Le racisme et les réfugiés du capitalisme hégémonique

Le racisme, l’exploitation de ceux qui sont en bas de l’échelle, n’est ni créé ni détruit, il est seulement transformé.

Les crises de réfugiés à la frontière sud des USA ne sont pas la conséquence d’une quelconque invasion étrangère mettant en danger la sécurité nationale. Ils ne sont même pas la conséquence des « politiques douces de Washington », comme le répètent ad nauseam les politiciens et les grands médias de ce pays. Elles sont la conséquence de l’intersection de diverses contradictions du capitalisme hégémonique d’aujourd’hui.

 

D’une part, nous avons la loi de l’offre et de la demande et, d’autre part, une longue tradition d’interventionnisme de la part de la superpuissance qui, depuis le XIXème  siècle, sans relâche et au nom de la lutte contre la corruption, a encouragé la corruption dans « les chaotiques républiques de Nègres ». Au nom de la liberté, de la démocratie, de la paix et des droits de l’homme, elle a imposé une cohorte prolifique de protectorats, de dictatures civilo-militaires, de terrorisme paramilitaire et d’escadrons de la mort, y compris dans les soi-disant démocraties. La crise frontalière, telle que répétée et amplifiée par la presse et les politiciens, n’est pas une crise pour les USA. C’est une crise uniquement pour les pauvres et les déplacés par le même système de capitalisme hégémonique qui les diabolise.

Pour résoudre les contradictions du capitalisme, les effets indésirables de la sacrosainte loi de l’offre et de la demande, il y a les lois des politiciens au service des entreprises et au nom de la défense de tout un pays. En ce sens, toutes les lois sont anticapitalistes, car elles contredisent, limitent ou empêchent l’expression immédiate de l’offre (le travail immigré) et de la demande (la consommation intérieure). C’est ici que l’impérialisme semble essayer de résoudre les contradictions de sa propre idéologie et, en marge de ses lois, apparaissent les récits de « nos frontières » à « défendre contre l’invasion » par les pauvres et la « lutte altruiste pour la liberté » par des interventions au-delà des frontières étrangères. Dans la liberté fictive du marché, la liberté n’est acceptée que lorsque ceux qui ont le pouvoir imposent leur liberté à ceux qui sont libérés par eux. Pour ces mêmes raisons, dans des pays comme les USA, depuis plus d’un siècle, les lois sont écrites par les entreprises capitalistes, pour se protéger des conséquences indésirables de la liberté du libre marché et, surtout, pour se protéger de la liberté de ceux qui sont en bas de l’échelle, c’est-à-dire les pauvres, les races inférieures, les pays périphériques.

Une fois l’excuse du communisme passée (aucun de ces « pays de merde » n’est communiste, mais plus capitaliste que les USA), on revient aux excuses raciales et culturelles du siècle précédant la guerre froide. Tout travailleur à la peau foncée est considéré comme un criminel, un violeur ; pas un être humain, pas une opportunité de développement mutuel. Les lois sur l’immigration elles-mêmes sont terrifiées par les travailleurs pauvres. Quiconque a déjà demandé un visa sait qu’avant de se présenter à une ambassade des USA, où que ce soit dans le monde, il doit éliminer le mot « travail » de son vocabulaire personnel. Vous pouvez être un parfait tire-au-flanc avec de l’argent, et vous en vanter, mais jamais un travailleur pauvre.

Alors qu’aux USA, la Sécurité sociale et la Santé publique continuent d’être attaquées médiatiquement, de faire l’objet d’un définancement progressif de la part du gouvernement afin de transférer leurs ressources au Pentagone et de promouvoir les couvertures privées en matière de santé et de sécurité, plus de 60 000 USAméricains meurent chaque année de toxicomanie, la plupart à cause de prescriptions d’opioïdes. En 2017, selon l’Institut national sur l’abus des drogues du gouvernement usaméricain, 47 000 personnes sont mortes d’une surdose d’opioïdes. L’épidémie de ce médicament a commencé dans les années 1990, lorsque de puissantes sociétés pharmaceutiques ont assuré aux médecins que leur produit n’entraînait pas de dépendance, malgré des études qui contredisaient cette affirmation. La campagne de propagande et la manipulation des médecins ressemblaient beaucoup à celle inventée par Edward Bernays un demi-siècle plus tôt pour vendre des cigarettes, des œufs, du bacon et des coups d’État.

