Confucius épousera-t-il Marx ? Les limites du pouvoir chinois, analysées par Lanxin Xiang

Tout ce qui concerne la relation entre les États-Unis et la Chine dépend du résultat de la prochaine élection présidentielle américaine.

L’universitaire Lanxin Xiang n’est pas fan de la politique de Trump à l’égard de la Chine, mais il voit aussi où Pékin a fait des erreurs de calcul et dépassé les limites.

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Trump 2.0 pourrait doubler la mise sur le découplage, visant à presser la Chine « maligne » sur un front multiple de Guerre Hybride, à saper l’excédent commercial chinois, à coopter de larges pans d’Asie, tout en insistant sur la caractérisation de la Chine comme le mal incarné.

L’équipe Biden, même si elle ne prétend pas vouloir tomber dans le piège d’une nouvelle Guerre Froide, selon le programme officiel du Parti Démocrate, ne serait que légèrement moins conflictuelle, « sauvant » ostensiblement « l’ordre fondé sur des règles » tout en maintenant les sanctions imposées par Trump.

Très peu d’analystes chinois sont mieux placés que Lanxin Xiang pour étudier l’échiquier géopolitique et géoéconomique : expert des relations entre la Chine, les États-Unis et l’Europe, professeur d’histoire et de relations internationales à l’IHEID de Genève et Directeur du Centre d’Études pour Une Ceinture, Une Route à Shanghai.

 

Xiang a obtenu son doctorat au SAIS à Johns Hopkins, et est aussi bien respecté aux États-Unis qu’en Chine. Au cours d’un récent webinaire, il a exposé les grandes lignes d’une analyse que l’Occident ignore à ses propres risques et périls.

Xiang a mis l’accent sur la volonté de l’administration Trump de « redéfinir une cible extérieure » : un processus qu’il qualifie de « risqué, dangereux et hautement idéologique ». Non pas à cause de Trump – qui « ne s’intéresse pas aux questions idéologiques » – mais parce que « la politique chinoise a été détournée par les véritables partisans de la Guerre Froide ». L’objectif : « changement de régime ». Mais ce n’était pas le plan initial de Trump ».

Xiang fustige la logique derrière ces partisans de la Guerre Froide : « Nous avons fait une énorme erreur au cours des 40 dernières années ». Il insiste, « c’est absurde, relire l’Histoire et nier toute l’histoire des relations entre les États-Unis et la Chine depuis Nixon ». Et Xiang craint « l’absence de stratégie globale ». Cela crée une énorme incertitude stratégique – et conduit à des erreurs de calcul ».

Pour aggraver le problème, « la Chine n’est pas vraiment sûre de ce que les États-Unis veulent faire ». Parce que cela va bien au-delà de l’endiguement – que Xiang définit comme une « stratégie très bien pensée par George Kennan, le père de la Guerre Froide ». Xiang ne détecte qu’un schéma de « civilisation occidentale contre une culture non caucasienne ». Ce langage est très dangereux. C’est une reprise directe de Samuel Huntington, et montre très peu de place pour le compromis ».

En un mot, c’est la « façon américaine de basculer dans la Guerre Froide ».

Une surprise d’octobre ?

Tout ce qui précède est directement lié à la grande inquiétude de Xiang concernant une éventuelle surprise d’octobre : « Cela pourrait probablement être au sujet de Taïwan. Ou un engagement limité dans la Mer de Chine Méridionale ». Il souligne : « Les militaires chinois sont terriblement inquiets. Une surprise d’octobre comme engagement militaire n’est pas impensable, car Trump pourrait vouloir rétablir une présidence de guerre ».

Pour Xiang, « si Biden gagne, le danger d’une Guerre Froide tournant à la guerre chaude sera réduit de façon spectaculaire ». Il est tout à fait conscient des changements dans le consensus bipartite à Washington : « Historiquement, les Républicains ne se soucient pas des droits de l’homme et de l’idéologie. Les Chinois ont toujours préféré traiter avec les Républicains. Ils ne peuvent pas traiter avec les Démocrates – les droits de l’homme, les questions de valeurs. Maintenant, la situation est inversée ».

