Argentine : L’audit peut constituer un acte politique d’un pays souverain face à l’opinion publique internationale pour délégitimer la politique du FMI

« Le peuple argentin se trouve à un moment fondamental : un changement de gouvernement. Un changement de gouvernement offre la possibilité d’agir »

Le nouveau gouvernement argentin, mis en place par Alberto Fernandez devenu président le 10 décembre 2019 suite à sa victoire électorale d’octobre 2019 contre Maurico Macri, a finalement déclaré qu’il souhaitait reconnaître les dettes contractées par ses prédécesseurs. Il est en négociation avec le FMI et les autres créanciers avec l’espoir d’obtenir une suspension (partielle ou non) de paiement pendant deux ans. Il a pris une mesure favorable aux pensions les plus basses par l’octroi d’une prime de fin d’année et il va augmenter les prélèvements sur les exportateurs de grains. Ce sont deux bonnes mesures concrètes bien que limitées. Mais dans le même temps, son ministre des Finances annonce qu’il évitera un ajustement brutal, ce qui veut dire qu’il appliquera une politique d’austérité moins dure que celle réalisée par Macri. Ajoutons que le gouvernement évite soigneusement de parler d’un audit de la dette alors qu’une série de parlementaires et de mouvements politiques et sociaux s’est prononcée en faveur d’un audit à participation citoyenne et d’une suspension du paiement de la dette.

Audience publique au parlement argentin le 27 novembre 2019 sur le thème « Dette externe : alternatives pour une solution souveraine »

Nous reproduisons ci-après une version éditée et augmentée de l’intervention du porte-parole du CADTM international, Éric Toussaint, durant le Symposium intitulé “Dette externe : Alternatives pour une solution souveraine” réalisé à la Chambre des députés à Buenos Aires le 27 novembre 2019, soit deux semaines avant l’entrée en fonction du nouveau président argentin. Cette activité a eu lieu au parlement sur initiative de Fernanda Vallejos qui est une députée de la nouvelle majorité présidentielle. Elle a soutenu une plainte contre le gouvernement précédent en arguant du caractère anti constitutionnel de l’accord passé avec le FMI en 2018. Cette activité au parlement argentin s’inscrivait également dans le cadre de la 8e rencontre annuelle continentale du réseau latino-américain et caribéen du CADTM, le CADTM AYNA (AYNA correspond au sigle Abya Yala Nuestra America – dans la région du Panama actuel, les peuples natifs de l’Amérique latine appelaient leur territoire l’Abya Yala).

Éric Toussaint : Je voudrais dédier cette intervention à toutes les victimes du système de la dette odieuse, à tous les êtres humains, autant en Argentine que dans le reste de la planète, qui subissent chaque jour le système de la dette odieuse ou illégitime. Je voudrais également le dédier à un grand ami, aujourd’hui décédé, Alejandro Olmos (1924-2000), qui a eu le courage pendant la dictature militaire de poursuivre cette dictature pour endettement illégal (voir pages 8 et 9 du rapport de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme https://www.fidh.org/IMG/pdf/ar338f.pdf). Il est mort en avril 2000, avant que la justice argentine n’émette la sentence Ballestero-Olmos de juillet de la même année qui concluait au caractère illégitime de la dette (voir un résumé de la sentence : https://www.cadtm.org/Analyse-d-une-force-majeure) et qui, malheureusement, n’a pas été suivie par des actes du Parlement argentin ni en 2000 ni plus tard [1].

« Le peuple argentin se trouve à un moment fondamental : un changement de gouvernement. Un changement de gouvernement offre la possibilité d’agir »

Le peuple argentin se trouve à un moment fondamental : un changement de gouvernement. Un changement de gouvernement offre la possibilité d’agir. Tous les arguments que j’ai entendus, les plaintes déposées par des parlementaires et d’autres citoyennes et citoyens devant la justice pour dénoncer des actes anticonstitutionnels, illégaux, injustes pris par le gouvernement de Mauricio Macri, ont maintenant la possibilité, avec le changement de gouvernement, de trouver une solution dans la pratique. Encore faut-il que le nouveau gouvernement le décide. Je pense qu’il ne faut pas sous-estimer les possibilités d’actes souverains fondés sur des arguments de droit international et de droit interne. Je prendrai l’exemple d’un travail que nous avons réalisé en Belgique dans le cadre du CADTM sur la question des fonds vautours qui ont attaqué non seulement l’Argentine mais aussi d’autres pays souverains.

