Alors que l’opposition de droite apparaît fracturée, la gauche vénézuélienne se ressoude face aux menaces et à l’interventionnisme des États-Unis. Pour tenter de sortir de la crise, la gauche critique de Maduro veut réactiver les mécanismes participatifs de la Constitution de 1999
C’était la dernière séance, et le rideau est tombé. Après deux jours de violences, les 23 et 24 février, le Venezuela s’est réveillé en paix. Les journalistes ont éteint leur caméra, les artistes ont retiré leurs paillettes, les déserteurs de l’armée ont suivi Juan Guaido pour commencer sa tournée de carnaval, les Vénézuéliens sont partis à la plage. « La spectacularisation de l’aide humanitaire à la frontière colombienne a été un échec total pour l’opposition », explique Liliana Buitrago, chercheuse à l’Observatoire d’écologie politique. « D’un point de vue médiatique, c’était ridicule. Cela n’a fait que la fragiliser. Elle a joué un rôle similaire à celui de 2017. Il y avait la même confrontation de groupes violents avec l’armée, mais, cette fois-ci, il y a eu une internationalisation du spectacle. Cette stratégie d’ingérence des États-Unis avec l’opération “Guaido” ne représente qu’un secteur radical de l’opposition.
La majorité souhaite une solution démocratique au conflit. La droite est fracturée, elle n’arrive pas à proposer une transition politique unifiée. » Le 25 février, une ambiance de désillusion régnait dans les rangs de l’opposition. Trois jours plus tard, la Chine et la Russie posaient leur veto contre la résolution des États-Unis. « Le fait que nous ayons une alliance avec ces pays, qui sont aussi des empires et font des affaires au Venezuela, nous oblige à avoir une lecture géopolitique distincte. Ces puissances se lèvent et disent à Trump : “Attention, n’essaye pas d’intervenir au Venezuela, non pas parce que je suis bon, mais parce que j’ai aussi des intérêts dans ce pays” », souligne José Javier Sanchez, professeur de littérature, qui participe à ce premier Congrès du Peuple Rebelle, organisé par Elias Jaua en cette fin février. L’ancien vice-président du Venezuela, qui a quitté le gouvernement en septembre, tente de rassembler les mouvements sociaux attaqués par la direction du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV). Cette gauche critique continue de soutenir le président Maduro, en se maintenant à l’écart des instances du PSUV.
Ezequiel Reyes est le filleul d’Elias Jaua. Il a été baptisé ainsi par son mentor politique, en hommage à Ezequiel Zamora, le leader de la révolution paysanne qui commença seize ans après la mort de Simon Bolivar. Le jeune étudiant, chargé de présenter les intervenants du congrès, arbore fièrement son tee-shirt avec le drapeau de Cuba. Il se souvient que le chavisme, durement frappé par la crise économique, refusait les dernières décisions prises par Nicolas Maduro. Mais, face à la menace d’intervention militaire, le soutien au président a augmenté à nouveau. « Lorsque les Espagnols ont envahi notre continent, les indigènes étaient en guerre, mais ils se sont unis pour lutter contre l’ennemi externe. Et lorsque Bolivar comprend que la révolution ne peut pas se faire seulement avec les élites, il décide de s’unir avec les Noirs, considérés comme des esclaves. C’est à partir de ce moment-là que commence le véritable processus indépendantiste. Nous, les Vénézuéliens, lorsque nous sommes dans une situation de difficulté, nous nous unissons à nouveau. »
UNE GUERRE PAR PROCURATION
Carlos Lanz, sociologue spécialiste de l’éducation populaire, prend la parole. «Sommes-nous en guerre ? » La question ne surprend pas le public, qui l’écoute attentivement. « La guerre que nous vivons est celle des émotions, nous devons nous poser la question de la subjectivité de la guerre », affirme cet ancien guérillero, coiffé d’un béret. Il rappelle avec gravité que, le 23 février, le gouvernement a perdu le contrôle du territoire pendant trois heures, face aux attaques des paramilitaires. «Nous vivons une guerre déléguée, c’est la guerre “proxy”. Elle est organisée par des pouvoirs supérieurs qui n’interviennent pas directement, mais soutiennent des groupes armés irréguliers qui, eux, sont en conflit direct sur le terrain. Il faut nous préparer avec notre armée de réserve, et aussi à travers les comités d’alimentation et d’approvisionnement. Car leur objectif n’est pas l’élimination de l’adversaire sur le terrain. Il s’agit de briser la volonté de lutte des militaires. »
Mary Fernandez est marquée par l’intervention de Carlos Lanz, sur la guerre non conventionnelle. Cette institutrice indigène yukpa a été enlevée et torturée en novembre dernier pendant une semaine. Toute sa famille a été déplacée de son territoire, près de la frontière avec la Colombie. « Nous devons être forts et ne pas perdre espoir. Nous devons nous préparer, pour ne pas être surpris, comme il y a cinq cents ans, lors de l’invasion de Christophe Colomb. Mes ancêtres étaient armés de flèches, mais ils les utilisaient pour chasser. Ce qui m’est arrivé à un rapport avec la situation actuelle. Les propriétaires terriens savent que nous vivons sur des terres riches en pétrole et en charbon. Si la droite arrivait au pouvoir, elle se vengerait, et elle nous chasserait de notre territoire. Nanayishe Venezuela ! Ce qui veut dire, en yukpa : “Nous voulons la paix au Venezuela” ! »
Une négociation est-elle encore possible ? Nicolas Maduro semble prêt à se réunir avec Donald Trump pour résoudre cette crise, ce qui élèverait le dialogue au rang de chefs d’État. Faut-il organiser une élection présidentielle anticipée ? Pour la majorité du chavisme, ce n’est pas envisageable car cela reviendrait à ne pas reconnaître la légitimité de Nicolas Maduro, qui a été élu par quelque 7 millions de Vénézuéliens. Le gouvernement propose d’anticiper les élections législatives. Mais l’opposition ne reconnaît pas le gouvernement, le Tribunal suprême de justice n’est pas un arbitre neutre, le président gouverne par décrets, les députés de l’Assemblée nationale constituante approuvent des lois qui favorisent les grandes corporations, en revenant sur des acquis fondamentaux de la révolution bolivarienne.
PROPOSITION DE RÉFÉRENDUM
« Cette stratégie d’ingérence des États-Unis avec l’opération “Guaido” ne représente qu’un secteur radical de l’opposition. La majorité souhaite une solution démocratique au conflit. »
LILIANA BUITRAGO, chercheuse à l’Observatoire d’écologie politique
Face à ce blocage institutionnel, Liliana Buitrago propose l’organisation d’un référendum, pour demander au peuple s’il souhaite organiser des élections générales, et rénover les membres du Conseil national électoral : « Pour le moment, aucune des deux parties n’a la volonté politique de négocier, donc on va assister à un approfondissement des sanctions économiques, qui est une forme de violence contre le peuple. Nous devons récupérer la confiance du peuple, au moment où un coup d’État nous menace comme une épée de Damoclès. Nous devons mettre en avant non seulement le concept de souveraineté, mais aussi celui d’autodétermination des peuples. Les mécanismes participatifs de la Constitution de 1999 sont uniques, démocratiques. Il faut les utiliser, et donner la participation au peuple, non pas aux élites. »
Reportage : Angèle Savino
Edité par María Piedad Ossaba
Source: L’Humnité dimanche p.p 30-32, du 7 au 13 mars 2019