Xiang, par ailleurs, « a invité un conseiller de haut niveau de Biden à Pékin. Très pragmatique. Pas trop idéologique ». Mais dans le cas d’une éventuelle administration Trump 2.0, tout pourrait changer : « Mon intuition est qu’il sera totalement détendu, il pourrait même inverser complètement la politique vis-à-vis de la Chine. Je n’en serais pas surpris. Il redeviendrait le meilleur ami de Xi Jinping ».

Dans l’état actuel des choses, le problème est « un diplomate en chef qui se comporte comme un propagandiste en chef, profitant d’un président erratique ».

Et c’est pourquoi Xiang n’exclut jamais une invasion de Taïwan par les troupes chinoises. Il joue le scénario d’un gouvernement taïwanais annonçant « Nous sommes indépendants », associé à une visite du Secrétaire d’État : « Cela provoquerait une action militaire limitée, et pourrait se transformer en escalade. Pensez à Sarajevo. Cela m’inquiète. Si Taïwan déclare son indépendance, les Chinois l’envahissent en moins de 24 heures ».

Comment Pékin fait-il une erreur de calcul ?

Contrairement à la plupart des universitaires chinois, Xiang fait preuve d’une franchise rafraîchissante sur les propres lacunes de Pékin : « Plusieurs choses auraient dû être mieux contrôlées. Comme l’abandon du conseil initial de Deng Xiaoping, selon lequel la Chine devrait attendre son heure et faire profil bas. Deng, dans son dernier testament, avait fixé un délai pour cela, au moins 50 ans ».

Le problème est que « la rapidité du développement économique de la Chine a conduit à des calculs hâtifs et prématurés. Et une stratégie mal pensée. La diplomatie du « guerrier loup » est une attitude – et un langage – extrêmement affirmés. La Chine a commencé à contrarier les États-Unis – et même les Européens. C’était une erreur de calcul géostratégique ».

Et cela nous amène à ce que Xiang caractérise comme « la sur-extension de la puissance chinoise : géopolitique et géoconomique ». Il aime citer Paul Kennedy : « Toute grande superpuissance, si elle est trop étendue, devient vulnérable ».

Xiang va même jusqu’à affirmer que l’Initiative Ceinture et Route (BRI) – dont il loue le concept avec enthousiasme – est peut-être surchargée : « Ils pensaient qu’il s’agissait d’un projet purement économique. Mais avec une telle portée mondiale ? »

La BRI est-elle donc un cas de surcharge ou une source de déstabilisation ? Xiang fait remarquer que « les Chinois ne s’intéressent jamais vraiment à la politique intérieure des autres pays. Ils ne sont pas intéressés par l’exportation d’un modèle. Les Chinois n’ont pas de véritable modèle. Un modèle doit être mûr – avec une structure. À moins qu’il ne s’agisse de l’exportation de la culture traditionnelle chinoise ».

Le problème, une fois de plus, est que la Chine pensait qu’il était possible de « se faufiler dans des zones géographiques auxquelles les États-Unis n’ont jamais trop prêté attention, l’Afrique, l’Asie Centrale, sans nécessairement provoquer un recul géopolitique ». Mais c’est de la naïveté ».

Xiang aime à rappeler aux analystes occidentaux que « le modèle d’investissement dans les infrastructures a été inventé par les Européens. Les chemins de fer. Le Transsibérien. Les canaux, comme au Panama. Derrière ces projets, il y a toujours eu une concurrence coloniale. Nous poursuivons des projets similaires – moins le colonialisme ».

Pourtant, « les planificateurs chinois se sont mis la tête dans le sable. Ils n’utilisent jamais ce mot – géopolitique ». D’où ses plaisanteries constantes avec les décideurs chinois : « Vous n’aimez peut-être pas la géopolitique, mais la géopolitique vous aime ».

