiellement en 1980, mais il a continué à opérer au Panama bien après : en apparence, c’était un homme d’affaires proche du régime qui servait d’éminence grise à l’homme fort Noriega, mais en parallèle, il continuait à agir au Panama pour le compte du Mossad. Les documents révèlent que l’ambassade à Panama City était furieuse du double rôle qu’il jouait. Parfois, ils ne savaient tout simplement pas ce qui le motivait : agissait-il pour le compte de l’État d’Israël ou pour servir ses propres intérêts commerciaux ?

Les documents dont la publication a été autorisée au cours des derniers mois décrivent les moyens utilisés par Harari pour aider Noriega à conserver le pouvoir. Il apparaît que l’agent né à Tel Aviv était l’un des principaux acteurs d’un plan politique visant à faire pencher une élection en faveur de son client panaméen. Dans le cadre de ce complot, Harari a distribué un livre fabriqué de toutes pièces qui accusait le rival de Noriega, le Dr Arnulfo Arias, d’avoir perpétré un massacre de juifs du pays. Harari était perçu comme un personnage si important au Panama que, durant les dernières années du régime militaire, Washington a exigé qu’Israël l’expulse du pays. Les Yankees étaient convaincus que ce ne serait qu’en débarrassant le pays de Harari qu’il serait possible de mettre fin au règne de Noriega, et ils n’ont apparemment pas hésité à menacer Israël pour atteindre cet objectif.

Le général Noriega quitte le palais présidentiel de l’Elysée à Paris après une rencontre avec le président français François Mitterrand, le 19 juin 1984. Photo  Hervé Merliac / ASSOCIATED PRESS

Les câbles récemment publiés envoyés par l’ambassade à Panama City tout au long des années de la dictature dressent un portrait saisissant du régime dictatorial qui a été forgé. Ils révèlent un cycle continu de violations des droits humains, de corruption, de protestations populaires et de répression perverse de la dissidence. Dans un câble daté du 25 novembre 1969, un an après la prise du pouvoir par le coup d’État militaire dirigé par Omar Torrijos, l’ambassade informe le ministère des Affaires étrangères d’une nouvelle loi récemment promulguée. « Le gouvernement peut arrêter une personne sans décision de justice » , écrit l’ambassadeur Yehiel Eilsar, qui ajoute : « Il est interdit aux individus de formuler des critiques négatives à l’encontre du gouvernement, d’un ministre ou d’un fonctionnaire. » Un câble daté du 21 octobre 1970 note que les étudiants politiquement actifs des universités et des lycées sont expulsés ; en outre, une unité secrète de sécurité et d’espionnage a été créée au sein de la Garde nationale du Panama. Quelques semaines plus tard : « Il ne fait aucun doute que le réseau de la Garde nationale est déployé pour chaque événement, activité, spectacle ou phénomène civil, parfois ouvertement, parfois clandestinement. »

En mai 1971, Eilsar a commencé à rapporter à Jérusalem l’enlèvement et la disparition d’un prêtre local, Hector Gallego Herrera – un incident qui a suscité des protestations de l’opinion et de l’Église catholique. Eilsar n’avait aucun doute sur l’identité des auteurs de l’acte : Le colonel Noriega, alors chef de la police secrète. « Le colonel Noriega est connu pour être ambitieux, rusé et intelligent, et comme une personne qui aime faire les choses de sa propre initiative, comme l’enlèvement du père Gallego », écrit l’ambassadeur plus tard cette année-là.

Les activités de Noriega et Torrijos à l’époque n’ont pas affecté leurs relations ouvertes avec Israël. Un document biographique sur Noriega rédigé par le ministère israélien des Affaires étrangères indique qu’il a suivi un cours de renseignement et de défense en Israël, ainsi qu’un entraînement de parachutisme. Selon des câbles envoyés par l’ambassade à Panama City, les deux hommes se sont également rendus en Israël à diverses occasions. En mai 1970, Torrijos – qui a été chef de facto du pays jusqu’en 1981 mais n’a jamais été officiellement nommé président – a effectué une visite officielle, suivi quelques mois plus tard par Noriega. Ce dernier s’est également rendu en Israël en 1984. Yitzhak Rabin, alors chef d’état-major et député travailliste, se rend au Panama et rencontre Noriega en décembre 1983 ; le ministre des Affaires étrangères Yitzhak Shamir l’y rencontre un an plus tard.

