Évolution de la dette extérieure des PED entre 2000 et 2018

Ces politiques néolibérales ont également entraîné une dégradation des services publics de santé et cela a des conséquences très graves sur la capacité des pouvoirs publics à affronter la pandémie du Covid19.

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Un nouveau piège de l’endettement du Sud au Nord – Partie 1

Fin des années 1990, à l’aube du troisième millénaire, les pays en développement (PED) sortent d’une crise de la dette sans précédent, les « décennies perdues du développement », qui avait été initiée en 1982 par l’annonce du défaut de paiement du Mexique. Entre 1980 et 1999, il y a eu pas moins de 280 opérations de restructuration de la dette.

Face à la pression populaire et à l’ampleur de la crise, à cette époque, les créanciers ont mis en place des financements d’urgence ou des initiatives d’allègement de dettes. Depuis 1982, ces mesures servent surtout à assurer la continuation du service de la dette afin que les créanciers ne soient pas affectés par une suspension généralisée des paiements de dettes comme cela était arrivé dans les années 1930.

De plus, les nouveaux crédits accordés par les institutions multilatérales comme le FMI et la Banque mondiale sont assortis de conditionnalités qui ont largement affaibli les États et ont renforcé leur dépendance à l’endettement extérieur.

Ces politiques néolibérales ont également entraîné une dégradation des services publics de santé et cela a des conséquences très graves sur la capacité des pouvoirs publics à affronter la pandémie du Covid19.

De plus, la levée des protections douanières et la suppression des aides aux petits producteurs locaux les ont gravement affectés. Sans compter que, entre 2000 et 2018, la dette extérieure totale des PED a triplé et 18 pays sont en suspension de paiement partiel ou total. Une nouvelle crise de la dette est en cours même si son extension et son approfondissement sont ralentis par la poursuite de la politique des taux d’intérêts très bas, proches de zéro, au Nord.

Si la crise est ralentie, c’est parce que cette politique des bas taux d’intérêt appliqués par les banques centrales du Nord combiné à l’injection massive de liquidités dans les circuits financiers par les mêmes banques centrales a pour conséquence que le grand capital du Nord continue à acheter des titres de la dette du Sud.

Le grand capital du Nord (ainsi que les ) continue à acheter des titres du Sud car ils offrent des rendements beaucoup plus élevés que les titres de la dette publique du Nord. Les capitalistes du Nord sont convaincus que si un grand nombre de pays du Sud est amené à suspendre le paiement de la dette en conséquence de la crise mondiale qui provoque une chute de leurs revenus en devises, le FMI et la Banque mondiale accorderont massivement de nouveaux prêts afin d’empêcher une situation généralisée de cessation de paiement. Ils sont persuadés qu’en tant que créanciers privés, ils seront prioritaires pour recevoir les remboursements car les crédits du FMI et d’autres organismes seront accordés à la condition que l’argent prêté serve en priorité à rembourser les créanciers privés. Et si, malgré tout, ils doivent faire face à certaines pertes, les capitalistes du Nord savent qu’ils pourront compter sur l’aide des puissants États du Nord sous la forme d’allègements d’impôts et d’aides financières. Pour les capitalistes, c’est : « Face : je gagne, pile : tu perds ». Ils gagnent à tous les coups ou presque.

Dans la première partie de cette série consacrée à l’évolution de la dette depuis le début des années 2000, nous analyserons en particulier les rapports entre le stock de la dette et les transferts nets. Les parties suivantes étudieront les menaces sur la dette des PED d’un point de vue global et par région.

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 1. Architecture de la dette extérieure des PED

Commençons par étudier l’architecture de la dette extérieure des PED du point de vue des créanciers (nous avons arrondi les chiffres fournis par la Banque mondiale concernant l’endettement des PED en 2018) :

et du point de vue des débiteurs :

 2. Évolution de la dette extérieure des PED entre 2000 et 2018

2.1 Liste des PED par catégories de revenu

Population des 135 PED en 2019 : 6 438 millions

  • Dont population des pays à faible revenu [1] en 2019 : 668 millions
  • Dont population des pays à revenu intermédiaire [2] en 2019 : 5 769 millions

Liste des 29 PED à faible revenu [3] : Afghanistan, Burkina Faso, Burundi, Centrafrique, Corée du Nord, Erythrée, Ethiopie, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Haïti, Liberia, Madagascar, Malawi, Mali, Mozambique, Niger, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Soudan du Sud, Syrie, Tadjikistan, Tchad, Togo, Yémen.