Demander à Confucius

L’aspect crucial de la « situation post-pandémique », selon Xiang, est d’oublier « ce truc de guerrier-loup ». La Chine pourrait être en mesure de relancer l’économie avant tout le monde. Développer un vaccin vraiment efficace. La Chine ne devrait pas le politiser. Elle devrait montrer une valeur universelle à son sujet, poursuivre le multilatéralisme pour aider le monde, et améliorer son image ».

En ce qui concerne la politique intérieure, Xiang est catégorique : « Au cours de la dernière décennie, l’atmosphère chez nous, sur les questions de minorités, la liberté d’expression, s’est tendue au point de ne pas aider l’image de la Chine en tant que puissance mondiale ».

Comparez cette situation, par exemple, à « l’opinion défavorable sur la Chine » dans une enquête sur les nations de l’Occident industrialisé qui ne comprend que deux Asiatiques : le Japon et la Corée du Sud.

Et cela nous amène à l’ouvrage de Xiang, « La Quête de Légitimité pour les Politiques Chinoises », sans doute l’étude contemporaine la plus importante réalisée par un chercheur chinois capable d’expliquer et de combler le fossé politique entre l’Est et l’Ouest.

Ce livre est une telle percée que ses principales analyses conceptuelles feront l’objet d’une chronique complémentaire.

La principale thèse de Xiang est que « la légitimité dans la philosophie politique de la tradition chinoise est une question dynamique. Transplanter les valeurs politiques occidentales dans le système chinois ne fonctionne pas ».

Pourtant, même si le concept chinois de légitimité est dynamique, souligne Xiang, « le gouvernement chinois est confronté à une crise de légitimité ». Il fait référence à la campagne anti-corruption des quatre dernières années : « La corruption officielle généralisée, qui est un effet secondaire du développement économique, fait ressortir le mauvais côté du système. Il faut rendre hommage à Xi Jinping, qui a compris que si nous laissons cela se poursuivre, le PCC perdra toute légitimité ».

Xiang souligne comment, en Chine, « la légitimité est basée sur le concept de moralité – depuis Confucius. Les Communistes ne peuvent pas échapper à la logique.

Avant Xi, personne n’osait s’attaquer à la corruption. Il a eu le courage de l’éradiquer, il a arrêté des centaines de généraux corrompus. Certains ont même tenté deux ou trois coups d’État ».

Dans le même temps, Xiang est catégoriquement opposé au « durcissement de l’atmosphère » en Chine en matière de liberté d’expression. Il mentionne l’exemple de Singapour sous Lee Kuan Yew, un « système autoritaire éclairé ». Le problème est que « la Chine n’a pas d’État de droit ». Il y a cependant beaucoup d’aspects juridiques. Singapour est une petite ville-État. Comme Hong Kong. Ils viennent de reprendre le système juridique britannique. Cela fonctionne très bien pour cette taille ».

Et cela amène Xiang à citer Aristote : « La démocratie ne peut jamais fonctionner dans les grands pays. Dans les villes-États, elle fonctionne ». Et se rappelant d’Aristote, nous arrivons à Hong Kong : « Hong Kong avait un État de droit – mais jamais une démocratie. Le gouvernement était directement nommé par Londres. C’est comme ça que Hong Kong fonctionnait en réalité – comme une dynamo économique. Les économistes néolibéraux considèrent Hong Kong comme un modèle. C’est un arrangement politique unique. La politique du magnat. Pas de démocratie – même si le gouvernement colonial n’a pas gouverné comme une figure autoritaire. L’économie de marché a été déclenchée. Hong Kong était dirigée par le Jockey Club, HSBC, Jardine Matheson, avec le gouvernement colonial comme coordinateur. Ils ne se sont jamais souciés des gens du bas de l’échelle ».