Après la mort de Torrijos dans un mystérieux accident d’avion en juillet 1981, une lutte éclate pour la direction de la Garde nationale, de laquelle Noriega sort triomphant. Il cherche à consolider sa position en nommant un président fantoche du nom de Nicolas Ardito Barletta, qui suivra la ligne aux élections de 1984.

Mais un obstacle majeur à ce plan est apparu : Arias, le chef de l’opposition, qui avait été président à trois reprises avant le coup d’État militaire. Arias est extrêmement populaire et est perçu comme la seule personne capable de mettre fin à la junte. Tous les pronostics laissaient penser qu’il remporterait l’élection.

Selon l’ambassade d’Israël au Panama, le général Noriega n’accepterait pas une victoire d’Arias. Selon un câble daté du 15 mars 1984, envoyé par l’ambassadeur Yosef Hassin, « Très peu de commentateurs croient en l’existence d’ élections libres et non truquées. Tout le monde croit que le général Noriega fera tout ce qu’il peut pour empêcher l’élection d’un président qui ne lui plaît pas, y compris un coup d’État ou la falsification des résultats de l’élection ».

C’est ce qui s’est passé : l’homme fort a agi pour liquider politiquement son rival au moyen d’une campagne de prévarication et de diffamation – et il a été aidé dans cette entreprise par nul autre que Mike Harari, un homme du Mossad apparemment retraité.

 Harari. Le sous-secrétaire d’État adjoint usaméricain a recommandé qu’il quitte le Panama, ajoutant : « Pour le bien d’Israël, cette personne doit partir immédiatement .» Photo David Bachar

Les documents du ministère des Affaires étrangères n’indiquent pas clairement quand Harari est arrivé au Panama. Le premier câble qui le mentionne est daté du 25 juillet 1980. Rédigé par l’ambassadeur de l’époque, Chanan Olami, il note qu’en ce qui concerne l’activité pro-palestinienne au Panama : « Mike Harari du Mossad peut nous être utile en raison de ses liens avec Torrijos ».

Harari est mentionné une deuxième fois dans une correspondance d’Olami à Jérusalem, en août 1983, dans laquelle il rend compte de la cérémonie au cours de laquelle Noriega est devenu chef de la Garde nationale : « Le CV du général Noriega, qui a été lu lors de la cérémonie et distribué au public, note qu’il a suivi des cours en Israël, et que parmi ses invités privés invités de l’étranger, l’un de ceux qui ont été présentés à l’assistance était le général Mike Harari d’Israël. »

Le plan concocté par Harari et Noriega pour battre Arias est décrit de manière lucide dans les câbles envoyés par l’ambassadeur Hassin. L’élément central est l’écriture et la distribution d’un livre intitulé « Holocauste au Panama », qui invente un chapitre du passé du candidat présidentiel Arias. Selon ce livre, le leader de l’opposition aurait ordonné le meurtre de Juifs d’origine allemande qui avaient immigré au Panama lors de son premier mandat présidentiel, en 1941.

L’écriture et la distribution du livre ont été financées par la Garde nationale et, selon l’ambassadeur d’Israël, « les droits de distribution du livre ont été acquis par Mike Harari. »  Les exemplaires du livre ont été stockés dans le bâtiment de la légation d’Israël à Panama, sans l’autorisation de l’ambassadeur, tandis que Harari attendait un « feu vert de l’armée pour commencer à les distribuer au public. »