Déjà, en 2008, nous avons contribué à réussir à convaincre une majorité de parlementaires belges d’adopter une première loi contre les fonds vautours. Cette loi a été confirmée et radicalisée en juillet 2015, en pleine crise des fonds vautours en Argentine. La loi belge est très simple et dit ceci : un fonds vautour, un créancier, lorsqu’il présente un titre de créance, ne peut réclamer en compensation que ce qu’il a payé pour acheter un titre https://www.cadtm.org/Loi-relative-a-la-lutte-contre-les-activites-des-fonds-vautours. Si un fonds vautour a acheté un titre à 15 % de sa valeur quelque part dans le monde, il ne peut réclamer que 15 % de la valeur du titre devant les tribunaux belges. C’est une loi très simple et très forte. Elle met clairement l’accent sur les actions illégitimes de certains créanciers.

Je me souviens d’avoir participé en septembre 2015 à une conférence des Nations unies à Genève, invitée par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED). J’ai été invité comme conférencier. Il y avait un représentant de l’Argentine, de l’ancien gouvernement, celui de Cristina, et nous avons discuté de la proposition de l’Argentine devant l’Assemblée de l’ONU sur la restructuration et la négociation de la dette, et à cette occasion, bien sûr, j’ai pu présenter quelques propositions et cette loi sur les fonds vautours. Voir : https://www.cadtm.org/Intervention-du-CADTM-a-l-ONU-sur-la-resolution-des-crises-de-dettes

Par la suite, le principal fonds vautour que vous connaissez, NML Capital de Paul Singer, a contesté la loi belge devant la Cour constitutionnelle belge et nous, en tant que CADTM, organisation de citoyennes et de citoyens, sommes intervenus avec d’autres organisations (le CNCD – 11.11.11 et son homologue néerlandophone) dans la procédure pour défendre la loi, et finalement, en 2018, nous avons gagné : la Cour constitutionnelle a validé la loi et rejeté l’intervention de NML Capital. https://www.cadtm.org/La-Cour-constitutionnelle-belge-rend-son-verdict-Victoire-totale-contre-le. Cela montre qu’il y a la possibilité de prendre des actes souverains.

« Nous espérons que le Parlement argentin adoptera ce type de loi. Car si le même type de loi est adopté par un grand nombre de parlements souverains, cela peut servir d’arme très efficace contre les fonds vautours »

Nous espérons que le Parlement argentin adoptera ce type de loi. Car si le même type de loi est adopté par un grand nombre de parlements souverains, cela peut servir d’arme très efficace contre les fonds vautours. Lorsque je mentionne cette loi, je veux dire qu’un fonds vautour ne peut pas se présenter devant un tribunal belge pour réclamer le paiement d’une dette argentine. Le tribunal devra appliquer le droit belge, c’est-à-dire que le fonds ne peut prétendre à recevoir en compensation que ce qu’il a payé pour acheter le titre.

Revenons au sujet actuel de l’Argentine. Vous êtes confrontés à deux types de créanciers externes : d’un côté, le FMI, avec environ 44 milliards de dollars de créances sur l’Argentine, et de l’autre, des fonds privés, des fonds d’investissement, des banques, etc. À l’intérieur de cette deuxième catégorie de créanciers, une partie est en rapport avec la restructuration précédente de 2005-2010, et l’autre comprend, par exemple, les détenteurs du bon à 100 ans émis en 2017 pour lequel rappelons l’Argentine verse un intérêt annuel de 7,25 % et cela jusqu’en 2117 (voir https://www.cadtm.org/L-Argentine-en-pleine-crise-de-la-dette).