Liste des 106 PED à revenu intermédiaire [4] : Afrique du Sud, Albanie, Algérie, Angola, Argentine, Arménie, Azerbaïdjan, Bangladesh, Belize, Bénin, Bhoutan, Biélorussie, Bolivie, Bosnie-Herzégovine, Botswana, Brésil, Bulgarie, Cambodge, Cameroun, Cap Vert, Chine, Colombie, Comores, Congo, Costa Rica, Côte d’Ivoire, Cuba, Djibouti, Dominicaine Rép., Dominique, Égypte, Équateur, Eswatini, Fidji, Gabon, Ghana, Géorgie, Grenade, Guatemala, Guinée équatoriale, Guyana, Honduras, Inde, Indonésie, Irak, Iran, Jamaïque, Jordanie, Kazakhstan, Kenya, Kiribati, Kirghize Rép., Kosovo, Laos, Liban, Libye, Lesotho, Macédoine du Nord, Malaisie, Maldives, Maroc, Marshall (Îles), Mauritanie, Mexique, Micronésie, Moldavie, Mongolie, Monténégro, Myanmar, Namibie, Népal, Nicaragua, Nigeria, Ouzbékistan, Pakistan, Palestine, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Paraguay, Pérou, Philippines, Russie, Sainte-Lucie, Saint-Vincent et Grenadines, Salomon (Iles), Salvador, Samoa, Samoa américaines, São Tomé et Principe, Sénégal, Serbie, Sri Lanka, Suriname, Tanzanie, Thaïlande, Timor oriental, Tonga, Tunisie, Turkménistan, Turquie, Tuvalu, Ukraine, Vanuatu, Vietnam, Venezuela, Zambie, Zimbabwe.


Tableau 1 : Évolution du stock de la dette et du transfert net (extérieure totale et publique) des PED entre 2000 et 2018

Total PED (dette à long-terme)
Dette extérieure totale Dette extérieure publique Dette due à la BM
Stock total Transfert net Stock total Transfert net Stock total Transfert net
2000 1 695,49 – 103,29 1 251,67 – 30,18 192,42 8,07
2001 1 664,51 – 53,23 1 227,63 – 45,95 195,32 7,46
2002 1 678,11 – 78,04 1 264,93 – 57,59 204,93 – 0,02
2003 1 802,47 – 2,39 1 321,96 – 61,15 215,88 – 2,33
2004 1 908,25 17,47 1 362,27 – 36,55 224,13 2,34
2005 1 914,74 35,83 1 247,33 – 53,87 215,34 2,95
2006 2 072,05 84,08 1 212,16 – 84,79 189,87 – 0,01
2007 2 433,46 347,36 1 321,55 12,16 200,12 5,47
2008 2 690,78 62,32 1 372,37 – 25,72 206,87 7,33
2009 2 831,74 48,78 1 476,09 36,30 223,78 17,25
2010 3 084,27 571,81 1 612,27 104,30 241,55 22,50
2011 3 541,84 545,39 1 750,44 76,89 246,00 64,66
2012 3 979,33 373,02 1 960,36 133,31 255,88 11,95
2013 4 410,65 608,87 2 173,52 152,71 270,61 13,98
2014 4 713,42 317,70 2 330,10 126,48 274,56 14,88
2015 4 708,52 – 537,47 2 349,13 17,16 282,70 17,29
2016 5 012,75 – 9,45 2 490,14 58,25 291,62 13,57
2017 5 379,44 479,82 2 816,13 177,60 315,73 12,85
2018 5 519,20 218,91 2 933,94 44,48 324,91 14,77
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Montant de la dette extérieure publique des pays à faible revenu :

    • en 2000 : 79 milliards de dollars
    • en 2018 : 118 milliards de dollars

Montant de la dette extérieure publique des pays à revenu intermédiaire :

    • en 2000 : 1 173 milliards $US
      - Dont pays à revenu intermédiaire inférieur : 427 milliards $US
      - Dont pays à revenu intermédiaire supérieur : 745 milliards $US
    • en 2018 : 2 816 milliards $US
      - Dont pays à revenu intermédiaire inférieur : 1 031 milliards $US
      - Dont pays à revenu intermédiaire supérieur : 1 785 milliards $US

2.2 Explications sommaires

Le tableau 1 porte sur la période 2000-2018 [5]. Cette longue période comporte les mesures d’allègement de dettes appliquées par les créanciers publics (les États du Nord, le FMI, la Banque mondiale, les autres banques multilatérales régionales) suite à la crise de la dette du Tiers-Monde [6] débutée dans les années 1980.

