Tour Mohammed VI et Al Boraq : comment le roi du Maroc « vend » l’image d’un pays moderne
Inauguration du TGV avec Macron

L’économiste Fouad Abdelmoummi souligne qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème de lieux isolés, en bordure des grands axes routiers, mais que le Maroc acquiert “un jouet de taille pharaonique” qu’il ne peut et ne doit pas payer.

Macron et Mohamed VI inaugurent la version marocaine du TGV financé par la France et le Golfe. Tout cela fait l’objet de vives critiques dans un pays où la moitié de la population n’a pas accès à une couverture médicale.

Luis Hernández de Cabanyes, président de l’entreprise de construction catalane Mixta África, s’est rendu au palais royal de Tanger il y a dix ans avec une maquette d’un gratte-ciel sous le bras que l’architecte Ricardo Bofill allait construire. Le roi Mohammed VI a adoré le projet et a demandé à plusieurs reprises si la gigantesque tour serait vue jour et nuit de Tarifa et même d’autres endroits de la côte espagnole, selon des sources qui ont assisté à cette audience royale. La réponse à sa question fut affirmative et le souverain se réjouit de cette visibilité. En fin de compte, l’initiative ne s’est pas réalisée pour des raisons techniques et financières.

Le monarque alaouite s’est toujours engagé dans des projets emblématiques qui véhiculent dans le monde l’image d’un Maroc qui se modernise à pas de géant et qui contribue à attirer les investissements étrangers. Certains ont été couronnés de succès, comme le port de Tanger-Med, qui est en concurrence avec Algésiras, et d’autres en sont encore à leurs débuts, comme le gazoduc qui pourrait un jour relier le Nigeria au Maroc.

Le projet est fortement critiqué dans un pays où de nombreuses grandes villes ne sont pas desservies par le chemin de fer et où la moitié de la population n’a pas de couverture médicale.

Aujourd’hui, jeudi 16 novembre, le souverain inaugurera, avec le président français Emmanuel Macron, l’une de ces entreprises dont il rêve depuis des années : Al Boraq (Le Cheval Ailé), le train à grande vitesse qui reliera Tanger à Kenitra (206 kilomètres) à 320 kilomètres/heure, mais qui ne dépassera pas 180 dans le dernier tronçon de son parcours (90 kilomètres) qui se terminera à Casablanca. Mohamed VI et son hôte français déjeuneront à bord du train.

La version marocaine du TGV français est née à l’automne 2007 de l’engagement de Mohamed VI en faveur d’un chemin de fer moderne et de la volonté du Président français de l’époque, Nicolas Sarkozy, d’obtenir une compensation pour le refus du Maroc d’acquérir les chasseurs-bombardiers Rafale français. Rabat préféra les F-16 US, mais attribuA ensuite la construction du train à la multinationale française Alsthom sans appel d’offres.

Le TGV marocain dans une station, dans une image diffusée par l’ONCF

Des entreprises espagnoles comme Adif, Renfe et Talgo, ainsi que la société allemande Siemens, ont pu présenter des offres, ce qui a conduit Berlin à s’opposer, par exemple, au financement partiel des travaux ferroviaires par la Banque européenne d’investissement. Parmi les sous-traitants figurent toutefois quelques entreprises espagnoles, comme Assignia Infraestructuras, qui a été chargée de construire 63 kilomètres de voies ferrées pour 87 millions d’euros.

Avec un budget initial de 2,14 milliards d’euros, la France a proposé de financer la moitié du montant avec un crédit préférentiel ; trois pays du Golfe, l’Arabie saoudite en tête, ont proposé d’en financer environ un tiers ; et le Maroc n’a dû débourser au départ qu’un peu plus de 500 millions d’euros. Sarkozy s’est rendu à Tanger en septembre 2011 pour assister au début des travaux qui devaient s’achever en 2015. Il est en retard de trois ans et présente un important dérapage budgétaire. Ce qui devait être le premier train à grande vitesse d’Afrique a déjà été dépassé par deux autres, mais avec un itinéraire plus court, qui relient Abuja à Kaduna au Nigeria (160 kilomètres) et Johannesburg à Pretoria en Afrique du Sud (64 kilomètres).

