Le Prix Nobel du Pus

Dans ce contexte, les faits pourraient nous amener à affirmer que Aung San Suu Kyi, Abiy Ahmed Ali, Juan Manuel Santos et Barack Obama, comme leurs prédécesseurs Theodore Roosevelt et Woodrow Wilson, ont reçu avec reconnaissance et jubilation le prix Nobel du Pus.

Alfred Nobel était loin de penser – lorsqu’il a institué le prix qui porte son nom – qu’il deviendrait un affront à l’humanité dès le moment où il commencerait à être décerné avec des critères politiques et idéologiques et comme instrument d’exaltation des valeurs et des pratiques capitalistes.

Les prix Nobel ont été créés dans cinq domaines : la physique, la chimie, la médecine, la littérature et la paix. Ce dernier dans le but de reconnaître « la personne qui a le plus ou le mieux œuvré pour la fraternité entre les nations, l’abolition ou la réduction des armées et la conclusion et la promotion d’ accords de paix ». Par la décision de Nobel qui a inventé la dynamite, des raisons inconnues et sujettes à spéculation l’ont conduit à déclarer que le prix de la paix serait décerné par un comité norvégien nommé par le parlement norvégien, contrairement aux autres prix qui sont attribués par la Suède.

Il est possible que Nobel ait pensé que la Suède et la Norvège, pays qui étaient en union personnelle (de leurs monarques) de son vivant, seraient des garants corrects dans la mise en œuvre des souhaits énoncés dans son testament. Cependant, il est paradoxal et hypocrite que ce pays, en même temps qu’il décerne les prix Nobel de la paix et se targue d’être le siège et le promoteur de dialogues et de négociations en faveur de la paix, soit membre fondateur de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis 1949. Son secrétaire général actuel est même Jens Stoltemeberg, un homme politique norvégien. La vocation atlantiste de ce pays s’exprime par son appartenance à l’OTAN et son absence de l’Union européenne.

À un autre niveau, il est très difficile d’imaginer qu’un parlement à majorité majoritairement conservatrice et rétrograde puisse nommer un comité Nobel juste et impartial. Les critères politiques et idéologiques ont clairement prévalu dans le choix des attributaires, surtout ces dernières années.

Ainsi, sur les 128 personnes et institutions qui l’ont reçu, 41, 32% sont usaméricaines, britanniques ou françaises et 47, 36,7% sont européennes, si l’on ajoute les 20 USAméricains (dont quatre présidents, un vice-président et Henry Kissinger, qui n’étaient pas exactement connus pour leur amour de la paix), trois Israéliens, deux Canadiens et un Japonais qui l’ont reçu, ils représentent 57% des lauréats. Personne ne peut croire qu’en 120 ans, l’Europe, où les deux guerres mondiales les plus sauvages de l’histoire de l’humanité ont été déclenchées, ainsi que le club des pays belliqueux et des violateurs des droits humains, sont ceux qui ont fait les plus grands efforts pour la paix. Il est vrai que le prix est décerné à des personnalités et non à des pays, mais il est très particulier que les deux Chinois (dont le Dalaï Lama qui apparaît comme un Tibétain, un pays qui n’existe plus) et le seul Soviétique qui l’a reçu soient des dissidents opposés aux systèmes politiques de leurs pays.

Il est juste de reconnaître que des personnalités et des organisations respectables telles que la Croix-Rouge internationale, Henry Dunant son créateur, Martin Luther King Jr, Le Duc Tho (qui l’a dignement rejeté alors que le napalm usaméricain tombait encore sur le Vietnam), nos Adolfo Pérez Esquivel, Rigoberta Menchú et Alfonso García Robles, Nelson Mandela, Yasser Arafat, José Ramos Horta parmi d’autres lauréats du prix, méritent toute reconnaissance faite à la lutte des peuples pour leur liberté.

Peut-on croire qu’en 120 ans, seuls six Latino-Américains ont reçu un tel prix ? …et que parmi ces six personnes, il y a l’ancien président du Costa Rica Oscar Arias, qui a été « acheté » par les USA pour escamoter le Groupe de la Contadora, véritable gestionnaire de la paix en Amérique centrale dans les années 80 du siècle dernier, et Juan Manuel Santos, un promoteur notoire de groupes paramilitaires et de violations des droits humains.

