Bravo à Airbnb

Espérons qu’Airbnb ne fera pas marche arrière. Son action pourrait montrer la voie à d’autres compagnies. Grâce à Airbnb, un nouveau genre de bataille est engagé : celui des sites des opérateurs de vacances privés, totalement dépourvus de légitimité. Merci, Airbnb, non seulement pour le courage pour lequel vous allez devoir payer le prix – mais aussi pour déplacer le conflit depuis notre droit à la terre à notre droit à un bed and breakfast.

Airbnb a expliqué qu’il n’a pas besoin  de profiter de terres dont les habitants ont été spoliés. Y a-t-il une position plus juste que celle-ci ?

Une seule entreprise de tourisme a fait plus cette semaine pour mettre fin à l’occupation que tout ce que la gauche sioniste a jamais fait. Airbnb menace de frapper durement  les moyens d’existence illégaux de 200 familles de colons. Encore deux cents autres entreprises, comme Airbnb et la colonisation commencera à se sentir touchée au portefeuille,  et alors ceux qui  y participent se demanderont, comme d’autres Israéliens, si cela en vaut la peine. C’est bien la meilleure des nouvelles. Merci à ce réseau international d’hébergement – qu’il soit béni! – qui,  a près avoir inventé une entreprise touristique couronnée de succès, a eu le courage de souscrire à une initiative politique juste. Airbnb a expliqué qu’il n’a pas à tirer profit de terres dont les habitants ont été arrachés. Existe-t-il une position plus juste que celle-ci?

Moshe Gordon est assis devant son gîte situé  dans la colonie de Nofei Prat en Cisjordanie, dont l’annonce figurait sur le site international  d’Airbnb, le 17 janvier 2016. Photo Tsafrir Abayov, AP

Mais ce n’est pas tout. Cela a également révélé au monde, par inadvertance, l’énormité des mensonges, l’extorsion de fonds, la démagogie et les deux poids deux mesures des colons et de leurs partisans au sein du gouvernement israélien. Quand ils hurlent «Holocauste», à cause des gîtes touristiques, il est clair qu’ils n’ont plus aucun argument à avancer. «Antimitisme», «sélection», «persécution» – cette fois pour une poignée de dollars qui vont dans les poches d’une poignée de profiteurs de vacances dans des terres volées et qui font le commerce de biens volés. Voilà en quoi consiste le projet de spoliation: il commence par une promesse divine et se termine par un gîte touristique. Jacuzzi sur fond de terre occupée, vacances en face d’un camp de réfugiés, détente avec vue sur les barrages routiers et dégustation de vin sur un poste avancé illégal tandis que le soleil se couche sur l’arrière-plan bucolique des kidnappings nocturnes pratiqués par l’armée israélienne  ─ que peut-il y avoir de plus exaspérant ?

Écoutez ces cris d’orfraie : «Il y a deux ans, ma femme Kalila et moi avons créé notre gite « Chez Ruth »à Sde Boaz, juste en face de Bethléem», déclare le mari de Kalila Kelman à Israel Hayom dans une parodie de récit particulièrement amusante.  « C’est un Bed and Breakfast que nous avons construit de nos propres mains et destiné uniquement aux couples sans enfants. Au cours des deux dernières années, des gens sont venus chez nous du monde entier pour oublier la folie quotidienne et se retrouver. Le bed and breakfast est un lieu de  dialogue,  d’échanges entre les peuples et de connexion entre des êtres humains, de « pour » et pas « contre », et c’est ce que le boycott essaie de détruire », a-t-il déclaré.

Nous ravalons nos larmes, nos cœurs se brisent. Oublions la folie quotidienne en face de Bethléem emprisonné. Levons-nous à l’aube et dirigeons-nous vers le barrage n° 300, pour voir les journaliers s’entasser comme du bétail : tu parles de connexions entre êtres humains.

Les Kelman rappellent aux boycotteurs, ces ingrats, qu’ on fabrique des stimulateurs cardiaques en Israël ; qu’il y a des Palestiniens qui font leurs courses à l’intersection principale du bloc d’ Etzion    en Cisjordanie, que les boycotts  politiquement motivés ne sont pas autorisés. Toute une propagande mensongère qui exhorte au boycott de l’Iran et du Hamas, mais pas des colonies.

Faisant montre d’un rare degré de stupidité, les chefs du Conseil des colonies de Yesha (Judée-Samarie-Gaza) ont appelé au boycott d’Airbnb. Les Kelman, qui vivent dans la zone d’apartheid située en face de la barrière de séparation (le mur d’apartheid), disent que le boycott est  raciste. Enfermer à double tour le camp de réfugiés Aida situé en face d’eux, ça, c’est humain. Boycotter ceux qui font du camp de réfugiés d’Aida une oubliette – c’est du racisme. Le général qui mène la guerre contre le boycott, le ministre des Affaires stratégiques, Gilad Erdan, a révélé qu’il s’agit d’une « décision politique », et le président du conseil local de Beit El nous a rappelé qu’ « une fois encore,  les Juifs sont victimes de ségrégation ». Beit El, la colonie qui cause de terribles souffrances au camp de réfugiés voisin de Jalazone, l’un des plus pauvres de Cisjordanie, ose parler de ségrégation ! Il n’y a aucune borne, aucune limite ; pour les colonies, il n’y a jamais de limites.

La décision d’Airbnb est une source de joie maligne à l’encontre des colons. Toute action non violente dirigée contre eux constitue un espoir, car c’est apparemment le seul moyen de mettre fin à l’occupation. Mais ce sentiment est de courte durée, car le rouleau compresseur de la propagande va sûrement contrecarrer cette décision par divers moyens, y compris par la menace du boycott. Espérons qu’Airbnb ne fera pas marche arrière. Son action pourrait montrer la voie à d’autres compagnies. Grâce à Airbnb, un nouveau genre de bataille est engagé : celui des sites des opérateurs de vacances privés, totalement dépourvus de légitimité. Merci, Airbnb, non seulement pour le courage pour lequel vous allez devoir payer le prix – mais aussi pour déplacer le conflit depuis notre droit à la terre à notre droit à un bed and breakfast.

Gideon Levy

Original: Hurray for Airbnb

Traduit par Jacques Boutard

Source: Tlaxcala, le 29 novembre 2018