L’Argentine et le tournant tant attendu qui a mis fin à quatre ans de capitalisme sauvage

Les peuples en ont assez et se lancent dans la bagarre de toutes les manières possibles, et l’Argentine n’a pas fait exception. C’est pourquoi le mois d’août a été un mois clé pour renverser l’échiquier et écourter une année où le peuple avait été durement frappé.

Il y a des années qui semblent durer si longtemps que, comme dit le dicton populaire, elles paraissent durer un siècle. En Argentine, l’année 2019, qui vient de se terminer, n’a pas fait mentir ce dicton, tant tout y a été difficile.
Tel a été le poids des douleurs, des souffrances et des marques d’impuissance que la population a dû supporter du fait du capitalisme sauvage imposé par le gouvernement de Mauricio Macri, que même le sourire s’est effacé de nombreux visages au cours de cette longue période.

#Onn’apaspu

Il n’est pas facile de décrire  l’état d’esprit de la majorité de la population alors que les chiffres lui résonnaient chaque jour aux oreilles, générant un mélange d’angoisse et de colère devant le fait que ce gouvernement, qui enfin n’existe plus, n’avait  pas été imposé par les bottes des militaires, comme en d’autres temps, mais par le vote populaire, truqué et manipulé certes, mais en fin de compte volontaire.

Passons en revue certaines données pour nous faire une idée du sujet. Macri a laissé derrière lui une dernière statistique de la pauvreté estimée à 35,5 %. Quelque chose qui, au-delà des pourcentages, nous a remis en mémoire ce que nous avions déjà vécu en 2001, quand des enfants trouvaient leur nourriture dans les poubelles, ou faisaient la queue avec leurs parents, aussi affamés qu’eux, à la porte des restaurants de luxe, quand, à minuit, ceux-ci jettent dehors dans de grands bacs les restes laissés dans leurs assiettes par ceux qui peuvent encore  prendre trois repas par jour.

Une autre scène semblable se joue chaque jour dans les quartiers marginalisés, où des organisations sociales et populaires tiennent des cantines solidaires pour nourrir des milliers de bouches.

Que dire de l’inflation qui, comme jamais auparavant, a tout balayé devant elle, puisqu’à la fin de l’année elle a atteint 54,5 %. Ceci, tout le monde le sait, n’est pas une statistique de plus : les répercussions se font sentir chaque jour dans les poches des gens, par des prix astronomiques, des augmentations de tarifs dans les services essentiels et une hausse constante du prix de l’essence et de ses dérivés, ce qui a entraîné des augmentation encore plus grandes des transports en commun.

Pendant l’ère macriste, le chômage  a constitué un autre chapitre atroce. Le nombre d’hommes et de femmes qui ont perdu leur emploi est d’environ 400 000, et certaines études le situent à près d’un demi-million. La dette extérieure, illégitime à tous points de vue, est déjà très proche de 300 milliards de dollars, ce qui signifie que, dès sa naissance, chaque Argentin doit déjà environ 6 310 dollars au FMI.

Quel que soit le critère qu’on utilise pour analyser  ces quatre dernières années, elles ont marqué des reculs gigantesques et dans certains cas la disparition même des conquêtes historiques de la classe ouvrière,  tant celle de moindre portée économique que celle e secteurs de la classe moyenne, que la crise a fait descendre plusieurs échelons.

L’éducation, la santé, le logement sont les secteurs les plus touchés par ces politiques qui ont été appliquées non seulement en Argentine, mais sont maintenant remises en cause dans la rue par des millions de gens dans le monde entier. Citons par exemple le Chili, la Colombie, le Pérou, Haïti, le Panama et même la France de Macron et de la droite capitaliste, qui voit à la fin de cette année toutes ses villes paralysées par une grève anti-néolibérale à durée indéterminée. Constante et courageuse, la bagarre hebdomadaire des Gilets jaunes a « latino-américanisé » la rébellion des Français.

