Argentine : mémoire et unité
43 ans après le coup d’État

« Nous comprenons qu’une démocratie n’est pas telle si elle est construite sur la base de la persécution de ceux qui pensent différemment.

Le 43ème anniversaire du pire coup d’État de l’histoire argentine sera commémoré par des millions de personnes à travers le pays. La remémoration sera associée à l’angoisse provoquée par la crise sociale d’aujourd’hui dans une année électorale déterminante. 

Une fois de plus, la Plaza de Mayo et ses environs seront ce dimanche la scène pour exercer la mémoire quand des organisations de défense des droits humains, des survivants et des proches, des groupes politiques et sociaux mais surtout des mères, des pères, des fils et des filles, des groupes d’amis, des frères et des camarades se rassembleront pour commémorer les victimes de la dernière dictature civile-militaire, 43 ans après ses débuts. La table nationale des organisations de défense des droits humains convoque tout le monde à 14 heures à proximité de la Plaza sous le slogan “Avec mémoire et unité luttons pour la patrie dont rêvaient les 30 000 (disparu·es)” ; là, où ils convergeront avec les Mères de l’Association des Mères de la Plaza de Mayo, ils liront un document quelques heures plus tard. L’après-midi se poursuivra avec la mobilisation vers le même lieu de la Rencontre Mémoire, Vérité et Justice et les groupes de gauche. La Cámpora (organisation de jeunesse péroniste de gauche, NdT) arrivera à la Plaza de Mayo depuis l’ESMA (École de mécanique de la Marine, centre détention et de torture de la dictature, transformé en musée de la mémoire, NdT).

Image Leandro Teysseire

“Il n’y a aucun moyen de surmonter l’hypocrisie des gouvernements qui tournent le dos au peuple, il n’y a aucun moyen de construire la patrie de justice sociale et de vie digne pour laquelle nos fils et nos filles se sont battus sans être unis “, a déclaré Nora Cortiñas, une des mères de la Plaza de Mayo de la Ligne fondatrice qui entrera sur la Plaza de Mayo avec la banderole montrant les photos de « tous nos disparus ».

Pablo Piovano

La table nationale des organisations de défense des droits humains se réunit pour participer à la Journée nationale de la Mémoire pour  la vérité et de la justice à partir de 14 h. Le drapeau bleu avec les photos des victimes, tête mythique de la marche, s’étendra le long de l’Avenida de Mayo et avancera au fur et à mesure que la rue se remplira de gens. “Mémoire” et “Unité” sont les deux mots qui résonnent le plus dans le slogan choisi pour cette année. Sur le concept de “Mémoire”,  Cortiñas a convenu avec la présidente des Grands-mères, une autre des organisations qui appellent à la marche, que « la mémoire ne peut manquer ». « L’histoire n’est pas réglée. Perdre la mémoire, c’est permettre que les choses se répètent », a prévenu Estela Carlotto hier matin dans des déclarations à la radio.

Giselle Tepper, membre de H.I.J.O.O.S. (organisation d’enfants de disparu·es, NdT), a mis les deux concepts en relation pour expliquer pourquoi, cette année, ils sont la partie fondamentale du slogan de la commémoration du Jour de la Mémoire, au-delà de son évocation directe de l’ élection présidentielle d’ octobre prochain. « L’unité est possible s’il y a de la mémoire », a-t-elle proposé. » La lutte des organisations pour la mémoire, la vérité et la justice pendant et après la dictature a été traversée par l’unité, une gymnastique que nous avons reprise avec force ces dernières années afin d’étendre les liens au-delà du mouvement des droits humains », a-t-elle déclaré. « La forte offensive contre les droits de tous, l’énorme recul que ce gouvernement a imposé sur tous les fronts ont alerté de larges secteurs qui n’ont réussi à se réunir qu’avec un foulard blanc au milieu ».

Pour Sandra Maresco, membre de Familiares, l’étendard des organisations «  est la mémoire parce que nous savons qu’avec elle nous pouvons vaincre l’oubli et le silence ». « Cette année, nous avons proposé que cette mémoire ait besoin de l’unité de ceux d’entre nous qui aiment notre patrie et le peuple ; de ceux d’entre nous qui pensent qu’une patrie juste est possible. Les 30 000 ont combattu pour cette patrie, c’est pour ça qu’on revendique leurs rêves ».

L’autre slogan avec lequel ils·elles appellent à la manifestation est « la liberté des prisonniers politiques ». Les cas de la dirigeante sociale Milagro Sala et du responsable mapuche Facundo Jones Huala sont les emblèmes de cette revendication. En ce sens, Maresco soutient que «  l’affaiblissement de notre démocratie exercé par le pouvoir en place s’exprime fortement par la persécution des opposants politiques. Nous voulons apporter tout ce qui est nécessaire pour rétablir les droits hommes en Argentine ». « Nous comprenons qu’une démocratie n’est pas telle si elle est construite sur la base de la persécution de ceux qui pensent différemment. Nous exigeons leur liberté parce que nous croyons en la démocratie, mais aussi parce que de nombreux survivants ont été persécutés par le terrorisme d’État ».

Entre 16 h 30 et 17 h 30, on remplira la Plaza où sera lu le communiqué convenu par la dizaine d’organisations qui composent la table nationale. Les Mères de l’Association des Mères de la Place de Mai arriveront à bord du camion avec lequel elles arpentent les rues de la ville depuis plusieurs années à partir de leur siège, sur l’avenue Hipólito Yrigoyen, jusqu’à la Pyramide autour de laquelle elles tournent chaque jeudi. Dans son appel, l’association définit les Mères comme « la conscience vivante du peuple » et invite à la manifestation « contre les soudards d’hier et les collabos d’aujourd’hui ». « Macri, sa famille, sont les mêmes qu’avant. Ce sont eux qui ont soutenu la dictature et qui ont fait beaucoup d’argent avec la dictature et maintenant ils continuent à faire de l’argent », a-t-elle expliqué au micro de FM La Patriada. « Ce sont des gens sans âme, ils ne se soucient de rien, pas même que les enfants meurent de faim », a-t-elle ajouté. 

La Cámpora arrivera à la Plaza de Mayo depuis l’ESMA, point de départ de la mobilisation qui débutera à 9 heures du matin sous le slogan « pour plus de mémoire, de vérité, de justice et de démocratie ». Pendant ce temps, les dizaines de groupes de défense des droits humains, sociaux, étudiants, syndicaux et politiques qui composent la Rencontre Mémoire, Vérité et Justice se réunissent à partir de 15 heures sur les avenues Rivadavia et Montevideo pour marcher vers la Plaza à mesure que l’après-midi avancera. Les slogans de cet espace revendiquent la lutte des 30 000 disparu·es victimes du terrorisme d’Etat qui a frappé le pays entre 1976 et 1983 et la définition de ces crimes comme « génocide » ainsi que la répudiation de « la répression et de l’impunité d’hier et d’aujourd’hui », l’ajustement « du FMI, du (Président Mauricio) Macri et des gouverneurs » et l’offensive des USA contre le Venezuela et l’ Amérique latine.

Ailín Bullentini

Original: Argentina: memoria y unidad
A 43 años del Golpe

Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Source: Tlaxcala, le 24 mars 2019