La colonne 2 présente l’évolution du stock de la dette extérieure totale à long terme de l’ensemble des PED pour lesquels la Banque mondiale fournit des données [7] (dette à long terme, dette due et garantie par les pouvoirs publics des PED ainsi que la dette due par les entreprises privées des PED). Intitulée « dette extérieure publique », la colonne 4 présente l’évolution du stock total de la dette extérieure à long terme seulement due et/ou garantie par les pouvoirs publics des PED. La colonne 6 intitulée « dette à l’égard de la Banque mondiale » présente l’évolution du stock de la dette extérieure à long terme des PED due à la Banque mondiale (BIRD et IDA).

Les colonnes 3, 5 et 7 présentent le transfert net sur la dette sur les trois types de stocks évoqués ci-dessus.

Le transfert net sur la dette représente la différence entre ce qu’un pays reçoit sous forme de prêts et ce qu’il rembourse (capital et intérêts compris, appelé également service de la dette). Si le montant est négatif, cela signifie que cette année-là, le pays a remboursé davantage de prêts qu’il n’en a reçu.

2.3 Interprétation du tableau

On peut distinguer deux périodes. Une première courant de 2000 à 2007-2008. Une seconde courant jusqu’en 2018.

Première période : De 2000 à 2007-2008, la dette extérieure totale stagne puis augmente à un rythme mesuré à compter de 2003. De 1 695 en 2000, elle atteint 2 433 milliards de $US en 2007. La dette extérieure publique reste quant à elle à un niveau constant sur l’ensemble de la période, passant de 1 252 en 2000 à 1 322 milliards de $US en 2007.

Dans le même temps, le transfert net (de la dette extérieure totale et publique) est largement négatif. Cela signifie que les PED remboursent plus qu’ils n’empruntent.

Plusieurs facteurs conjoncturels entrent en compte. Une majorité de PED vient de vivre ou subit encore une crise majeure de l’endettement et est limitée dans ses agissements. Bien que suivant une pente descendante entre 2000 et 2008, les hauts taux d’intérêt des principales banques centrales attirent les investissements vers les pays occidentaux tout autant qu’ils refroidissent les velléités d’emprunt des PED. Dans cette conjoncture, les liquidités à investir sont plus rémunératrices dans les pays du Nord. Pour les pays du Sud, c’est essentiellement une période de reflux des capitaux. Sévèrement impactés par les plans d’ajustement structurel exigés par les créanciers, plusieurs PED procèdent en parallèle à des remboursements anticipés pour se libérer des conditionnalités des créanciers officiels (créanciers bilatéraux et multilatéraux). C’est le cas notamment du Brésil, de l’Argentine, de l’Uruguay, des Philippines, de l’Indonésie, de la Thaïlande, du Nigeria, de l’Algérie ou encore de la Russie qui profitent d’un rebond du prix des matières premières dès 2005 pour utiliser les devises étrangères engrangées au remboursement de la dette extérieure.

En l’espace de 6 années, les PED remboursent aux créanciers 370 milliards de $US, l’équivalent de 2 plans Marshall. Pourtant, la dette extérieure (totale et/ou publique) ne diminue pas.

Seconde période : A compter de 2008, la situation s’inverse sensiblement. En 10 ans, la dette extérieure va plus que doubler. De 2 691 à 5 519 milliards de $US pour la dette extérieure totale. De 1 372 à 2 934 milliards de $US pour la dette extérieure publique.
La courbe des transferts nets est renversée, elle devient positive. Les PED empruntent plus qu’ils ne remboursent.

