Libye : Haftar est-il soutenu dans son offensive par ses alliés ?

« Personne n’est capable de contrôler la Libye tout seul, même si c’est le plus grand des généraux. Publiquement, toutes les capitales étrangères souhaitent le succès de la conférence de Ghadamès qui doit se tenir le 14 avril »

Les soutiens du maréchal ne semblent pas très enthousiastes. La donne pourrait toutefois changer dans les prochains jours.

Al-Jazeera parle de l’offensive des forces loyales au « chef de guerre » Khalifa Haftar. Al-Arabiya évoque pour sa part la « libération » de la capitale par « l’armée libyenne de l’Est ». On se croirait de retour en plein printemps arabe quand la chaîne qatarie faisait l’éloge du président égyptien issu de la confrérie des Frères musulmans Mohammad Morsi tandis que sa concurrente saoudienne al-Arabiya lui attribuait tous les maux de l’Égypte. Et pour cause : dans un Moyen-Orient marqué par plusieurs fractures, dont l’opposition entre le Qatar et l’Arabie saoudite, les événements récents en Libye sont perçus sous le prisme des bras de fer régionaux. Qui soutient le maréchal Haftar dans sa tentative de prendre Tripoli par la force ? La question est sur toutes les lèvres depuis que l’homme fort de l’Est libyen, qui commande une force de 25 000 hommes, a lancé jeudi son offensive pour « entrer » dans la capitale libyenne, Tripoli, où siège le Gouvernement d’union nationale (GNA) dirigé par Fayez al-Sarraj, reconnu par l’ensemble de la communauté internationale.

Emad Hajjaj

Le maréchal ne manque pas d’alliés. Il est principalement soutenu par les Émirats arabes unis et par l’Égypte, puis par la Russie et, dans une moindre mesure, par la France. Ses partisans accusent le gouvernement de son rival Fayez al-Sarraj d’être à la botte de la Turquie et du Qatar, les deux pays qui soutiennent les Frères musulmans dans la région. Créé à l’issue de l’accord de Skhirat (Maroc) en décembre 2015 sous les auspices des Nations unies, qui visait à mettre fin à la guerre civile libyenne post-Kadhafi, le GNA n’a jamais vraiment pris le contrôle effectif du pays. Le maréchal Haftar, qui a gagné en popularité en organisant la résistance à Benghazi face aux jihadistes d’Ansar al-Charia dans les années 2013-2014, contrôle le Parlement exilé à Tobrouk (Cyrénaïque, Est libyen), et considère le GNA de Fayez al-Sarraj comme une marionnette des « milices islamistes » contre qui il se pose en rempart.

Haftar chez le roi Salmane, 27 mars 2019

Celui qui se veut le fer de lance de la lutte contre le terrorisme, à l’image du président Abdel Fattah al-Sissi en Égypte, a lancé les hostilités une semaine après avoir été reçu par le roi Salmane d’Arabie saoudite et quelques jours avant la conférence nationale sur la Libye qui doit se dérouler à Ghadamès le 14 avril. L’homme avait toutefois prévenu à plusieurs reprises qu’il voulait marcher sur Tripoli et il est possible qu’il ait même pris ses alliés de court. « L’offensive a peut-être été encouragée, peut-être qu’ils avaient misé sur une victoire rapide, sur l’effet de surprise. Mais aujourd’hui, les soutiens du maréchal Haftar n’ont visiblement pas l’air très enthousiastes », note l’ancien envoyé spécial de l’ONU en Libye, et ancien ministre, Tarek Mitri.

Rainer Hachfeld, Neues Deutschland, Allemagne

« Personne n’est capable de contrôler le pays tout seul »

Les Émirats se sont ralliés, peut-être sous pression américaine, au communiqué de la France, de l’Italie, de la Grande-Bretagne et des États-Unis, appelant toutes les parties à cesser immédiatement l’escalade de la tension. L’Égypte a modéré le ton. La Russie a bloqué une résolution à l’ONU qui appelait les forces du maréchal Haftar à cesser leur assaut contre la capitale libyenne considérant que « toutes les parties » devraient être appelées à la retenue pour éviter « un bain de sang ». La France, quant à elle, qui avait organisé une rencontre entre Khalifa Haftar et Fayez al-Sarraj en juillet 2017 a tenu à prendre officiellement ses distances avec le premier. Le président français Emmanuel Macron a téléphoné hier au chef du Gouvernement d’union nationale libyen pour lui affirmer son « refus total » de l’offensive du maréchal Haftar.

De là à dire que le maréchal a, pour l’instant, raté son coup, il n’y a qu’un pas. Les considérations locales semblent prédominer sur les rivalités régionales. « À défaut d’une intervention militaire égypto-émiratie ou d’un soutien français, rien ne va se passer. Cette offensive ne changera pas radicalement le rapport de force sur le terrain. Elle s’est arrêtée à 25 km de Tripoli, et les salafistes n’ont pas bougé. La question est : est-ce que Haftar va accepter cet échec et se réengager dans le processus politique ? », résume Tarek Mitri. Le processus de paix, déjà largement enrayé alors que l’envoyé spécial de l’ONU en Libye Ghassan Salamé avait appelé à la tenue prochaine d’élections, peut-il survivre à cette bataille ? « Personne n’est capable de contrôler la Libye tout seul, même si c’est le plus grand des généraux. Publiquement, toutes les capitales étrangères souhaitent le succès de la conférence de Ghadamès qui doit se tenir le 14 avril », constate Tarek Mitri.

Ghassan Salamé a assuré samedi que cette conférence était maintenue aux dates prévues, du 14 au 16 avril, sauf en cas de « circonstances majeures ».

David Nassar

Source: Tlaxcala, le 9 avril 2019

Publié par:  L’Orient-Le Jour

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