Mais personne ne se souvient de rien. Ils ne voient que quelques milliers de pauvres gens à pied, menaçant de détruire le pays le plus puissant du monde avec leurs pénis et leurs vagins. Alors que l’industrie pénitentiaire privée (qui reçoit des millions de dollars du gouvernement fédéral) prospère dans la partie sud du pays, l’immigration illégale et les réfugiés légaux sont criminalisés parce qu’ils sont pauvres et parce qu’ils ne sont pas de race blanche. Le business, comme tout business, a pour seul objectif d’augmenter le nombre de ses clients. Le problème est qu’ici, les clients sont des hommes et des femmes pauvres à la recherche d’une vie décente, à la recherche d’un peu de paix et de travail, qui est la seule chose terrible qu’ils savent faire. Quand ils ne sont pas des réfugiés. Comme le désespoir des autres et la propre indignation sont un business, les sociétés pénitentiaires gonflent les jours, les semaines et les mois et les candidats criminels, même s’il s’agit d’enfants, qui doivent être détenus inutilement, contre les lois internationales, mais dans le respect des lois du pays des lois.

Depuis 1980, l’émigration désespérée du Triangle Nord (Honduras, Guatemala, Salvador) a été multipliée par dix. Non pas parce que les frontières se sont ouvertes ou que les conditions de voyage sont désormais meilleures, car les migrants continuent d’utiliser leurs jambes comme principal moyen de transport et les frontières se sont militarisées de manière exponentielle. Le terrorisme paramilitaire financé par les entreprises du Nord, les guerres de Washington dans les années 1980 et ses coup d’État 2.0 dans le nouveau siècle ont produit un effet immédiat et persistant. En 2020, le flux de migrants tentant d’échapper à la violence et à la misère des néo-protectorats ultra-capitalistes d’Amérique centrale (Guatemala, Salvador et Honduras) représentera près de 90 % du total. Puisque le communisme ne peut être blâmé (pour aggraver les choses, seuls sept pour cent des migrants proviennent du « régime nicaraguayen ») et que les néo-protectorats ultra-capitalistes ne sont pas des pays soumis à un blocus, c’est leur culture malade est mise en cause. Quand ce n’est pas directement la race maudite. En réponse, Washington résiste à l’accueil de ces dangereux réfugiés, qu’il s’agisse d’enfants ou de femmes pauvres. Ce n’est pas un hasard si la superpuissance des chrétiens compatissants accueille cent fois moins de réfugiés par mille habitants que le Liban et même six fois moins que le Venezuela, appauvri et soumis à un blocus.

Sans aucun signe de changement, les politiciens usaméricains continuent de mettre en garde contre le danger des terroristes parmi les pauvres demandeurs d’asile. Rien de mieux que de faire peur au peuple avec une invasion inexistante pour éviter de parler de la violence et du massacre historique du terrorisme suprémaciste blanc. Rien de mieux que d’effrayer la classe moyenne avec le danger des pauvres à la peau foncée pour éviter de voir que deux hommes, Jeff Bezos et Elon Musk, possèdent déjà plus de richesses que quarante pour cent de la population de la superpuissance, tandis que les sans-abri et la précarisation du travail d’esclave salarié continuent de croître. Tout cela produit la défense furieuse contre ceux d’en bas par les bienfaiteurs d’en haut avec des clichés comme «les fainéants veulent nous envahir pour vivre aux crochets du gouvernement”, « es pauvres me volent mes impôt » et « la solution n’est pas de prendre aux riches mais de les aider à prospérer », comme si les riches n’avaient pas suffisamment détourné tous les progrès de l’histoire et tout le travail de ceux d’en bas qui les soutiennent et les défendent comme s’ils étaient des dieux.

Le racisme, l’exploitation de ceux qui sont en bas de l’échelle, n’est ni créé ni détruit, il est seulement transformé.

Illustrations de Patricio Betteos, revue Nexos, Mexique

Jorge Majfud

Original: El racismo y los refugiados del capitalismo hegemónico

Traduit par   Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Traductions disponibles : English 

Source: Tlaxcala, le 24 mars 2021

http://tlaxcala-int.org/upload/gal_21691.jpg