Libérer le peuple usaméricain
Retrouver l’esprit du jazz

Malheureusement, le jazz a perdu son âme il y a une ou deux décennies. Il est passé de voix de la résistance à ce qui a été progressivement réduit à une « question académique », un « système de connaissances ».

Je suis un artiste de jazz, j’ai consacré toute ma vie d’adulte à l’étude de la musique et de la culture noires usaméricaines. Le jazz est certainement la plus importante et peut-être la seule contribution usaméricaine significative à la culture mondiale. Et la question suivante est : où en est le jazz noir usaméricain aujourd’hui ? Pourquoi les Noirs usaméricains ont-ils perdu tout intérêt pour leur propre création fantastique ?

Une réponse est que le jazz est né de la résistance. Il a été alimenté par le défi du « rêve américain » : au lieu de chercher Mammon, la richesse et le pouvoir, nos pères fondateurs artistiques noirs ont sacrifié leur vie au nom de la beauté. Ils se sont littéralement tués à la recherche de nouvelles voix, de nouveaux sons, de nouvelles couleurs. Ils nous ont laissé un grand héritage, mais leur progéniture s’est tournée vers de nouveaux domaines artistiques tels que le hip-hop et le rap.

Pour les personnes qui ont fait du jazz une forme d’art, la musique était un esprit révolutionnaire. Pour Bird, Now’s the Time signifiait que le temps était venu de procéder à des changements sociaux.  Pour John Coltrane, l’Alabama était la réponse appropriée à l’attentat du KKK contre l’église baptiste qui a tué quatre petites filles afro-usaméricaines.

Quand le jazz signifiait quelque chose, ce n’était pas un langage de victime. Bien au contraire, le jazz était un message de défi : tout ce que vous pouvez faire, nous, les Noirs, pouvons le faire mieux. Et c’est la vérité, personne n’a réussi à le faire mieux que Trane, Bird, Miles, Elvin, Sonny, Blakey, Duke, Ella et bien d’autres. Ces artistes n’ont pas supplié Wall Street de les financer, ils n’ont pas demandé à d’autres de se joindre à leur combat : au contraire, ils ont amené le reste d’entre nous à supplier que leur beauté, leur art et leur esprit nous illuminent et nous libèrent. Il n’a pas fallu longtemps pour que l’élite usaméricaine se rende compte que le jazz était le meilleur ambassadeur de l’USAmérique dans le monde. Et tout cela s’est passé alors que les Noirs usaméricains étaient soumis à l’apartheid, surtout dans le Sud. Il est raisonnable de penser que c’est la transformation du jazz en « voix de l’Amérique » qui a joué un rôle majeur dans la libération du Sud noir.

Malheureusement, le jazz a perdu son âme il y a une ou deux décennies. Il est passé de voix de la résistance à ce qui a été progressivement réduit à une « question académique », un « système de connaissances ». Aujourd’hui, de nombreux jeunes musiciens de jazz sont « diplômés d’une école de musique ». Ils peuvent être très rapides et sophistiqués, mais ils ont très peu à dire et, dans la plupart des cas, ils préfèrent ne rien dire. Certains peuvent croire que dire quelque chose s’oppose à leurs « objectifs artistiques » car cela brouille la distinction entre l’art et la politique. Je crains qu’ils ne se trompent. Pour que le jazz soit une forme d’art significative, il vaut mieux qu’il soit révolutionnaire jusqu’au bout. Le jazz est, avant tout, le son de la liberté.

Pendant un certain temps, nous avons vu le jazz contemporain se détériorer en un exercice technique dénué de sens. Le jazz, en gros, est mort sur nous. Cette disparition artistique a-t-elle anticipé l’effondrement de la civilisation usaméricaine et de l’image que l’USAmérique se fait d’elle-même en tant que « société libre » ?

Pourquoi le jazz est-il mort ? Parce que les Noirs usaméricains ont perdu tout intérêt pour leur forme d’art originale.  Pourquoi se sont-ils désintéressés ? En grande partie parce que leur art, comme tous les autres aspects de la culture usaméricaine, de la finance, des médias, de l’esprit et du rêve, a été occupé.

Comme d’autres artistes de jazz et humanistes, je déteste le racisme sous toutes ses formes. Pourtant, je veux voir les gens célébrer leurs symptômes. Je suis  de ceux qui veulent voir les Allemands écrire de nouveau de la philosophie et composer des symphonies. Je veux voir les gens célébrer leur propre culture unique, tant qu’ils ne le font pas aux dépens des autres.  Plus que toute autre chose, je veux que les Noirs soient fiers de ce qu’ils sont. Je souhaite qu’ils nous ramènent, une fois de plus, sur le chemin de la beauté qu’ils nous ont, plus que tout autre peuple, fait découvrir à tous. J’espère que l’USAmérique noire nous donnera un jeune Trane, un nouveau Bird, la prochaine Sarah Vaughan, un personnage à la Miles.   Je veux voir les Noirs usaméricains nous hypnotiser avec leurs talents, célébrer leur grandeur. Je veux qu’ils soient les ambassadeurs usaméricains qu’ils ont été autrefois plutôt que les victimes des abus de l’USAmérique. Je suppose qu’au lieu d’envoyer des soldats usaméricains pour libérer d’autres personnes dans des criminelles  guerres néocon, le temps est venu pour l’USAmérique de se libérer elle-même.

Gilad Atzmon جيلاد أتزمون گيلاد آتزمون

Original:  Liberating the American People
Back to the Spirit of Jazz

Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Traductions disponibles: Español

Source: Tlaxcala, le 7 juin 2020

Lisez ► La beauté comme une arme politique, Conversation avec Gilad Atzmon, par Manuel Talens, 2005

Hommage à George Floyd, Harlem, 6 juin 2020