Xiang note que « l’homme le plus riche de Hong Kong ne paie que 15% de l’impôt sur le revenu. La Chine voulait conserver ce modèle, avec un gouvernement colonial nommé par Pékin. Toujours une politique de magnats. Mais maintenant, il y a une nouvelle génération. Des gens nés après la rétrocession – qui ne connaissent rien de l’histoire coloniale. L’élite chinoise au pouvoir depuis 1997 n’a pas prêté attention à la base et a négligé le sentiment de la jeune génération. Pendant toute une année, les Chinois n’ont rien fait. La loi et l’ordre se sont effondrés. C’est la raison pour laquelle les Chinois du continent ont décidé d’intervenir. C’est l’objet de la nouvelle loi sur la sécurité ».

Et qu’en est-il de l’autre acteur « malveillant » favori du Beltway – la Russie ? « Poutine aimerait avoir une victoire de Trump. Les Chinois aussi, jusqu’à il y a trois mois. La Guerre Froide était un grand triangle stratégique. Après le départ de Nixon en Chine, les États-Unis se sont retrouvés au milieu, manipulant Moscou et Pékin. Maintenant, tout a changé ».

Confucius épousera-t-il Marx ?

 Lanxin Xiang a écrit un livre intitulé « La Quête de Légitimité dans la Politique Chinoise », qui est sans doute l’effort le plus extraordinaire depuis des décennies pour essayer de résorber la division politico-historique Est-Ouest. Il est impossible, dans une brève chronique, de rendre justice à la pertinence des discussions que ce livre inspire. Nous allons ici mettre en lumière certaines des questions clés – en espérant qu’elles intéresseront un lectorat averti, en particulier dans le Beltway, aujourd’hui convulsé par divers degrés de sinophobie.

Xiang approfondit la contradiction fondamentale : La Chine est largement accusée par l’Occident de manquer de légitimité démocratique, alors même qu’elle connaît depuis quatre décennies un boom économique durable et historique.

Il identifie deux sources principales au problème chinois : « D’une part, il y a le projet de restauration culturelle par lequel le leader chinois Xi Jinping tente de restaurer la « légitimité confucéenne » ou le traditionnel « Mandat du Ciel » ; d’autre part, Xi refuse d’entamer toute réforme politique, car sa priorité absolue est de préserver le système politique existant, c’est-à-dire un système de gouvernement provenant principalement d’une source étrangère, la Russie bolchevique ».

C’est là que le bât blesse : « Les deux objectifs sont totalement incompatibles ».

Xiang soutient que pour la majorité des Chinois – l’appareil et la population en général – ce « système étranger » ne peut être préservé à jamais, surtout maintenant qu’un renouveau culturel se concentre sur le Rêve Chinois.

Inutile d’ajouter que l’érudition en Occident passe complètement à côté de la question – en raison de l’insistance à interpréter la Chine dans le cadre de la science politique occidentale et de « l’historiographie eurocentrique ». Ce que Xiang tente dans son livre, c’est de « naviguer avec précaution dans les pièges conceptuels et logiques créés par les terminologies de l’après-guerre ».

Il met ainsi l’accent sur la déconstruction des « mots-clés maîtres » – un merveilleux concept tout droit sorti de l’idéographie. Les quatre mots-clés sont la légitimité, la république, l’économie et la politique étrangère. Ce volume se concentre sur la légitimité (hefa, en chinois).

Quand la loi est une question de moralité

C’est une joie de suivre comment Xiang démystifie Max Weber – « le penseur original de la question de la légitimité politique ». Weber est fustigé pour son « étude plutôt superficielle du système confucéen ». Il insiste sur le fait que le confucianisme – qui ne met l’accent que sur l’égalité, l’harmonie, la décence, la vertu et le pacifisme – ne peut pas développer un esprit capitaliste compétitif.

Xiang montre comment, depuis le début de la tradition gréco-romaine, la politique a toujours été une conception spatiale – comme le reflète la polis (une ville ou une ville-État). La conception confucéenne de la politique, en revanche, est « entièrement temporelle, basée sur l’idée dynamique que la légitimité est déterminée par le comportement moral quotidien d’un dirigeant ».

