Mario Paciolla : justice pour un poète
Hommage et dénonciation

« Je ne crois pas à la thèse du suicide dû à la solitude et à la dépression », écrit la journaliste Claudia Julieta Duque, une amie du volontaire italien de l’ONU retrouvé mort à San Vicente del Caguán.

Cela ne faisait pas 24 heures que le dernier rapport de la mission de vérification des Nations unies en Colombie avait été livré à New York quand une de tes collègues t’a trouvé mort, mon ami poète et journaliste, dans ta maison de San Vicente del Caguán. Ce rapport était censé refléter tes conclusions en tant que volontaire de cette organisation dans le département du Caquetá, mais, comme cela a été le cas pour ta mort, l’ONU est restée silencieuse.

Le maire de Naples, Italie, Luigi de Magistris, demande la vérité et la justice pour la mort de Mario Paciolla à San Vicente del Caguán, Colombie / Extrait du compte Twitter du maire de Naples (@demagistris)

Et c’est ce silence, indigne de toi et de notre réalité, qui m’oblige à écrire, à essayer de rompre avec les mots le nœud serre ma gorge depuis que j’ai appris qu’une corde a étouffé la tienne jusqu’à te laisser sans vie aux premières heures du mercredi 15 juillet.

L’hypothèse du suicide est peu plausible pour ceux d’entre nous qui ont connu ta vitalité, ton sourire et aussi ta critique de la Mission lorsqu’un camarade, atteint de la dengue, a du attendre longtemps pour être évacué vers une autre ville pour recevoir des soins médicaux appropriés. Tu te demandais ce qui se passerait si étais mordu par un serpent, si tu tombais gravement malade à San Vicente. Tu avais déjà prévu à qui t’adresser si quelque chose tel t’arrivait : ce ne serait personne à l’intérieur de l’ONU, car tu craignais que la pachydermie bureaucratique ne te laisse encore plus exposé qu’une maladie ou un accident.

Cette estime de soi est en contradiction avec l’idée que tu serais capable de t’ôter la vie dans un lieu si lointain de tes amis, de ta famille et de tes amours, et de la Naples de ton cœur, où tu devais partir le 20 juillet pour te nettoyer dans les eaux de la mer Tyrrhénienne de toute la saleté qui avait assombri tes dernières semaines.

Quelques semaines plus tôt, vous aviez déverrouillé le cadenas qui fermait la grille du toit qui donnait sur la terrasse du petit bâtiment où tu vivais, « au cas où  quelqu’un » viendrait te chercher. C’est là qu’ils t’ ont trouvé ? Je ne le saurai pas, du moins pour l’instant, car je ne t’ ai jamais rendu visite, ni à San Vicente ni à Naples, comme nous l’avions convenu.

« Vedi Napoli e poi muori » (voir Naples et mourir). Tu m’as toujours répété cette phrase mélancolique pour souligner la promesse que nous nous étions faite en 2018, lorsque tu as quitté les Brigades internationales de paix et que je me suis rendue aux Pays-Bas pour pour souffler un peu face à une nouvelle vague de menaces : à ton retour en Italie, je viendrais te rendre visite.

Alors que ton contrat à la Mission expirait le 20 août, quelque chose s’est produit le 10 juillet. Ce jour-là, tu as eu une forte dispute avec tes patrons, comme tu l’as dit dit à Anna Motta, ta mère, le lendemain, en annonçant que tu avais avancé la date de ton retour. Tu te disais dégoûté.

Pendant ces derniers jours, tu avais beaucoup insisté sur le fait que tu n’étais plus en sécurité en Colombie ou à la Mission. C’est pourquoi avais déverrouillé ce cadenas et commencé à préparer ton départ. Le mercredi 15, tu aurais dû te rendre à Bogota pour commencer ton retour. Vous devais obtenir l’autorisation de voyager sur le vol humanitaire du 20, une procédure facile pour un fonctionnaire international.

Ton Whatsapp personnel a été connecté jusqu’au 14 juillet à 22h45. Ce qui s’est passé depuis lors jusqu’à ce que ton corps soit retrouvé le lendemain matin par un autre ex-brigadiste et volontaire de la Mission est une énigme. Je l’ai appelée dès que j’ai appris la nouvelle, le 16, pour lui présenter mes condoléances, mais je me noyais moi-même dans les larmes. « Mario t’ aimait beaucoup, il parlait toujours de toi. Je savais que vous étiez toujours en contact », a-t-elle dit, et j’ai seulement réussi à lui demander d’essayer de récupérer de ton ordinateur les poèmes que tu avais compilés et que tu voulais publier en Italie.