Bien que les allégations du livre fussent fausses, elles s’appuyaient sur une période sombre du passé d’Arias. Dans les années 1930, il avait été ambassadeur du Panama dans l’Italie de Mussolini. Il était fasciné par le fascisme et sympathisait avec le régime nazi. Il est apparu plus tard que le ministère des affaires étrangères de Jérusalem était indulgent sur cette question. « Pour autant que nous le sachions, Arias était effectivement un envoyé en Europe pendant la période du nazisme, et comme beaucoup d’autres de la même classe (comme l’Argentin Juan Perón), il éprouvait de la sympathie pour le régime », écrit Herzl Inbar, directeur du bureau Amérique latine au ministère des Affaires étrangères, en mars 1983. « Cependant, nous n’avons pas connaissance de déclarations ou d’actes antisémites et anti-israéliens durant son activité politique au Panama. »

La communauté juive du Panama avait la même impression. À la suite d’une réunion qu’Arias a tenue pendant sa campagne présidentielle avec des représentants de la communauté, ces derniers sont repartis avec le sentiment qu’il s’agissait « d’un événement de l’histoire lointaine où le nationalisme extrême était à la mode. Mais aujourd’hui, il n’éprouve aucun sentiment anti-juif et il désire être proche d’eux, et leur souhaite bonne chance », écrit Hassin le 14 mars 1984.

Un mois plus tard, l’ambassadeur rapporte dans un câble que la large distribution du livre avait pour but non seulement de dissuader la petite communauté juive de 5 000 âmes et d’autres de soutenir Arias, mais aussi de lancer « une campagne de peur face à sa politique raciste. Selon celle-ci, il expulsera tous les Chinois, les Nègres, les Juifs et les Indiens du Panama. »

 Arnulfo Arias. Photo Ralph K. Skinner / AP

Le complot fut couronné de succès : « Holocauste au Panama » fit des gros titres sensationnels et fut largement couvert par tous les médias locaux. Dans un câble adressé à Jérusalem le 5 avril 1984, Hassin note : « La presse est remplie de gros titres et de descriptions détaillées de l’effusion de sang juif et du meurtre d’enfants juifs par Arnulfo Arias ».

L’histoire fabriquée, ajoutait-il, causait beaucoup de désarroi dans la communauté juive : « Il y a de la colère et de l’embarras parmi les Juifs parce qu’ils sont utilisés dans une affaire qui, selon eux, est fabriquée dans sa forme et son contenu. Une pétition comportant 50 signatures de Juifs de la communauté déclare qu’il n’y a jamais eu d’antisémitisme, de discrimination ou de meurtre de Juifs au Panama, et qu’ils ne disposent d’aucune information ou preuve concernant cette affaire. »

Hassin n’a pas seulement accepté les vigoureuses dénégations d’Arias concernant toute implication personnelle dans le meurtre présumé, il était également convaincu qu’une telle atrocité n’avait jamais eu lieu.

« Il est vrai qu’il y avait une communauté germano-suisse dans la région de Chiriqui [à l’ouest du Panama], dont on ne sait pas si elle était entièrement, partiellement ou du tout composée de Juifs », écrit l’ambassadeur le 26 avril. « On ne sait pas ce qu’il leur est arrivé au fil du temps – s’ils sont retournés en Europe, sont morts de maladie, ont été assassinés ou dispersés dans d’autres villes du Panama.»

Les élections eurent lieu le 6 mai. Le 22 mai, Hassin a rapporté qu’il avait entendu des questions du type : « Si toutes les accusations contre Arias sont documentées dans le livre, pourquoi le gouvernement du Panama ne le juge-t-il pas pour meurtre, et pourquoi le gouvernement d’Israël ne fait-il pas pression pour qu’il soit puni ? »

L’ambassadeur s’est montré très troublé par les implications possibles de cette affaire sur les relations israélo-panaméennes. « Pourquoi était-il nécessaire, en premier lieu, de permettre à un homme d’affaires privé, qui possède également un statut officiel d’État, d’impliquer l’ambassade dans un sujet dont le seul but était d’intervenir dans une élection nationale ? », écrivait-il dans un câble. « Cet épisode est susceptible de placer l’ambassade et Israël dans une position inconfortable et de nous causer des complications « , écrivait-il dans un autre câble.

