Si vous me demandez comment mon livre Les acacias de l’exode est né, je dois me référer à deux moments importants. L’un a été en novembre 2010, lorsque les forces de répression marocaines ont rasé le camp sahraoui de Gdeim Izik, en emportant brutalement les milliers de tentes qui constituaient ce qui avait été baptisé le Camp de la dignité sahraouie.
Ce qui s’est passé ce mois-là depuis que la population sahraouie de la ville occupée d’El Ayoune a installé le camp jusqu’à sa destruction m’a profondément impressionnée et a probablement été le moment le plus décisif et plein de ferveur que j’ai vécu dans ces presque vingt ans de marche aux côtés Sahraouis. L’autre moment fut la visite à Madrid en 2012 d’Ahmed Mohamed Fadel « Rubio » (Le Blond), un vétéran de la cause du front culturel, jeune yéyé dans sa Villa Cisneros natale, combattant avec l’armée sahraouie pendant la guerre de libération et homme du livre qui vit aujourd’hui réfugié dans les camps du sud de l’Algérie, dans l’attente du retour dans son pays natal.
Les discussions avec Rubio qui se sont succédé durant ces jours-là m’ont profondément touchée, car quand Rubio parle, ce sont des fleurs qui sortent de sa bouche, C’est un homme au verbe lent et profond, aux convictions profondes et à l’intégrité irrévocable. Ses réflexions portent toujours le parfum de la poésie de son peuple et il est une source inépuisable de mémoire et de souvenirs. Ces histoires m’ont saisie et petit à petit, elles sont devenues des histoires et des personnages. Comme le combattant qui peint le signe de la paix sur un projectile, le révolutionnaire Salama ou le soldat qui se souvient de la visite de Felipe González dans les camps. Ils portent chacun sa voix unique.
Moya a présenté son livre ce week-end à la Foire du Livre de Vallecas, Madrid.
Les Sahraouis sont appelés « les fils des nuages », toujours à la recherche de la pluie qui apportera pâture et souffle dans le désert inclément. C’est aussi un peuple qui déborde de poésie. Peu d’enclaves dans le territoire sahraoui peuvent être plus vénérées que les puits et peu de trésors plus appréciés que la mémoire. Rubio dit que ceux d’entre nous qui écrivent sur le Sahara Occidental construisent des « puits culturels » pour étancher la soif du peuple et chaque fois que nous finissons de construire un de ces puits nous le remettons au peuple « pour qu’il retrouve sa culture et ne perde pas son identité ». En effet, « Les acacias de l’exode » est un livre du peuple sahraoui et en même temps il espère rapprocher de la cause beaucoup de personnes qui ne la connaissent pas.
Les Sahraouis ont fait de moi une écrivaine. L’adolescente que j’étais écrivait des lettres à ses amis pour leur raconter les histoires qui leur étaient arrivées afin qu’elles les engrangent et les gardent pour toujours. Le voyage que j’ai fait dans les camps de réfugiés sahraouis m’a amenée à entreprendre une tâche plus ardue : raconter cette expérience incroyable qui a mis le peuple sahraoui et sa cause dans mon cœur. Ma rencontre avec Bahia Awah et les poètes sahraouis qui se sont ensuite unis autour de la Génération de l’Amitié m’a encouragée à écrire et transformer cette liasse de feuillets agrafés en mon premier livre auto-publié, « Les autres princes ». Les histoires que j’ai entendues de ma famille et de mes amis sahraouis sont vite devenues un deuxième livre, également auto-publié, « Délices sahraouies ».
Mais quand on vit le Sahara tous les jours, il n’y a jamais assez d’écriture pour raconter tout ce qu’on apprend, écoute, vit et découvre. Gdeim Izik et Rubio ont été les déclencheurs des premières histoires. Bientôt d’autres sont arrivées, inspirées par les paroles, la vie et l’exemple des femmes et des hommes sahraouis. Comme la militante Nueina Djil, protagoniste de la photo mythique de la photojournaliste Christine Spengler avec un fusil sur l’épaule et son bébé dans les bras ; Moina Chekhatou, la jeune femme sahraouie qui a accompagné Felipe González dans sa visite aux camps de réfugiés à peine créés ; les militants sahraouis des droits humains Brahim Dahan et Hmad Hamad, dont les histoires de lutte et de sacrifice pour le Sahara sont une source constante d’inspiration pour moi ; l’écrivain et diplomate Ahmed Muley Ali ou le poète national Bachir Ali, qui m’a fait découvrir l’existence de Graret Lantilagha, les acacias de l’exode, le lieu qui donne son nom au livre. Ses témoignages et ceux de sa famille et de ses amis formaient ce recueil d’histoires où j’ai tenté de fuir l’orientalisme pour refléter une vision réaliste des Sahraouis. Parce que je crois fermement que la littérature engagée est l’un des meilleurs moyens de diffuser les idées et les causes. « Les acacias de l’exode » devient une partie de la bibliographie des poèmes, romans, livres de contes et essais qui accompagnent le peuple sahraoui sur son chemin vers la liberté.
J’espère que les lecteurs voyageront au Sahara à travers ses pages, apprendront à connaître son peuple et comprendront sa réalité.
Sahara libre.
Conchi Moya
Original: Las acacias del éxodo, un viaje literario para conocer al pueblo saharaui
Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي
Source: Tlaxcala le 8 mai 2019