Audience publique au parlement argentin organisée par la députée Fernanda Vallejos au cours de laquelle le CADTM a été invité à prendre la parole le 27 novembre 2019

Je pense qu’il est essentiel de profiter de la situation du changement de gouvernement pour prendre des mesures fortes. Si je suis bien informé, les paiements au FMI ne devraient pas être effectués l’année prochaine ; ils commencent au début de 2021 ou à la fin de 2020. Je pense que le gouvernement devrait organiser une commission de d’audit à participation citoyenne. Parmi les femmes et les hommes d’Argentine, il y a un certain nombre de personnes qui possèdent toutes les qualifications nécessaires pour vérifier les comptes publics, pour avoir des opinions sur le caractère constitutionnel et juridique au niveau du droit international, commercial et interne. Il y a dans la société civile argentine toute la richesse nécessaire pour réaliser un audit réellement valable devant l’opinion publique internationale. Pour aboutir à un acte souverain de dénonciation du traité (parce que c’est un traité entre le gouvernement et le FMI : les accords avec le FMI sont des traités internationaux entre un État souverain et le FMI). Et avec les arguments que j’ai entendus et en ajoutant d’autres, la conclusion est claire quant à la nécessité pour l’Argentine de dénoncer cet accord avec le FMI.

Il y a des arguments que je pourrais ajouter. Il a été fait mention du caractère anticonstitutionnel de l’accord avec le FMI et du non-respect des lois argentines et de certains principes de droit. Il faut y ajouter la violation des règles du FMI. Cet organisme, selon son propre règlement, ne peut accorder un prêt que si l’octroi de celui-ci rend viable la dette du pays auquel le crédit est accordé ou s’il y a un risque imminent de crise systémique. Il est clair que le FMI n’a pas respecté ses propres règles lorsqu’il a accordé un crédit à l’Argentine en deux tranches pour un montant total de 57 milliards de dollars. Pour rappel, sur les 57 milliards promis, 44 milliards ont été déboursés par le FMI. Il était inconcevable d’argumenter la viabilité de cette dette. Il s’agissait, de la part du président Donald Trump et par l’entremise du FMI, de faire un cadeau au président Mauricio Macri car il était un partenaire docile des intérêts nord-américains dans la région. Quand le FMI, sous la pression de Trump, a accordé en 2018 ce méga crédit à Macri, celui-ci était en très grande difficulté et avait besoin de ce bois de rallonge pour terminer son mandat présidentiel.

« La politique dictée par le FMI en Argentine pendant les années 1990 a eu des effets catastrophiques et a fini par provoquer la crise de 2001 »

Mais il y a aussi d’autres arguments qui ont trait à l’impact des politiques menées dans le cadre de l’accord avec le FMI sur l’exercice des droits de la population de l’Argentine, ainsi qu’à l’histoire de l’Argentine avec le FMI, à commencer par le conflit des années 1940 entre le président Juan Domingo Perón et le FMI. Rappelons que l’Argentine a refusé d’adhérer au FMI après la Seconde Guerre mondiale car le président Perón a accusé cette institution d’être un instrument de l’impérialisme. Rappelons que l’Argentine n’a adhéré au FMI qu’après le renversement du régime constitutionnel de Perón. L’Argentine a en effet adhéré au FMI en 1956, pendant la dictature militaire du général Pedro Eugenio Aramburu Silveti qui a renversé le président constitutionnel Juan Domingo Perón en 1955. Ajoutons que vingt ans plus tard, le FMI a soutenu activement la dictature sanglante du général Jorge Rafael Videla responsable de l’assassinat de plus de 30 000 opposants de gauche. La politique dictée par le FMI en Argentine pendant les années 1990 a eu des effets catastrophiques et a fini par provoquer la crise de 2001. Au cours des manifestations populaires de décembre 2001, 39 personnes du peuple ont été tuées par les forces de répression du président Fernando de la Rúa (https://www.lavaca.org/recuadros/los-muertos-del-1920-de-diciembre-de-2001/. Voir aussi le rapport de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme déjà cité plus haut : https://www.fidh.org/IMG/pdf/ar338f.pdf). Il y a donc, de toute évidence, dans l’histoire, un comportement intentionnel et hostile du FMI envers la population argentine. Et vous savez mieux que moi que le niveau de rejet du FMI dans la population argentine est très élevé et généralisé. Il y a donc plus qu’assez d’arguments aux yeux du public argentin pour dénoncer les accords avec le FMI. L’audit peut être un acte politique d’un pays souverain visant à délégitimer la politique du FMI à l’égard de l’opinion publique internationale.

Je suis heureux que les nouvelles autorités annoncent que l’Argentine ne souhaite plus recevoir le solde de ce que le FMI a promis au gouvernement de Mauricio Macri, mais si le cadre juridique du traité est accepté par le nouveau gouvernement argentin, les choses vont devenir très complexes pour l’Argentine. Il faut donc suspendre l’application du traité, le temps de réaliser l’audit à participation citoyenne et ensuite, sur la base de l’audit, dénoncer le traité en tant que tel.