« Arias pourrait gagner les élections, et quand il apprendra qu’un homme d’affaires israélien a prêté main forte à la bataille pour empêcher son élection à la présidence, nous ne nous en sortirons pas bien » Il a ajouté, dans un autre câble, « Il sera très difficile de rectifier les dommages qui ont été causés. »

Par la suite, l’envoyé israélien a appris que ce n’était pas la seule implication de Harari dans les élections. Dans le cadre de la campagne, Harari avait également promis à Noriega qu’une forêt serait plantée en Israël en mémoire du général Torrijos. Hassin était indigné. « Je ne connais aucun autre pays qui ait commémoré Torrijos », a-t-il écrit. « Il est clair pour vous que les dons qui ont été collectés pour la “forêt Torrijos” avec l’intercession de M. Harari ne sont pas le résultat d’une amitié spontanée pour Israël, mais font suite d’un ordre explicite de Noriega. » (On ne sait toujours pas si la forêt a été plantée).

Il était évident pour Hassin que l’un des principaux bénéficiaires de ces efforts d’ingérence n’était autre que Harari lui-même, « l’homme d’affaires possédant un statut officiel d’État », comme il l’avait écrit. « Entre-temps, Israël est le seul pays étranger, à avoir pris position dans la campagne électorale », écrivait-il dans un câble d’avril 1984, ajoutant avec ironie : « Par opposition aux dommages que la “forêt Torrijos” et le livre “Holocauste au Panama” vont nous causer, nous allons au moins assurer la poursuite d’excellentes relations personnelles entre un général panaméen et un “général” israélien. »

 Un char usaméricain à Panama City, 1987. Photo Borea Robert/AP

Malgré les critiques formulées par l’ambassadeur, il ressort de ses propos qu’il estime que l’intervention dans l’élection n’était pas une initiative privée de Harari mais une démarche délibérée d’Israël. « L’exercice de la forêt était superflu à mon avis », notait-il. « J’espère seulement que vous êtes guidé par des considérations gouvernementales que je ne connais pas, et que je n’ai pas besoin de connaître, et que les fruits de la forêt Torrijos sont déjà cueillis ou porteront bientôt leurs fruits. Si tel est le cas, je retire ma critique et je demande pardon à tous ceux qui opèrent avec un succès secret. »

Mais les stratagèmes n’ont pas fonctionné : Arias remporte les élections de mai 1984 avec une faible majorité. Néanmoins, le candidat de Noriega est déclaré vainqueur. Pour Israël, les USA et la communauté internationale, il est clair que les résultats ont été truqués.

Dans un rapport daté du 11 septembre 1984, résumant son séjour au Panama, l’ambassadeur Hassin décrit l’achèvement de la prise de contrôle du pays par Noriega. « Le centre du pouvoir dans le pays est l’armée, et au sein de l’armée, la personne à sa tête, et aujourd’hui c’est le général Noriega », écrit-il. « Il existe des institutions et des organisations, des syndicats et des bureaux, une Assemblée nationale et un conseil législatif, mais leur importance est négligeable. »

Hassin abordait également les activités problématiques de Harari : « Un responsable de la sécurité israélienne entretient des liens étroits et rapprochés avec le chef de l’armée, en matière de sécurité et aussi dans le cadre d’affaires privées », rapportait-il. « Ce personnage israélien a le monopole exclusif des liens commerciaux avec le gouvernement panaméen, et l’ambassade ne reçoit aucune information sur ses affaires. Cette personne sert également de liaison directe avec Israël sur des questions politico-diplomatiques, dans le cadre de ses liens avec des Panaméens officiels et privés. »

Le meurtre brutal du Dr Hugo Spadafora avait provoqué une onde de choc au Panama et déclenché de vastes protestations contre les autorités. L’opposition se renforça et les appels à la destitution de Noriega se multiplièrent. Parallèlement, la répression et la torture s’intensifièrent, la censure de la presse s’accentua et les manifestations furent interdites.

