La bataille légale du Front POLISARIO révèle les dangers cachés derrière les critères ESG* qui enthousiasment tant les investisseurs

Une action en justice concernant un territoire africain contesté affecte les liens de l’UE avec le Maroc

Ce que les militaires appellent la guerre asymétrique – des guérilleros qui combattent des armées régulières – est arrivé dans le monde de la conformité.

Des mouvements politiques disposant de peu de moyens financiers, sans parler de la supériorité militaire, peuvent gagner devant les tribunaux contre les entreprises ou les acteurs gouvernementaux.

Grâce à leur capacité à utiliser leurs victoires pour influencer des billions de dollars d’argent d’investisseurs ou de fonds souverains sensibles, ils peuvent générer un effet énorme.

Prenons le cas du dossier présenté devant la Cour Européenne de Justice le 29 avril dernier par le Front Polisario, un groupe politique qui réclame la pleine souveraineté du Sahara Occidental occupé par le Maroc. Ses avocats affirment que Bruxelles viole le droit communautaire des droits humains en autorisant, voire en encourageant, l’importation de ressources naturelles du territoire.

Si le Polisario remporte le premier tour de son procès contre le Conseil européen, il pourrait, ainsi que ses alliés dans le monde entier, intenter des poursuites contre des entreprises et des institutions faisant des affaires avec le Maroc, qui affirme avoir la souveraineté sur le Sahara occidental.

À lui seul, le Polisario n’est peut-être pas un adversaire impressionnant. Mais que se passerait-il s’il bénéficiait du soutien du fonds souverain norvégien, des compagnies d’assurance suédoises et des 12 billions de dollars d’actifs immobilisés dans des produits financiers sélectionnés selon des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance ?

Le Maroc, pour sa part, est soutenu par les Français et les Espagnols pour des raisons économiques, telles que les droits de pêche et les investissements, mais aussi pour des raisons politiques, notamment pour éviter un effondrement de type libyen aux portes de l’Europe.

Le retrait discret des entreprises ou des investisseurs ne fonctionnera pas, puisque des groupes de défense des droits humains tels que Western Sahara Resource Watch notent chaque expédition de phosphate du territoire et chaque entreprise européenne qui a une autorisation de pêche ou de survol.

Les gens soucieux de la conformité d’entreprise ont peut-être pensé que les investisseurs impliqués dans l’ESG ne feraient qu’afficher des votes par procuration pour les assemblées annuelles ou accepteraient des diaporamas anodins sur le soutien aux clubs de football locaux et les contributions bizarres aux cliniques de santé. Mais pas du tout.

Des règles de gouvernance d’entreprise plus strictes en Europe et sur d’autres marchés développés ne profitent pas uniquement aux investisseurs activistes, comme les fonds vautours spéculatifs. Elles font également pression pour que les lois et les traités relatifs aux droits humains soient explicitement respectés. Des entreprises allemandes comme HeidelbergCement et Continental sont de plus en plus assiégées par les questions sévères des groupes militants soutenant le Polisario.

Ce qui aurait été une extension de routine des lignes bancaires ou des groupes de souscription d’obligations est maintenant compliqué par des questions sur la teneur en carbone et l’utilisation des minerais controversés. Les consultants en criblage des critères ESG tels que Sustainalytics aux Pays-Bas considèrent désormais le phosphate de roche, un produit clé d’ exportation du Sahara Occidental, comme l’un de ces minerais objets de conflits.

Prenons l’exemple du financement de la production d’électricité à partir du charbon. Autrefois, c’était strictement l’affaire d’une quelconque compagnie d’énergie. Aujourd’hui, il est difficile, voire impossible, d’obtenir un soutien bancaire pour une telle activité.

Le Polisario avait déjà réussi à persuader le tribunal de déclarer en février de l’année dernière qu’un accord de pêche de l’UE avec le Maroc « n’était pas applicable au Sahara occidental et à ses eaux adjacentes ».

Les Marocains en colère ont persuadé le Conseil européen et le Parlement européen de bricoler une solution de contournement juridique, qui a été adoptée en janvier.

Ce n’était pas la fin de l’histoire.

La requête par le Polisario à la fin du mois d’avril demande qu’un tribunal annule le nouvel accord économique avec le Maroc, plus ou moins pour les mêmes raisons que celles que la CJUE a invoquées dans des affaires antérieures. Des sources proches du tribunal disent qu’il faudra entre six mois et un an pour que le dossier soit déclaré recevable pour un procès.

On ne peut pas dire comment le tribunal se prononcera, mais un examen du dossier montre une grande sympathie de la cour pour les arguments du Polisario. L’UE, la France, l’Espagne et les sympathisants du Maroc pensent probablement qu’ils sont sérieusement menacés d’une nouvelle défaite.

Si le Polisario a cette première victoire en main, il est susceptible de poursuivre les partenaires commerciaux et financiers du Maroc devant d’autres tribunaux en Europe et ailleurs. Je crois comprendre qu’il pourrait demander des dommages civils aux entreprises qui ont importé du phosphate, du poisson et des produits agricoles au fil des années.

Bien sûr, les Français et les Espagnols se présenteront dans les mêmes salles de conseil que les consultants et les avocats et exigeront que les entreprises, les banques et les investisseurs continuent à faire des affaires avec un partenaire géopolitique clé. Sinon, laisseront-ils entendre, le Maroc pourrait permettre à un plus grand nombre de migrants de traverser la Méditerranée.

Ainsi, une fois qu’une banque, une entreprise ou un gestionnaire d’actifs a accepté la notion de conformité aux critères ESG, elle ou il peut se retrouver pris dans un conflit comme celui entre le Polisario et le Maroc, sans parler de la France et de l’Espagne.

Oui, c’est bien d’avoir un petit certificat décoré de feuilles vertes délivré par des consultants en durabilité, mais cela signifie aussi que vous vous retrouverez impliqué dans des jeux à mises élevées.

* Critères environnementaux, sociaux et de gouvernance d’entreprise

John Dizard

Original: Polisario case reveals high stakes behind investors’ ESG* enthusiasm

Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Traductions disponibles: Español  Português/Galego 

Source: Tlaxcala, le 22 mai 2019