Xiang montre comment hefa contient en fait deux concepts : « approprié » et « loi » – la « loi » donnant la priorité à la moralité.

En Chine, la légitimité d’un dirigeant découle d’un Mandat du Ciel (Tian Ming). Les gouvernants injustes perdent inévitablement le mandat – et le droit de gouverner. Selon Xiang, il s’agit là d’un argument dynamique « fondé sur les actes » plutôt que sur la procédure.

Le Mandat du Ciel est essentiellement « une ancienne croyance chinoise selon laquelle le tian [le paradis, mais pas le paradis chrétien, avec un Dieu omniscient] accorde à l’empereur le droit de régner en fonction de sa qualité morale et de sa capacité à gouverner bien et équitablement ».

La beauté de la chose est que le mandat n’exige pas de lien divin ou d’être issu d’une noble lignée, et n’a pas de limite de temps. Les universitaires chinois ont toujours interprété le mandat comme un moyen de lutter contre les abus de pouvoir.

Le point crucial est que, contrairement à l’Occident, la vision chinoise de l’histoire est cyclique et non linéaire : « La légitimité est en fait un processus sans fin d’auto-ajustement moral ».

Xiang la compare ensuite avec la conception occidentale de la légitimité. Il fait référence à Locke, pour qui la légitimité politique découle du consentement populaire explicite et implicite des gouvernés. La différence est que sans religion institutionnalisée, comme dans le Christianisme, les Chinois ont créé « une conception dynamique de la légitimité par l’autorité séculaire de la volonté générale de la population, arrivant à cette idée sans l’aide d’aucune théorie politique fictive comme les droits divins de l’humanité et le « contrat social ».

Xiang ne peut que nous rappeler que Leibniz a décrit cette conception comme une « théologie natale chinoise », qui n’est pas en contradiction avec les principes fondamentaux du Christianisme.

Xiang explique également que le Mandat du Ciel n’a rien à voir avec la notion d’Empire : « L’acquisition de territoires d’outre-mer pour la réinstallation de la population n’a jamais eu lieu dans l’histoire chinoise, et cela ne contribue guère à renforcer la légitimité du souverain ».

En fin de compte, c’est le Siècle des Lumières, principalement à cause de Montesquieu, qui a commencé à rejeter le Mandat du Ciel comme « rien d’autre qu’une excuse pour le despotisme oriental ». Xiang note comment « les interactions de l’Europe pré-moderne avec le monde non occidental » ont été « délibérément ignorées par les historiens de l’après-guerre ».

Ce qui nous amène à une ironie amère : « Alors que la « légitimité démocratique » moderne en tant que concept ne peut fonctionner qu’avec la délégitimation d’autres types de systèmes politiques, le Mandat du Ciel ne contient jamais un élément de dénigrement d’autres modèles de gouvernance ». Voilà pour la « fin de l’histoire ».

Pourquoi pas de révolution industrielle ?

Xiang pose une question fondamentale : « Le succès de la Chine est-il davantage dû au système économique mondial dirigé par l’Occident ou à ses propres ressources culturelles ? »

Puis il s’emploie à démystifier le mythe selon lequel la croissance économique n’est possible que dans le cadre d’une démocratie libérale occidentale – un héritage, une fois de plus, des Lumières, qui ont statué que le confucianisme n’était pas à la hauteur de la tâche.

Nous avions déjà le sentiment que ce n’était pas le cas avec l’ascension des tigres de l’Asie de l’Est – Singapour, Hong Kong, Taiwan et la Corée du Sud – dans les années 1980 et 1990. Cela a même poussé un certain nombre de chercheurs en sciences sociales et d’historiens à admettre que le confucianisme pouvait être un stimulant pour la croissance économique.

Pourtant, ils ne se sont concentrés que sur la surface, les prétendues valeurs « fondamentales » confucéennes de travail acharné et d’économie, affirme Xiang : « La véritable valeur « fondamentale », la vision confucéenne de l’État et de ses relations avec l’économie, est souvent négligée ».