L’ambassadeur israélien suivant au Panama, Shaul Kariv, note dans son rapport résumant son mandat (1984-88), que les relations d’Israël avec le Panama n’étaient « pas très heureuses, et même problématiques, si l’on tient compte du fait que ces relations sont menées avec un régime corrompu qui est détesté par une grande partie du peuple panaméen, ou plus précisément, avec un dictateur militaire dont la destitution est exigée par une grande partie de la nation ».

À cette époque, les tensions entre les USA et le Panama ont également augmenté : l’administration de Ronald Reagan engage des mesures pour évincer Noriega. Le département d’État commence à accuser le dictateur de se livrer à des pratiques de corruption, de violer les droits humains, de se livrer au trafic de drogue et de transférer des technologies yankees aux Cubains. Le Sénat usaméricain adopte une résolution appelant Noriega à démissionner et, en juillet 1987, l’administration annonça qu’elle suspendait l’aide militaire au Panama.

Une manifestation anti-gouvernementale à Panama City après qu’une tentative de coup d’État a été écrasée par le président Noriega, le 16 mars 1988. Photo Diana Smith / AP

Mais Noriega s’accroche au pouvoir et refuse de démissionner. Là encore, Harari a joué un rôle important. Le 7 août 1987, un document provenant du Panama est transmis à l’ambassade d’Israël à Washington. Le document décrivait un plan de travail interne visant à maintenir Noriega au pouvoir. Entre autres éléments, le plan prévoyait de réprimer les rassemblements et les manifestations en déployant l’armée ; de diffuser des rumeurs sur les intentions d’arrêter, voire d’assassiner, les leaders de l’opposition et les hommes d’affaires au Panama et à l’étranger ; d’intensifier l’activité des milices pour générer un sentiment de terreur ; de contourner les sanctions économiques de l’administration Reagan en faisant directement pression sur les politiciens usaméricains ; et de renforcer la surveillance des médias et des journalistes panaméens.

Les USAméricains, pour leur part, étaient convaincus que le document « n’était pas l’idée de Noriega mais celle de Mike Harari ». Ils étaient persuadés que Harari s’efforçait de préserver le pouvoir de Noriega à tout prix, et ils étaient déterminés à faire quitter le pays à l’Israélien.

Le 6 juillet 1987, le secrétaire d’État adjoint usaméricain Elliot Abrams a rencontré Oded Eran, un représentant israélien à Washington. La conclusion du ministère israélien des Affaires étrangères qui s’ensuit est sans équivoque : « Les Américains veulent mettre fin au lien entre Noriega et Mike Harari ». Selon le compte-rendu de la réunion transmis par Yitzhak Shefi, qui travaillait au bureau Amérique latine du ministère des Affaires étrangères, Abrams a recommandé que Harari quitte le Panama, ajoutant : « Pour le bien d’Israël, cet homme doit partir immédiatement. »

Shefi a retenu de cette réunion que « les Américains sont convaincus que la contribution de Harari à la position de Noriega est cruciale et que “démonter le paquet” accélérera la chute du général et abrégera considérablement les affres de la mort du régime actuel. » Le 29 juillet, Shefi lui-même s’entretient avec Harari et constate qu’il n’est pas impressionné par les avertissements des USAméricains. « Mike lui-même s’identifie avec le gouvernement et avec Noriega », écrit le fonctionnaire. « Il n’a pas l’intention d’abandonner son ami précisément dans cette période critique ».

En mars 1988, le secrétaire d’État adjoint Bill Walker rencontre le général Noriega. La réunion a lieu au domicile de Harari, et un câble daté du 22 mars relate ce qui s’est passé. Walker a suggéré à Noriega de s’installer en Espagne et lui a promis que les USA ne demanderaient pas son extradition et que sa famille serait indemne. Le câble indique que Noriega a rejeté cette idée « avec toute une rhétorique [au cours d’une conversation] qui a duré environ quatre heures et qui peut se résumer à ‘allez au diable’ ».