La troisième semaine de juin, lors d’une réunion informelle à Florencia, la capitale du Caquetá, où se trouve le bureau régional (BR) de la Mission dont dépend la sous-direction de Caguán, un collègue t’ a accusé d’être un espion.

Tu l’as dit en riant, parce que tu t’es toujours moqué de l’absurde. Aujourd’hui, avec ton sourire éteint par ton départ violent et soudain, je me demande si ce n’était pas un premier signe du danger qui te guettait. Que s’est-il passé ce jour-là, qui t’a exposé de manière si grave, quelles mesures ont été prises par Sergio Pirabal, chef du BR, un ancien collègue à moi dans la Commission de la vérité du Guatemala.

Tu avais également commenté en riant la récente note sur ton CV indiquant que tu avais été en désaccord avec la façon, selon toi, discriminatoire, dont la Mission gérait la pandémie. Alors que les autres employés ont bénéficié de mesures de déplacement et de télétravail, pour les volontaires, la norme était la solitude et l’isolement.

Tu étais de ceux qui rient des choses sérieuses, comme lorsque tu m’avais avoué que tu publiais sous pseudonyme des reportages sur la Colombie pour un magazine italien. Ces jours-ci, à la recherche d’indices, j’ai relu tes articles, mais le dernier date de juin 2018. Il est clair que tu n’as jamais violé les principes de la Mission : dès ton entrée en fonction, tu as, cessé d’écrire.

Non. Je ne crois pas à la thèse du suicide dû à la solitude et à la dépression que plusieurs de tes amis veulent accréditer pour faire face à leur propre douleur. Je ne crois pas non plus qu’une autopsie prenne 10 ou 20 jours. Peut-être l’examen toxicologique, mais l’examen médico-légal devrait être fait maintenant et il devrait être publié par l’Institut national de médecine légale.

Je connais ton dégoût intime à l’égard d’une organisation qui, dans son rapport de 2019, ne mentionne que dans un paragraphe de six lignes le bombardement militaire qui a tué 18 enfants recrutés par les dissidents des Farc, dont plusieurs ont été achevés sur le terrain, un fait qui a déterminé le départ du ministre de la Défense de l’époque, Guillermo Botero.

Je sais que tu avais documenté d’autres cas de ce genre, ainsi que le déplacement forcé des familles des enfants victimes et le meurtre de plusieurs autres. Je sais que tu avais été dérange par la mollesse du ton des rapports de l’ONU, par les relations complexes de certains membres de la Mission avec la force publique, par l’embauche de civils qui venaient de travailler pour les forces militaires, par la passivité de cette organisation face aux bombardements contre les civils dans le sud du Meta, et par l’augmentation des assassinats sélectifs d’anciens combattants des Farc.

Tu attendais depuis des mois l’activation d’une troisième alerte précoce du bureau du Défenseur du peuple pour e San Vicente del Caguán. Cette semaine, Mateo Gómez Vásquez, coordinateur national du SAT (Système des alertes précoces), m’a confirmé que l’alerte sera donnée dans un mois environ, et qu’elle portera sur la montée des dissidents des FARC sous le commandement de « Gentil Duarte » et sur la nouvelle dynamique du conflit dans cette région du pays.

Mais cette fois, l’alerte sera tardive. D’après la dernière conversation que tu as eue avec votre mère, le 10 juillet, tu t’étais mis dans « le pétrin » avec tes patrons, ce qui, je n’hésite pas à le dire, a été le déclencheur de ton suicide simulé.

Depuis une semaine, ton nom tourne dans ma tête avec les expressions « enquête approfondie », « immunité diplomatique » et « circonstances étranges ».

J’ai mal à l’âme, Mario Paciolla. En tant que brigadiste, tu m’as sauvé la vie. Aujourd’hui, il n’y a qu’une seule manière de payer cette dette : chercher la vérité sur ta mort.

Claudia Julieta Duque

Original: Mario Paciolla: justicia para un poeta
Homenaje y denuncia

Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Traductions disponibles : Italiano  http://tlaxcala-int.org/upload/gal_21691.jpg

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