Les peuples en ont assez et se lancent dans la bagarre de toutes les manières possibles, et l’Argentine n’a pas fait exception. C’est pourquoi le mois d’août a été un mois clé pour renverser l’échiquier et écourter une année où le peuple avait été durement frappé.  L’explosion électorale qu’ont signifié les PASO (élections primaires) et les 15 points d’avance du Frente de Todos sur le macrisme, ont changé l’état d’esprit des Argentins et des Argentines. Le chemin semblait long jusqu’à octobre, mais le peuple a pris conscience que sa victoire n’allait pas être flétrie par la droite bornée et ceux qui tirent les ficelles à Washington.

Il est évident que, comme auraient voulu beaucoup de militants, l’idéal aurait été d’acculer le macronisme dans la rue sous le slogan de « Luttons et ils s’en iront », comme c’est le cas aujourd’hui avec Sebastián Piñera et Iván Duque, mais nous avons déjà eu une année 2001 où il semblait que la révolte allait finir en Révolution, Mais cela n’a pas pu se faire.

C’est pourquoi cette fois-ci on a fait l’effort de réaffirmer les sentiments des masses, et ce qui semblait impossible un an plus tôt (par crainte de la fraude et des alliances de Macri avec l’empire usaméricain) est devenu réalité. Alberto et Cristina Fernandez ont gagné sans contestation possible, et le 10 décembre dernier, la joie et la fête ont balayé pendant 24 heures toute la tristesse et la douleur accumulées, lorsque, par millions, nous avons vibré en célébrant l’investiture  du président et de sa vice-présidente.

Maintenant une nouvelle étape a commencé, on sait qu’elle sera difficile et incertaine en raison des menaces de la droite locale et internationale qui n’abandonne pas et qui, dès les premières heures du nouveau gouvernement, a déjà montré les dents.

Mais nous avons d’ores et déjà une nécessaire loi d’urgence économique, des augmentations de salaires pour les travailleurs du privé et du public, des primes spéciales pour les retraités, un plan national contre la faim, une augmentation de la fiscalité à l’encontre de secteurs de l’oligarchie  de l’agriculture, du soja et de l’élevage,  des interventions dans les services de renseignements, des changements radicaux dans la chaîne de commandement des forces de sécurité et l’abandon de la criminalisation de l’avortement, revendication non satisfaite depuis des décennies.  Et même un virage en politique extérieure, sous la forme de l’appui et de l’asile accordés au président Evo Morales, renversé par un coup d’État, de la réception avec tous les honneurs du président cubain Miguel Díaz Canel et du Ministre de la Communication de la République Bolivarienne Jorge Rodríguez, parmi  une longue liste d’avancées, de projets et de réalisations concrètes que le gouvernement d’Alberto Fernández a mises en route en seulement deux semaines d’existence.

Bien sûr, ce n’est pas la panacée et la route sera encore longue, mais il est clair que ce sont des mesures que la population souhaitait et qu’elle appuiera résolument. Plus encore, sachant que la droite ne cesse de conspirer, que ceux qui ont été favorisés ad nauseam par la politique macriste paralysent déjà les campagnes et menacent de prendre d’autres mesures de force. De plus, le FMI et Donald Trump vont essayer non seulement de recouvrer une dette que le peuple n’a pas contractée, et s’ils ne parviennent pas à leurs fins, ils vont créer des vagues de déstabilisation.

Face à cet avenir probable, il faut rappeler que c’est à nouveau l’heure des peuples, et que chaque pas en sens contraire  de la stratégie insensée du capitalisme se fera en combattant et en occupant la rue. Tout comme l’ont fait en leur temps les 30 000 disparus et, plus récemment, les féministes et les minorités sexuelles. Personne ne concède rien sans y être obligé, et c’est la grande leçon que nous devons tirer du passé récent. Ce n’est pas en flirtant avec lui, par ou une modération déplacée, qu’on neutralise un ennemi qui ne se soucie que d’accumuler des profits, mais par la résistance, la lutte et l’unité. Pour défendre ce qui a été conquis et s’assurer que la politique ne sera plus abâtardie par les amoureux de la démocratie bourgeoise.

On ne reviendra plus, on ne reviendra plus, bon sang
Carlos Aznárez Speciale pour La Pluma y Tlaxcala, le 1 janvier 2020
Traduit par Jacques Boutard
Publié par La Pluma y Tlaxcala