L’année de la peste

Ce bissextil de la peste et de la mort a de toute façon été une année de tristesse. Et d’images douloureuses comme celles des drapeaux de la faim défraîchis accrochés à certaines fenêtres.

La peste de l’année bissextile 2020 n’a pas amélioré l’humanité, comme le croyaient certains optimistes. Elle l’a montrée dans sa dimension réelle : d’un côté des d’êtres puissants, propriétaires du monde, et de l’autre, ceux qui, en plus d’être liés aux chaînes de consommation, aux manques et aux inégalités dans la distribution des richesses, ont été plongés dans la peur et le caractère péremptoire de l’isolement. Ou, comme l’historien Jean Delumeau l’a déjà dit il y a longtemps, « le temps de la peste est le temps de la solitude forcée ».

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Banlieue populaire de Medellin, 2020

Et il y a des solitudes de solitudes. Celles des plus pauvres, des oubliés, sont ingrates. Douloureuses. Ce n’est pas la même chose d’être enfermé dans une sorte de taudis, un espace carcéral, que dans un petit palais ou une maison avec tout le confort. La peste a rendu l’existence de ceux qui n’ont rien plus douloureuse. Et plus encore, celle de ceux qui, dans un moment de crise due à la faim, ont mis les drapeaux rouges de la défaite à leurs fenêtres – peut-être avec honte.

La peste a fait croire à certains que le néolibéralisme, ce grand producteur de pauvres et promoteur des fortunes d’une minorité de riches extravagants, allait entrer en crise. Rien de tout cela. Il semble qu’il en soit ressorti plus fort, du moins dans des pays comme le nôtre (la Colombie), appauvri dans les campagnes, désindustrialisé, où une lumpen-bourgeoisie s’en donne à cœur joie, se partage le trésor public, se moque de la loi (qu’elle fait elle-même) et méprise les travailleurs de manière infâme, dont elle se moque avec un salaire minimum qui pue.

Cette année dystopique, qui a commencé sous d’autres latitudes avec des gens qui chantaient sur les balcons, avec des messages édulcorés disant que tout irait mieux après, avec des conneries du genre « une fois la peste passée, on va tous s’embrasser », fortifiant ainsi le pouvoir établi. Il y a eu aussi ceux qui, dans des attaques d’animosité et de confiance, ont prédit qu’il y aurait une sorte de renaissance de l’État providence et que le capitalisme subirait des fissures irréparables. Et bien que la peste ne soit pas terminée, un an après son apparition, le nouvel ordre est celui de la peur, de la surveillance et du contrôle.

La peste a transformé la planète en un panoptique dans lequel le pouvoir exerce sa domination à volonté. Les transnationales continuent de régner. Les magnats de la banque sourient aux profits, tandis que les plus démunis sombrent dans diverses formes de désespoir et de détresse. La seule assurance pour des millions de personnes dépossédées a été l’incertitude. Le bissextil nous a enfermés, mis en quarantaine, confinés. Et depuis le confinement, on a pu constater que ce pouvoir, cette entité concrète et répugnante, chevauchait sur les épaules des condamnés à l’appauvrissement.

Ou n’est-ce pas ce qui s’est passé, par exemple, aux USA, en particulier dans des villes comme New York, où des milliers de travailleurs ont péri, ceux qui doivent accomplir les tâches les plus difficiles, les Noirs, les immigrants, ceux qui savent en fait ce qu’est le « rêve américain » : un cauchemar. Le même que celui que le coronavirus a propulsé à des niveaux terrifiants.

Ce fut une année de découragement pour presque tout le monde. Elle n’a pas (plus) été celle de l’humanité partagée, bien qu’il y ait eu des milliers de cas de solidarité, d’attention aux autres, d’amour et d’aide pour l’autre qui était dans une situation pire. Au contraire, surtout dans des pays comme la Colombie, les énormes différences entre les classes sociales ont été constatées. Avec un gouvernement antipopulaire qui favorise quelques privilégiés, dans ce pays d’injustices, le fossé des inégalités s’est encore creusé.

Alors qu’à la fin de l’année 2019, en Colombie, il y avait eu une vague retentissante de protestations des paysans, des étudiants, des travailleurs, des chômeurs et d’autres secteurs populaires, avec des grèves et des marches, la pandémie a produit un reflux dans les expressions massives de résistance contre un régime d’une bêtise sans limites. Cependant, dans un contexte d’isolement et de souci d’éviter la contagion, 2020 a également vu des manifestations de mécontentement dans le pays contre les abus officiels.

L’année de la peste, 2020, a prouvé que la pandémie universelle, dans des pays comme le nôtre, a accru les différences sociales abyssales et le malheur d’avoir un modèle économique qui favorise la pauvreté pour beaucoup et l’enrichissement pour quelques-uns. Il a également montré comment la détresse et la misère se sont accrues pour les classes inférieures et moyennes, pour les petits et moyens entrepreneurs, pour les agriculteurs et, bien sûr, pour une masse énorme de chômeurs.

La pandémie a eu quelques avantages, par exemple, celui de nous ramener (enfin, cela concerne une minorité) à Thucydide, Boccace, Daniel Defoe, Poe, Camus, Mann, et d’autres écrivains et historiens qui ont raconté les pestes et les maladies. Ce bissextil de la peste et de la mort a de toute façon été une année de tristesse. Et d’images douloureuses comme celles des drapeaux de la faim défraîchis accrochés à certaines fenêtres.

Michel Serre, Vue du Cours pendant la peste de 1720, 1721, huile sur toile, 317 x 440 cm MARSEILLE, MUSÉE DES BEAUX-ARTS. ©VILLE DE MARSEILLE/RMN-GP /Michel Serre (né Miquel Serra i Arbós dans la ville catalane de Tarragone)
40 000 personnes – la moitié de la population de la ville – sont mortes de la peste à Marseille en 1720.

Reinaldo Spitaletta

Original: El año de la peste

Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Traductions disponibles: English 

Source: Tlaxcala, le 1er janvier 2021