Pratiquement tout le monde en Occident, à l’exception de quelques universitaires non eurocentriques, ignore complètement que la Chine a été la superpuissance économique dominante du monde du XIIe siècle à la deuxième décennie du XIXe siècle.

Xiang nous rappelle qu’une économie de marché – comprenant la propriété privée, la liberté des transactions foncières et une main-d’œuvre mobile hautement spécialisée – a été établie en Chine dès 300 avant J.-C. De plus, « dès la Dynastie Ming, la Chine avait acquis tous les éléments majeurs qui étaient essentiels pour la Révolution Industrielle britannique au 18ème siècle ».

Ce qui nous amène à une énigme historique persistante : pourquoi la révolution industrielle n’a-t-elle pas commencé en Chine ?

Xiang retourne la question : « Pourquoi la Chine traditionnelle avait-elle besoin d’une révolution industrielle ? »

Une fois de plus, Xiang nous rappelle que « le modèle économique chinois a eu une grande influence au début des Lumières. La pensée économique confucéenne a été introduite en Europe par les Jésuites, et certaines idées chinoises telles que le principe du laisser-faire ont conduit à la philosophie du libre-échange ».

Xiang montre non seulement que les relations économiques extérieures n’étaient pas importantes pour la politique et l’économie chinoises, mais aussi que « la conception traditionnelle chinoise de l’État va à l’encontre de la logique fondamentale de la révolution industrielle, car sa méthode de production de masse vise à conquérir non seulement le marché intérieur, mais aussi les territoires extérieurs ».

Xiang montre également comment le fondement idéologique pour « La richesse des Nations » d’Adam Smith a commencé à virer vers le libéralisme individualiste alors que « Confucius n’a jamais hésité à prendre position contre l’individualisme, car le rôle de l’économie est d’enrichir les gens dans leur ensemble, et non des individus spécifiques ».

Tout cela conduit au fait que « dans l’économie moderne, la véritable conversation entre l’Occident et la Chine est à peine existante dès le départ, puisque l’Occident de l’après-guerre était extrêmement confiant quant au fait qu’il possédait seul la « vérité universelle » et le secret du développement économique, qui aurait été refusé au reste du monde ».

Un indice supplémentaire peut être obtenu lorsque l’on voit ce que signifie « économie » (jingji) en Chine : Jingji est « un terme abrégé de deux caractères qui ne décrit ni les activités économiques pures ni même les activités commerciales. Il signifie simplement « gérer la vie quotidienne de la société et fournir des ressources suffisantes à l’État ». Dans cette conception, la politique et l’économie ne peuvent jamais être séparées en deux sphères mécaniques. Le corps politique et le corps économique sont organiquement liés ».

Et c’est pourquoi le commerce extérieur, même lorsque la Chine était très active sur l’Ancienne Route de la Soie, « n’a jamais été considéré comme capable de jouer un rôle clé pour la santé de l’économie globale et le bien-être de la population ».

Calligraphie chinoise ancienne du concept taoïste de Wu Wei (Non-Action) écrite dans une salle du trône de la Cité interdite à Beijing

Wu Wei et la main invisible

Xiang doit revenir à l’essentiel : l’Occident n’a pas inventé le marché libre. Le principe du laisser-faire a été conceptualisé pour la première fois par François Quesnay, le précurseur de la « main invisible » d’Adam Smith. Curieusement, Quesnay était connu à l’époque sous le nom de « Confucius européen ».

Dans « Le Despotisme de la Chine » (1767), écrit 9 ans avant « La Richesse des Nations », Quesnay était franchement en faveur du concept méritocratique de donner le pouvoir politique aux savants et faisait l’éloge du système impérial chinois « éclairé ».

Une ironie historique supplémentaire délicieuse est que le laisser-faire, comme nous le rappelle Xiang, a été directement inspiré par le concept taoïste de wu wei – que nous pouvons traduire vaguement par « non-action ».

