Hasni Abidi : « Le 5e mandat a été l’acte de trop qui a sorti le peuple algérien de son silence »

C’est le passage en force d’une 5e candidature qui a été ressentie comme une provocation, comme une humiliation collective des Algériens et qui leur a donné l’élan pour manifester leur colère

Pour le politologue et spécialiste du monde arabe Hasni Abidi, le pouvoir algérien « a manqué une occasion historique de comprendre réellement les besoins de la population algérienne »

« La dignité », tel est le slogan qui a marqué les manifestations qui ébranlent les rues algériennes depuis le vendredi 22 février. Selon les chiffres avancés par des associations algériennes de défense des droits de l’homme, plus de 800 000 personnes ont défilé dans plusieurs villes d’Algérie pour protester contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un 5e mandat.

Un Algérien porte le drapeau de son pays lors d’une manifestation contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un 5e mandat, le 22 février 2019 à Alger (AFP)

Une mobilisation sans précédent depuis la fin de la guerre civile (1991-2002) et qui semble surprendre l’opinion. Le mouvement ne faiblit pas. D’autres rassemblements de protestations sont prévus ce mardi 26 février, à l’initiative des étudiants universitaires. Un nouvel appel anonyme a été lancé sur les réseaux sociaux pour protester également vendredi 1er mars.

Comment expliquer cette mobilisation inédite ? Assistons-nous à un « Printemps » algérien ? Quel est le rôle de la société civile mais aussi de l’opposition dans ces mobilisations ?

Hasni Abidi, politologue spécialiste du monde arabe et directeur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM) basé à Genève, a répondu aux questions de MEE.

Middle East Eye : Comment expliquez-vous une telle mobilisation alors que l’on disait l’Algérie tétanisée par la décennie noire et la peur de connaître un chaos semblable à celui de la Libye ou de la Syrie ?

Hasni Abidi : Il y a plusieurs éléments qui expliquent le sursaut démocratique des Algériens, qu’on peut décrire comme surprenant, spontané et impressionnant.

C’est le passage en force d’une 5e candidature qui a été ressentie comme une provocation, comme une humiliation collective des Algériens et qui leur a donné l’élan pour manifester leur colère

Tout d’abord, il y a toute une génération algérienne qui n’est pas concernée par la décennie noire. Cette génération, qui est née à la fin des années 80 et au début des années 90, n’a connu qu’Abdelaziz Bouteflika comme président. Elle est donc différente des générations précédentes.

Ensuite, il faut savoir que chaque pays a sa propre dynamique de mobilisation. Il est faux de dire que l’Algérie n’a pas connu de mouvements de protestation. Rappelons-nous les protestations lors de la distribution des logements et des coupures d’électricité et d’eau. Il y a eu aussi des manifestations au lendemain de l’élection du président pour son quatrième mandat, dans le sud algérien.

C’est une accumulation de plusieurs faillites économiques et sociales qui a fait le lit d’une démonstration de force. Et cette démonstration a tardé parce que le pouvoir en place a réussi, par sa main financière, à « louer » la paix sociale et à tourner l’assiette de sa clientèle.

En outre, le système algérien n’a cessé d’utiliser des figures de l’opposition ou d’autres figures publiques pour asseoir sa légitimité.

C’est le passage en force d’une 5e candidature qui a été ressentie comme une provocation, comme une humiliation collective des Algériens et qui leur a donné l’élan pour manifester leur colère et leur rejet dans la rue.

MEE : La foule de manifestants était hétéroclite, mais que dit-elle de la société algérienne d’aujourd’hui ?

HA : La société algérienne est en constante évolution. Elle est traversée par les mêmes courants idéologiques, politiques, par les mêmes appartenances culturelles et ethniques que les autres sociétés méditerranéennes.

On constate que cette sociologie de la population algérienne n’a pas de revendications purement professionnelles ou limitées géographiquement. Aujourd’hui, nous assistons à une concentration sur une seule revendication, qui est le rejet d’un 5e mandat. C’est ce qui fait la force de cette mobilisation.

Cette revendication a aussi traversé toutes les divergences au sein de la société algérienne, qui, il faut le noter, est plurielle. Elle a même traversé les autres revendications économiques et sociales qui ont été parfois reçues positivement par le pouvoir algérien. Mais cette fois-ci, le pouvoir n’a pas de réponse à une revendication qui demande son départ.

MEE : Qu’est-ce que cette mobilisation dit aussi de la société civile et de l’opposition politique, dont on a beaucoup dit qu’elles avaient été atomisées et qui, concrètement, semblent en effet dépassées ?

HA : Depuis l’arrivée de Bouteflika, le pouvoir politique a tout fait pour neutraliser les leviers de la société civile et ses figures. Il a commencé par miner l’opposition de l’intérieur, ce qui s’est traduit par de multiples dissensions au sein des partis politiques de l’opposition.

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Fuente: Tlaxcala, le 27 février 2019

Publié par Middle East Eye