Plusieurs facteurs sont à considérer. Le principal concerne les effets de la crise des subprimes. En 2007, la bulle des crédits subprimes éclate aux États-Unis. Très vite, la crise se propage à l’ensemble des grandes banques occidentales, toutes interconnectées. Le monde financier panique et craint un effondrement du système. Appelés à la rescousse, les États du Nord sauvent ces banques par un endettement public massif permis par l’intermédiaire des politiques de quantitative easing [8] appliquées en urgence par les principales banques centrales (Réserve fédérale des États-Unis, Banque centrale européenne, etc.). Les taux d’intérêts directeurs des banques centrales atteignent des niveaux historiquement bas. De 4,75 % et 4,25 % en 2007, les taux de la Fed et de la BCE passent respectivement à 0,25 % et 1 % en 2009, puis 0,5 % et 0,05 % en 2015. Soulagés, les investisseurs cherchent alors à investir leurs importantes liquidités dans les secteurs les plus rémunérateurs. La dette des PED leur offre cette perspective. Côté créancier, les profits à réaliser auprès des PED sont supérieurs à une économie occidentale en crise. Côté emprunteur, ils bénéficient de taux d’intérêt plus intéressants qu’à l’accoutumée. Dans le même temps, on assiste de 2008 à 2013 au « super cycle des matières premières », avec des prix aux sommets inégalés jusque-là. En conséquence, les PED augmentent leurs réserves de change grâce à leurs revenus d’exportation en hausse. Disposant d’une conjoncture favorable, ardemment courtisés par les investisseurs et poussés par les institutions financières internationales à recourir aux financements privés pour développer leurs infrastructures, les PED sont incités à s’endetter massivement, principalement via l’émission d’obligations sur les marchés financiers. Pour les pays du Sud c’est une période d’afflux de capitaux.

Les parties suivantes étudieront les menaces sur la dette des PED d’un point de vue global et par région.

  1. Évolution de la dette extérieure des PED entre 2000 et 2018
  2. Menaces sur la dette extérieure des Pays en développement
  3. Les pays en développement pris dans l’étau de la dette

Notes:

[1Sont considérés par la Banque mondiale à faible revenu, les pays ayant un PIB par habitant inférieur ou égal à 1 035 $US.

[2Sont considérés par la Banque mondiale à revenu intermédiaire, les pays ayant un PIB par habitant compris entre 1 036 $US et 12 535 $US. La catégorie est elle-même subdivisée entre les pays à revenu intermédiaire inférieur (PIB par habitant compris entre 1 036 $US et 4 045 $US, et les pays à revenu intermédiaire supérieure ayant un PIB par habitant compris entre 4 045$US et 12 535 $US).

[3La liste des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire se réfère à celle déterminée par la Banque mondiale. Voir « World Bank Country and Lending Groups », consulté le 28 juillet 2020. Disponible à : https://datahelpdesk.worldbank.org/knowledgebase/articles/906519-world-bank-country-and-lending-groups

[4Les pays à revenu intermédiaire supérieur sont soulignés.

[5Au moment de la rédaction du chapitre, les chiffres disponibles sur le site de la Banque mondiale courent jusqu’au 31 décembre 2018.

[6Nous faisons ici en particulier référence à l’initiative pays pauvres très endettés (I-PPTE) et à l’initiative pour un allègement de la dette multilatérale (I-ADM), respectivement lancées en 1996 et 2005 à destination de 39 pays.

[7Sauf mention contraire, les données fournies dans ce chapitre sont issues de l’International Debt Statistics de la Banque mondiale. Y sont référencés 122 pays en voie de développement. Parmi les pays pour lesquels la Banque mondiale ne fournit pas de données : Cuba, Irak, Libye, Corée du Nord. Pour de plus amples détails voir : https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/32382/9781464814617.pdf?sequence=7&isAllowed=y

[8Le quantitative easing consiste en une politique de rachats massifs des titres de la dette privée et publique permise par la création monétaire et ayant pour objectif affiché de relancer l’économie suite à une période de crise. Pour une analyse critique voir Éric Toussaint, « 2007-2018 : Les causes d’une crise financière qui a déjà 11 ans », CADTM, 25 juillet 2018. Disponible à : https://www.cadtm.org/2007-2018-Les-causes-d-une-crise-financiere-qui-a-deja-11-ans

Par Eric Toussaint , Milan Rivié

Edité par María Piedad Ossaba

Source: CADTM, le 11 septembre 2020

Traductions disponibles: Español