Les colons juifs de Cisjordanie réagissent à leur exclusion d’Airbnb par la fureur et un haussement d’épaules

L’annonce par Airbnb de la suppression des annonces de location dans les colonies juives de Cisjordanie a surpris de nombreuses personnes.

Une brève conversation avec Moria Shapira évoque une puissante envie de prendre des vacances dans la région de Shiloh, en Cisjordanie.

Nati Rom, le fondateur de l’organisation Lev Haolam d’Israël, marche près d’un appartement Airbnb situé dans l’avant-poste d’Esh Kodesh près de la colonie juive de Shilo, en Cisjordanie, le 20 novembre 2018. Photo 2018MENAHEM KAHANA/AFP

Shapira est propriétaire d’un gîte touristique à Adei Ad, l’avant-poste dans lequel elle vit, appelé Shalvat Ha’emek. Sur les photos, c’est magnifique. “Le B&B est magnifique et convient pour 10 personnes “, dit-elle avec ardeur. “La vue est fantastique, il y a un gigantesque jacuzzi, une machine à café, une cuisine, des balançoires, des berceaux, un barbecue et tout ça.”

Interrogée sur les endroits à visiter dans les environs, Shapira explique que l’ancienne ville de Shiloh est la plus grande attraction touristique, avec plus de 100 000 visiteurs par an. Parmi les autres attractions dans la région, dit-elle, il y a des restaurants, des sources, des jeux d’évasion grandeur nature et « l’expérience agricole ». Elle ne mentionne pas l’évidence, qui est que Shiloh est situé au cœur de la Cisjordanie, sur une crête dans les collines de Binyamin , et qu’elle est entourée par des villages palestiniens dispersés entre Naplouse et Ramallah. C’est aussi à environ 20 kilomètres à l’est d’Ariel, la ville de colonisation de Cisjordanie. Mais on peut espérer que quiconque trouvant ce gîte sur Airbnb s’en rendra compte. Le prix (pour 10 personnes) est de 450 shekels (120 $, 105€) la nuit en semaine et de 550 shekels (148 $, 130€) en fin de semaine.

L’annonce par Airbnb de la suppression des annonces de location dans les colonies juives de Cisjordanie a surpris de nombreuses personnes.

Certains, comme le ministre du Tourisme Yariv Levin, ont été surpris par l’ingratitude de l’entreprise. Levin a passé quatre ans à les flatter à chaque occasion, en précisant qu’il ne limiterait pas leur activité et en les félicitant d’avoir permis la croissance du nombre de touristes dormant en Israël, et regardez ce qu’il a reçu, un camouflet. Mais la surprise la plus grande et probablement la plus intrigante est celle des gens étonnés de découvrir que les colonies offrent des chambres d’hôtes, certaines spacieuses, grandes et luxueuses – à seulement une demi-heure de route de Tel Aviv, et à une fraction du prix des logements dans cette ville.

Une recherche rapide sur Airbnb pour Ariel génère des douzaines de résultats, partout en Cisjordanie. La première étape consiste à organiser les résultats en fonction des chambres d’hôtes dans les villes palestiniennes (il y en a beaucoup, par exemple à Naplouse, Ramallah et dans les villages aussi) et dans les colonies. Airbnb ne fait pas cette distinction.

Shalvat Ha’emek à Shiloh n’est en activité que depuis quelques mois, mais Shapira dit avoir déjà reçu quelques clients via Airbnb. Son principal problème avec le fait d’être retirée de la plateforme de marketing, souligne-t-elle, est le principe (!), et non le business.

« C’est un site ouèbe mondial, après tout. Alors, comment peuvent-ils me dire de ne pas accueillir de touristes ici ? »,  demande-t-elle. « Cette discrimination est blessante. Ils n’ont pas boycotté les hôtes à Ramallah. »

Interrogée sur les dommages causés à son entreprise, Shapira répond qu’elle ne pense pas que ce sera un problème majeur.

« Notre entreprise va continuer exactement comme aujourd’hui », dit-elle. « Il y aura peut-être des dommages marginaux, mais pas significatifs. La plupart de nos clients arrivent par l’intermédiaire du site ouèbe touristique de Binyamin  ou des sites israéliens de chambres d’hôtes, et par le biais de brochures distribuées principalement au sein de la communauté religieuse. Notre taux d’occupation est excellent et nous sommes confiants qu’il ne fera que croître. »

Asher Solomon, de la colonie de Dolev, à l’ouest de Ramallah, exploite deux jolies cabanes en bois appelées Sof Haderekh.

Au cours des deux dernières années, il a reçu moins de 10 réservations par Airbnb, dit-il. Une poignée de gens viennent de l’étranger, et les Israéliens le trouvent par d’autres moyens.

Solomon appelle la décision d’Airbnb et les réponses qu’elle a suscitées « une tempête dans un verre d’eau » qui n’affectera pas vraiment l’occupation des cabines.

« Nous opérons depuis cinq ans et la plupart des invités viennent par le bouche à oreille de la part de leurs amis ou de leur famille, qui leur disent comme l’endroit est joli », dit Solomon.

« Nous sommes également actifs sur les médias sociaux et publions dans les journaux locaux des communautés religieuses et ultra-orthodoxes. » Les cabines coûtent 400 shekels (environ 105 $, 92€) la nuit.

Cependant, après avoir déclaré qu’il ne s’inquiète pas de la diminution des réservations, Solomon dit que la décision d’Airbnb aura un effet clair : « Nous allons à l’étranger plusieurs fois par an. Jusqu’à présent, nous avons réservé tous nos hébergements par Airbnb, mais nous ne le ferons plus. Ils me mettent en colère et je vais aller voir leurs concurrents et commander par leur intermédiaire. Nous aussi, on sait comment boycotter. »

Moshe Ronski, directeur touristique à Binyamin, estime que la Cisjordanie compte environ 200 chambres d’hôtes actives et que la région de Binyamin compte à elle seule des dizaines de chambres d’hôtes et de pensions. Leur taux d’occupation est fantastique, dit Ronski. Même en novembre, ils sont presque pleins le week-end.

« La plupart de nos invités viennent de la communauté religieuse « , dit Ronski, ajoutant que leur taux d’occupation est beaucoup plus élevé que dans des endroits similaires du nord d’Israël.

Airbnb n’est pas le seul moyen pour les clients de trouver un logement dans les colonies. Leur suppression de la plate-forme est irritante et blessante, dit Ronski, mais ce n’est pas un coup dur. Les principaux clients arrivant par le site sont des évangéliques chrétiens qui veulent visiter des sites religieux, par exemple dans les environs de Shiloh.

Certains clients israéliens arrivent par marketing direct via l’association touristique, mais la plupart viennent par le bouche à oreille.

Le principal problème avec la décision d’Airbnb, ce qui dérange le plus Ronski, c’est la soumission au boycott.

« Aujourd’hui, c’est nous. Demain, ce pourrait être le tourisme dans tout Israël », dit-il. « Il y a plein d’hypocrisie là-dedans. La même entreprise continue à faire de la publicité pour les chambres d’hôtes à Ramallah et Naplouse, et quelle est la différence entre nous et eux ? » [on peut vraiment se le demander, NdT]

Moshe Gilad

Original: In Israeli settlements, Airbnb ban met with both fury and a shrug

Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Source: Tlaxcala, le 22 novembre 2018