« Il faut suspendre l’application du traité avec le FMI, le temps de réaliser l’audit à participation citoyenne et ensuite sur la base de l’audit dénoncer le traité en tant que tel. Cet acte peut être justifié par l’application de la doctrine de la « dette odieuse » »

Cet acte peut être justifié par l’application de la doctrine de la « dette odieuse », élaborée par le juriste russe Alexander Sack en 1927, une doctrine élaborée sur la jurisprudence des litiges en matière de dette souveraine de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au moment de sa rédaction. Il est important de la résumer. Selon Sack, une dette odieuse est une catégorie qui ne fait pas référence nécessairement à la dette contractée par un régime dictatorial. Sack était un conservateur russe. Il a quitté l’Union soviétique car il était contre les Soviets et il s’est établi à Paris où il a rédigé son traité sur la dette odieuse. Il a dit que le caractère dictatorial ou démocratique d’un régime n’a pas d’importance, peu importe qu’il s’agisse d’une monarchie constitutionnelle, d’un régime de droit divin ou d’une république démocratique. Ce qui importe, c’est l’utilisation qui est faite de la dette contractée par un régime régulier qui a le contrôle de la situation. Si cette dette est utilisée contre l’intérêt de la Nation ou contre l’intérêt de l’État ou contre l’intérêt de la population vivant sur le territoire, elle peut être considérée comme odieuse. Une « dette odieuse » est une dette contractée par un régime régulier contre l’intérêt de la nation ou du peuple. Et il y a un deuxième critère selon Sack : les créanciers, les prêteurs savaient ou ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette était utilisée pour des objectifs franchement contraires aux intérêts de la population.

Alexander Sack et la doctrine de la dette odieuse

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Sack dit très clairement que des dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Selon Sack « une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier (peut) être considérée comme incontestablement odieuse… ». Sack définit un gouvernement régulier de la manière suivante : « On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. ». Je souligne (ÉT). Source : Les effets des transformations des États sur leurs dettes publiques et autres obligations financières : traité juridique et financier, Recueil Sirey, Paris, 1927. Voir le document presque complet en téléchargement libre sur le site du CADTM

Sack écrit qu’une dette peut être caractérisée comme odieuse si :
« a) les besoins, en vue desquels l’ancien gouvernement avait contracté la dette en question, étaient ‘odieux’ et franchement contraires aux intérêts de la population de tout ou partie de l’ancien territoire, et
b) les créanciers, au moment de l’émission de l’emprunt, avaient été au courant de sa destination odieuse. »

Il poursuit : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux » (voir https://www.cadtm.org/La-dette-odieuse-selon-Alexandre-Sack-et-selon-le-CADTM)

Dans le cas du FMI, le FMI savait qu’il était contraire à l’intérêt de la nation de prêter ce crédit à Mauricio Macri, un ami de Donald Trump. C’était donc contre l’intérêt du peuple.

Et ceux qui achètent des obligations à 100 ans savent très bien qu’ils spéculent sur ces obligations. Les obligations à 100 ans se revendent à 40 % de leur valeur initiale et le taux d’intérêt est de 7,25 %. Cela veut dire que les fonds qui acquièrent des obligations à 100 ans aujourd’hui sur le marché secondaire des dettes, les achètent avec une décote de 60 %. Cela signifie qu’avec un taux de 7,25 % qui est calculé et payé sur la valeur initiale, ils obtiennent un rendement de quasi égal à 20 %. Bien sûr qu’on devrait leur imposer un haircut, c’est-à-dire une réduction forcée. Si on appliquait le prix « fixé par le marché » tant vanté par les néolibéraux, il faudrait appliquer au moins une réduction obligatoire de 60 %.

Il a été fait mention lors de cette audience au parlement argentin de ma participation à la commission d’audit intégral de la dette publique de l’Équateur en 2007-2008. Cette commission avait été créée en juillet 2007 suite à une décision du président élu Rafael Correa. La conclusion de l’audit après 14 mois de travail est que la dette, réclamée à l’Équateur sous forme de titres souverains venant à échéance soit en 2012 soit en 2030, était une dette illégitime et illégale.