Un câble envoyé à Jérusalem par l’ambassade d’Israël à Washington le 14 septembre 1988 indique : « Un Panaméen qui a des liens étroits avec l’opposition au Panama et qui travaille pour son compte à Washington, a attiré mon attention sur ce qu’il considère comme un grave préjudice causé à Israël par l’activité de Harari au Panama. Il soutient que l’opposition attribue les actions de Harari à Israël et que les relations [d’Israël] avec le Panama seront sérieusement affectées si et quand il y aura un changement de gouvernement. »

En mai 1989, une autre élection présidentielle a lieu au Panama. Le candidat de l’opposition a gagné ; Noriega a déclaré l’élection nulle et non avenue. Le 20 décembre 1989, les USA ont envahi le Panama. Noriega est arrêté puis condamné pour trafic de drogue, blanchiment d’argent et autres délits. Il a passé le reste de sa vie dans des prisons aux USA, en France et au Panama, jusqu’à sa mort en mai 2017.

Harari, qui a fui le Panama pour Israël juste avant l’invasion yankee, est mort en 2014 à l’âge de 87 ans. Les personnes qui ont prononcé son éloge funèbre ont rappelé ses actes héroïques dans diverses opérations de sécurité à travers le monde – parmi lesquels des actes de vengeance contre des Palestiniens après le massacre d’athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972, et le sauvetage d’otages lors de l’opération d’Entebbe en 1976. Les documents déclassifiés du ministère des Affaires étrangères ne donnent toutefois pas de détails sur les services que Harari a fournis au général Noriega, si ce n’est en ce qui concerne l’élection de 1984. Mais la demande très inhabituelle des USA d’expulser un agent du Mossad d’un pays étranger indique que ces services étaient d’une grande importance. La nature complète de l’activité de Harari au Panama n’apparaîtra que lorsque le Mossad et les censeurs militaires israéliens autoriseront la publication de plus de détails. Personne ne se fait l’illusion que cela se produira de sitôt.

Note de Tlaxcala

*Ce que l’auteur de cet article semble ignorer, c’est que Hugo Spadafora (1940-1985) n’était pas un simple « médecin local ». Ce Panaméen de parents italiens a obtenu son diplôme de médecin à Bologne (Italie), puis a poursuivi ses études en Égypte où il a rencontré les combattants de Guinée-Bissau en lutte contre le colonialisme portugais, qu’il a rejoints. De retour au Panama en 1967, il continue à pratiquer la médecine jusqu’au coup d’État de 1968 qui renverse Arnulfo Arias. À cette époque, il décide de rejoindre la guérilla urbaine qui lutte contre le coup d’État militaire, mais il est emprisonné pendant plusieurs semaines. Il a été libéré sur parole grâce à la pression de son père, qui connaissait Omar Torrijos Herrera. Pendant son séjour en prison, il a parlé avec Torrijos lui-même de la révolution et des préoccupations sociales, et ils sont devenus amis. Malgré ses critiques initiales du régime d’Omar Torrijos, il a été nommé vice-ministre de la santé en 1976. Le 15 septembre 1978, il démissionne de son poste de vice-ministre et rejoint les sandinistes dans la lutte contre la dictature de Somoza au Nicaragua, créant la Brigade internationale Victoriano Lorenzo et plus tard la Brigade internationale bolivarienne. À son retour au Panama, le 13 septembre 1985, il est assassiné par les forces de défense panaméennes, sous le commandement du général Noriega. Son corps décapité, castré et les ongles arrachés, a été retrouvé à Laurel de Corredores, dans la banlieue de Chiriquí. Sa tête n’a jamais été retrouvée. L’écrivain cubain vivant à Berlin Amir Valle lui a consacré une biographie romancée (en espagnol seulement): Hugo Spadafora – Bajo la piel del hombre (Panama 2013).

Eitay Mack איתי מאק إيتاي ماك

Original: The Zionist James Bond? How a Mossad agent helped entrench Noriega’s brutal regime in Panama

Traducido por Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Traducciones disponibles:  Italiano Español

Source: Tlaxcala, le 11 avril 2021

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