Le prix a été décerné en 1991 à la Birmane (aujourd’hui Myanmaraise) Aung San Suu Kyi qui, en 2015, a assuré que « partout dans le monde, les intérêts commerciaux sont au-dessus des droits humains ». De la même manière, la lauréate du prix Nobel est devenue complice du génocide contre la minorité musulmane des Rohingyas, détestée pars les bouddhiste fondamentalistes du Myanmar. Les Rohingyas ne sont même pas reconnus comme un groupe ethnique dans leur pays, ils n’ont donc pas de citoyenneté, c’est-à-dire comme s’ils n’existaient pas, ce qui est accepté par lalauréate du prix Nobel.

De même, en 2019, le prix a été décerné à Abiy Ahmed Ali, Premier ministre de l’Éthiopie qui, l’année suivante, en deux jours seulement, a provoqué la mort de 600 citoyens dans la répression de la province séparatiste du Tigré, provoquant également la fuite de 50 000 réfugiés vers le Soudan voisin. Mais ce n’est que le plus scandaleux, d’autres massacres ont également été perpétrés dans d’autres localités du Tigré comme Humera, Dansha et la capitale, Mekele. Afin d’éviter que cette catastrophe humanitaire ne soit connue du public, le prix Nobel a fermé la région aux médias et aux organisations internationales.

Le cas de Juan Manuel Santos est difficile à commenter. Tout d’abord, on se demande pourquoi le prix lui a été attribué à lui seul. Les négociations de paix ne sont jamais des événements unilatéraux. C’est pourquoi la commission norvégienne l’a donnée à Kissinger et Le Duc Tho en 1973, à Sadat et Begin en 1978, à Mandela et de Klerk en 1993, à Arafat, Rabin et Peres en 1994. Pourquoi alors ne l’a-t-elle pas donnée aux FARC et/ou à leur chef qui étaient l’homologue du gouvernement dans les négociations ? N’ont-elles pas fait le même effort pour mettre fin au conflit ? C’est un autre cas où les USA achètent des récompenses à leurs sujets en paiement de services rendus. Santos, avec Uribe, a ordonné la violation de la souveraineté de l’Équateur pour effectuer une incursion armée en territoire étranger ; il a été le créateur génial de la politique des « faux positifs », une façon occulte d’assassiner des milliers de jeunes innocents en dehors du conflit afin de montrer des succès non obtenus au combat ; il est également l’assassin avoué du commandant Alfonso Cano, capturé vivant et assassiné sous ses ordres, un fait dont il se vante constamment. Il semble que toutes ces conditions soient valables pour obtenir le prix.

Un cas particulier est celui de Barack Obama, qui a reçu le prix en 2009 alors qu’il n’était président que depuis 11 mois et qui l’a reçu pour « ses efforts extraordinaires pour renforcer la diplomatie internationale et la collaboration entre les peuples ». Personne ne sait ce qu’Obama a fait en ces 11 mois pour mériter cette « reconnaissance ». Ce que l’on sait, c’est qu’à la fin de son mandat, sept ans plus tard, il est devenu le premier président usaméricain à accomplir deux mandats complets avec des troupes usaméricaines en combat actif.

Obama a lancé la troisième guerre en Irak contre l’État islamique pour finir par s’associer avec lui et Israël dans la quête du renversement du gouvernement syrien, a poursuivi en Afghanistan, et a multiplié les opérations « chirurgicales » pour tuer les terroristes qui, n’étant pas si « chirurgicales » que ça, ont fait des centaines de morts parmi la population civile. De même, il a ordonné le bombardement de la Libye et fait des incursions au Pakistan, en Somalie et au Yémen. Dans notre région, il a signé le décret déclarant – sans preuve – que le Venezuela était une menace « inhabituelle et extraordinaire » pour la sécurité nationale et la politique étrangère des USA, une connerie qui ne résiste pas à la moindre analyse sérieuse et responsable.

Dans ce contexte, les faits pourraient nous amener à affirmer que Aung San Suu Kyi, Abiy Ahmed Ali, Juan Manuel Santos et Barack Obama, comme leurs prédécesseurs Theodore Roosevelt et Woodrow Wilson, ont reçu avec reconnaissance et jubilation le prix Nobel du Pus.

Sergio Rodríguez Gelfenstein pour La Pluma, le 21 février 2021

Edité par María Piedad Ossaba

Original: El Premio Nobel de la Pus

Traduit par   Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Traductions disponibles: English   Italiano

Source: Tlaxcala, le 21 février 2021

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