Nous avons également émis une conclusion de même nature à l’égard d’autres tranches de la dette. Sur la base de notre audit concernant les titres souverains 2012 et 2030, le gouvernement de Rafael Correa a décidé de suspendre unilatéralement le paiement. C’était une suspension totale du paiement de ces titres 2012 et 2030, cela a duré de novembre 2008 à juin 2009. En avril 2009, Rafael Correa a déclaré aux marchés : « Messieurs, nous serons généreux, nous rachèterons les titres à 30 % de leur valeur, et vous avez jusqu’au 8 juin pour les présenter. Après le 8 juin, il n’y aura plus de rachat. » En conséquence, l’Équateur a réussi à racheter 91 % des titres. C’était une victoire totale pour l’Équateur. La dette a diminué en 2009-2010-2011 et les dépenses sociales ont augmenté.

Le problème, c’est que l’Équateur n’a pas été suivi pendant cette période. Rafael Correa a fait des démarches pour essayer de convaincre les autres gouvernements de faire comme l’Équateur, mais cela n’a malheureusement pas été suivi d’effets.

Mais au moins, cela reste comme un exemple de la possibilité de prendre un acte souverain sur la base d’un audit.

On entend toujours l’argument « si un pays suspend le paiement de sa dette et affronte les créanciers, ils vont fermer la possibilité d’accéder aux marchés financiers à l’avenir ».

« Est-il absolument nécessaire de se financer sur les marchés internationaux ? N’y a-t-il pas moyen de mener une politique alternative pour réactiver l’économie notamment grâce à une politique fiscale socialement juste ? »

Ce n’est pas le cas de l’Équateur qui a réussi à revenir sur les marchés.

Mais, et c’est plus important, je pose la question suivante : est-il absolument nécessaire de se financer sur les marchés internationaux ? N’y a-t-il pas moyen de mener une politique alternative pour réactiver l’économie notamment grâce à une politique fiscale socialement juste ? Nous devons nous demander comment utiliser au mieux des sources internes pour réactiver l’économie, pour mobiliser l’épargne interne et mobiliser les revenus internes par une politique fiscale adéquate.

De plus, je pense qu’il est très important qu’à l’avenir, si l’Argentine veut émettre des obligations, elle ne délègue pas à une autre juridiction le pouvoir de décision en cas de litige. Et qu’elle mette en œuvre la doctrine Calvo [2]-Drago [3] qui vient de cette région et qui est une contribution au monde entier élaborée à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle : aucun abandon de souveraineté en matière de dette. C’est un principe fondamental.

Je termine avec une blague britannique. Les Britanniques disent : si on a une dette de 1000 livres à la banque et qu’on ne peut pas la payer, on a un problème. Mais si la dette est de 10 millions de livres et ne peut être payée, c’est la banque qui a un problème.

Notes:

[1Le 22 octobre 2004, 15 députés argentins provenant de différentes formations politiques ont présenté un projet de loi pour déclarer odieuse la dette contractée par la dernière dictature militaire. L’article 1 de ce projet de loi (qui en contient trois) est clair et concis : « Déclare odieuse la totalité de la dette publique externe contractée par la dictature militaire durant les années 1976, 1977, 1978, 1979, 1980, 1981, 1982 et 1983 » https://www.cadtm.org/Argentine-Projet-de-loi-concernant Ce projet de loi n’a malheureusement pas été adopté.

[2L’Argentin, Carlos Calvo (1824-1906) a élaboré une doctrine de droit international, connue comme la doctrine Calvo, qui stipule que les personnes vivant dans un pays étranger doivent faire leurs demandes, plaintes et griefs dans le cadre de la compétence des tribunaux locaux, sans recourir à la pression diplomatique ou à l’intervention militaire. Toutes les voies juridiques locales doivent être épuisées avant d’envisager de saisir les voies diplomatiques internationales. Cette doctrine a été transposée dans plusieurs constitutions de pays de l’Amérique latine. Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Carlos_Calvo Voir également : https://fr.wikipedia.org/wiki/Doctrine_Drago

[3Luis Maria Drago (1859-1921), juriste et homme d’État argentin, a déclaré lors de la convention de La Haye de 1907 : « aucun tribunal n’est compétent pour des emprunts publics. »

Dette odieuse

Eric Toussaint pour La Pluma, le 24 décembre 2019

Edité par María Piedad Ossaba

Publié par CADTM

Traductions disponibles: Español