Algérie : paroles d’un peuple conscient

C’était quelques jours avant un certain 22 février, jour de la première marche, jour de tous les possibles, où tout a basculé au chant du Silmiya silmiya : pacifique pacifique.

Par Yassine Bouzar, avec la collaboration d’Eric Chaverou et de Nathalie Lopes

L’Algérie vient de vivre une semaine historique avec la démission sous la pression de la rue et de l’armée du Président Bouteflika. Depuis mi février dernier, des millions d’Algériens ont investi pacifiquement les rues du pays en quête de démocratie. Documentaire au cœur de leurs aspirations.


A Alger, le 15 mars 2019, drapeaux algériens et foule aux balcons, dans le quartier de la grande Poste Crédits : Yassine BouzarRadio France

“Il fait toujours beau, la température est clémente toute l’année, nous avons un temps magnifique mais nous n’en profitons pas. Pourquoi ne pas le donner aux Suédois ou aux Anglais, parce que, nous, ce beau temps on en fait rien.”, disent les Algériens sous forme de boutade. 

Depuis le 22 février, date des premières marches de grande ampleur dans le pays, de la première déflagration, les sourires sont revenus, éclatants. Marche après marche, vendredi après vendredi, les Algériens sont de plus en plus nombreux dans les rues, drapés de l’emblème national. Le blanc et le vert sont partout. Réalisateur à Radio France, Yassine Bouzar a tendu son micro à Alger, mi-mars, pendant une dizaine de jours :

Habituellement, l’Algérien est de sortie drapeau à la main pour célébrer un match de foot. Aujourd’hui, c’est pour dire ‘’Système dégage !’’

Quelque chose s’est passé dans le pays du football : le 14 mars, jour du derby entre le Mouloudia et l’Usma, les supporters boycottent la rencontre. Le patriotisme de football est mort. 

Les Algériens ont repris tout ce qui symbolise l’état : le drapeau, l’hymne national et la rue, les symboles de la guerre d’Algérie aussi. Djamila Bouhired, l’icône de la guerre d’Algérie, est présente parmi les manifestants. 

La rue appartient désormais aux citoyens, la police ne veut pas réprimer ces manifestations. On voit des policiers souriants faisant des selfies. Désormais, c’est chaque jour manif’ : avocats, enseignants, étudiants, magistrats… Pour rire, on dit qu’il ne manque que le gouvernement dans la rue.

Ahmed Ouyahia, l’ancien Premier ministre, avait dit à la télévision que l’Algérien ne savait pas manifester et mis en garde contre le retour à la guerre civile : la décennie noire des années 90. La rue lui a répondu avec le sourire.

Ceux qui ont connu les émeutes d’octobre 88 et le soulèvement des jeunes, puis la répression féroce qui s’en suivit regardent cette jeunesse avec tendresse, ils la croyaient perdue et le pays aussi.

L’Algérien n’a jamais cessé d’être mobilisé mais sur les réseaux sociaux. Cette fois, il a l’impression que tous les profils Facebook se sont transportés dans la rue, en chair et en os.

Aujourd’hui, la parole est véritablement libérée. Le pouvoir a laissé des niches, un ou deux quotidiens par ci et une radio web, un chroniqueur et deux caricaturistes, faisant croire que la liberté d’expression était garantie en Algérie, une malice. Tout était verrouillé par ailleurs, le système veille.

Le dernier à en avoir fait les frais s’appelle Hadj Ghermoul, 37 ans, de Mascara, militant de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH). Il est en prison depuis le 27 janvier 2019. Son tort : avoir brandi une pancarte sur laquelle il était écrit ‘”Non au cinquième mandat’’. C’était quelques jours avant un certain 22 février, jour de la première marche, jour de tous les possibles, où tout a basculé au chant du Silmiya silmiya : pacifique pacifique.

Avec :

  • Farès Kader Affak 

  • Nazim et Naziha Farès (activiste) 

  • Sas (Sid Ahmed Semiane), documentariste photographe  

  • Ammar Bouras, photographe

  • Taous et Latifa, citoyennes

  • Merci aux anonymes 

Et un grand coup de chapeau à cette jeunesse consciente

À ÉCOUTER AUSSI

►Les Pieds sur terre One, two, three, viva l’Algérie (1/2) : “Maintenant, on ne dit plus ‘vendredi’ mais ‘jour de manifestation'”

Source: Tlaxcala, le 7 avril 2019

Publié par France Culture