Xiang note comment « Adam Smith, profondément influencé par Quesnay qu’il avait rencontré à Paris et ayant appris cette philosophie du laisser-faire, a peut-être bien compris le sens du wu wei avec son invention de la « main invisible », suggérant un système économique proactif plutôt que passif, et laissant de côté la dimension théologique chrétienne ».

Xiang passe en revue tout le monde, de Locke et Montesquieu à Stuart Mill, Hegel et la théorie du « système mondial » de Wallerstein, pour arriver à une conclusion surprenante : « La conception de la Chine comme un modèle économique « arriéré » typique était une invention du XXe siècle fondée sur l’imagination de la supériorité culturelle et raciale de l’Occident, plutôt que sur la réalité historique ».

En outre, l’idée de « rétrogradation » n’a en fait pas été établie en Europe avant la Révolution Française : Avant cela, le concept de « révolution » avait toujours conservé une dimension cyclique plutôt que « progressive », c’est-à-dire linéaire et historique. Le sens originel de la révolution (du mot latin revolutio, un « retour en arrière ») ne contient aucun élément de progrès social, car il fait référence à un changement fondamental du pouvoir politique ou des structures organisationnelles qui a lieu lorsque la population se révolte contre les autorités actuelles ».

Confucius épousera-t-il Marx ?

Et cela nous amène à la Chine post-moderne. Xiang souligne à quel point le consensus populaire en Chine est que le Parti Communiste n’est « ni marxiste ni capitaliste, et que sa norme morale a peu à voir avec le système de valeurs de Confucius ». En conséquence, le Mandat du Ciel est « sérieusement endommagé ».

Le problème est que « marier le marxisme et le confucianisme est trop dangereux ».

Xiang identifie le défaut fondamental de la répartition des richesses en Chine « dans un système qui garantit un processus structurel de transfert de richesses injuste (et illégal), des personnes qui contribuent à la production de richesses à celles qui ne le font pas ».

Il affirme que « la déviation des valeurs traditionnelles confucéennes explique mieux les racines du problème de la distribution des revenus en Chine que les théories wébériennes qui ont tenté d’établir un lien clair entre la démocratie et la distribution équitable des revenus ».

Que faut-il donc faire ?

Xiang est extrêmement critique sur la façon dont l’Occident a approché la Chine au XIXe siècle, « par la voie de la politique de puissance westphalienne et la démonstration de la violence et de la supériorité militaire occidentale ».

Nous savons tous comment cela s’est retourné contre l’Occident. Cela a conduit à une véritable révolution moderne – et au maoïsme. Le problème, selon l’interprétation de Xiang, est que la révolution « a transformé la société confucéenne traditionnelle de paix et d’harmonie en un virulent État westphalien ».

Ce n’est donc que par une révolution sociale inspirée d’octobre 1917 que l’État chinois « a entamé le véritable processus de rapprochement avec l’Occident » et ce que nous définissons tous comme une « modernisation ». Que dirait Deng ?

Xiang soutient que le système hybride chinois actuel, « dominé par un organe étranger cancéreux du bolchevisme russe, n’est pas viable sans des réformes drastiques pour créer un système républicain pluraliste. Pourtant, ces réformes ne devraient pas être conditionnées à l’élimination des valeurs politiques traditionnelles ».

Le PCC est-il donc capable de fusionner avec succès le confucianisme et le marxisme-léninisme ? De forger une Troisième Voie chinoise unique ? Ce n’est pas seulement le thème majeur des prochains livres de Xiang : c’est une question pour les temps à venir.

 

 

Lanxin Xiang

The Quest for Legitimacy in Chinese Politics
A New Interpretation

Routledge Studies on Asia in the World

Routledge, Sept. 2019
ISBN 9780367339715
166 Pages

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Pepe Escobar

Original: Will Confucius marry Marx? The limits of Chinese power, as seen by a Chinese expert
Listening to and reading Lanxin Xiang

Traductions disponibles : Português/Galego  Español

Source: Tlaxcala, le 24 octobre 2020

Publié par Réseau international