À Madrid l’espoir est mort : les derniers jours de Madrid républicaine
Joseph Kessel, Paris-Soir du 28 février 1939

Pourquoi lutter ? Pourquoi sentir sa chair tenaillée par la faim et la bise ? Pourquoi pousser de nouvelles classes au combat ?

Le mardi 28 février 1939, le quotidien français Paris-Soir annonce en une : « Londres et Paris reconnaissent officiellement Franco. À Londres, M. Chamberlain l’annonce aux Communes tandis qu’à Paris le Conseil des ministres en prend la décision ». Sous cette information, le journal publie le reportage de Joseph Kessel, qui vient d’arriver à Madrid républicaine assiégée. La capitale tombera un mois plus tard aux mains des franquistes, le 28 mars. La répression y fera 200 000 morts.

Lecture Hélène Lausseur
Réalisation Thomas Dutter
En partenariat avec Retronews, site de presse de la BNF

« Ce n’est pas l’accroissement de la misère et de la souffrance qui frappe surtout le voyageur qui, après trois mois d’absence, revient à Madrid. C’est l’affaissement moral de la population. Il y avait chez elle, en novembre, et malgré la demi famine et les bombardements une gaieté, un élan que l’on ne retrouve plus. Elle plaisantait, elle riait. Elle était vivante, ardente. Elle croyait encore. Vingt-quatre mois de guerre et de privations sans nom n’avaient pas réussi à ébrécher son admirable et joyeux stoïcisme. Et je ne crois pas qu’il ait cédé simplement à cause des difficultés matérielles qui accablent cette population chaque jour davantage. C’est la chute de la Catalogne qui, en l’occurrence, a joué d’une façon décisive. Les proclamations héroïques, les articles rassurants, la raréfaction des nouvelles de l’étranger n’ont pas réussi à tromper l’instinct populaire. Il a senti quelle devait être fatalement l’issue de la lutte. Il a perdu la foi. Aussitôt, ce que l’on supportait avec bonne humeur, avec défi, a pris un poids écrasant. Pourquoi lutter ? Pourquoi sentir sa chair tenaillée par la faim et la bise ? Pourquoi pousser de nouvelles classes au combat ? Voilà ce qui transparaît sur les traits mornes, dans les démarches lasses les voix basses des habitants de Madrid. Ils ne se révoltent pas, ils ne protestent pas. Leur courage, leur endurance semblent à toute épreuve. Mais ils ont pris la forme d’une apathie vraiment tragique. Rien ni personne ne la peuvent ébranler. Elle est faite de trop d’épuisement physique, de trop de fatigue nerveuse, de tension trop longue, de trop d’espoirs déçue. »

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France Culture

Source: Tlaxcala, le 3 mai 2019