Quelques inconnues

Au moment de l’inauguration d’Al Boraq, il y a encore quelques inconnues auxquelles l’ONCF ( (la société de chemins de fer marocaine) n’a pas répondu. Par exemple, la date à laquelle il commencera à circuler avec des passagers, les horaires, les fréquences et les tarifs qu’elle proposera ne sont pas connus, bien que le ministre des Travaux publics, Abdelkader Amara assure qu’ils seront pratiquement “à portée de toutes les bourses”. On ne sait pas non plus comment la ligne ferroviaire conventionnelle sera combinée avec la ligne à grande vitesse. C’est pourquoi l’ouverture de ce jeudi sera symbolique.

Pour l’économiste Fouad Abdelmoummi, le Maroc acquiert “un jouet de taille pharaonique” qu’il ne peut et ne doit pas payer.

L’hebdomadaire marocain Tel Quel a demandé cette semaine : « Des investissements ont-ils été faits pour la grande vitesse au détriment du réseau conventionnel, créant ainsi les conditions pour que le drame de Bouknadel ait lieu ? » Dans cette petite ville côtière au nord de Rabat, le 16 octobre, un accident ferroviaire a tué sept personnes. Le réseau ferroviaire marocain ne s’est guère développé depuis la décolonisation de 1956 – certains tronçons ont disparu comme celui qui reliait Tétouan à Ceuta – et ne couvre pas des villes aussi importantes qu’Agadir (422 000 habitants), Tétouan (340 000), Berkane (110 000) ou Errachidia (92 000).

L’économiste Fouad Abdelmoummi souligne qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème de lieux isolés, en bordure des grands axes routiers, mais que le Maroc acquiert “un jouet de taille pharaonique” qu’il ne peut et ne doit pas payer. Avec cet argent, dit-il, 5 000 écoles primaires ou 25 petits hôpitaux pourraient être financés dans un pays où environ 40 % de la population est encore analphabète et la moitié n’a aucune couverture médicale.

 Photo du parcours du TGV marocain. (ONCF)

Mohamed Rabie Khlie, directeur des chemins de fer marocains, blâme dans la presse ceux qui s’interrogent sur les avantages du nouveau train. Il affirme que l’impact d’Al Boraq sera comparable à celui du port de Tanger-Med, qui avec son trafic a généré des milliers d’emplois et encouragé des multinationales comme Renault à s’installer dans la région.

Le plus haut bâtiment d’Afrique

Le Maroc a également un deuxième projet pharaonique en cours, mais cette fois le financement (357 millions d’euros) est privé et est assuré par Othman Benjelloun, président de la banque BMCE et l’un des deux hommes les plus riches du pays après le roi. La tour qui n’a finalement pas été érigée à Tanger va maintenant se trouver à Salé, la ville proche de Rabat. Mohamed VI a assisté, le 2 novembre, à la pose de la première pierre de ce bâtiment qui portera son nom. Quand il sera terminé, en 2022, il sera le plus haut d’Afrique avec ses 250 mètres et ses 55 étages.

Malgré tous les efforts de ses autorités pour donner cette image de modernité, le Maroc est un pays de grands contrastes. Entre cette semaine et la semaine dernière, cinq jeunes sont morts et trois autres ont été blessés alors qu’ils entraient dans les galeries de mines fermées de zinc et de plomb près de Jerada (44.000 habitants), dans l’est du pays. Ils ont pris le risque d’extraire quelques kilos de métal et de les revendre pour une poignée de dirhams.

Les premiers décès se sont produits dans les mines à la fin de 2017 avec les protestations des habitants qui dénoncent l’abandon de leur région sans ressources par l’Etat. Depuis lors, plus d’une centaine de jeunes ont été arrêtés, la plupart sont en détention provisoire en attente de jugement et 25 ont déjà été condamnés, selon les avocats. Un tribunal d’Oujda a condamné neuf d’entre eux, le 8 novembre, à des peines de 3 à 5 ans de prison pour participation à une manifestation non autorisée et destruction de mobilier urbain.

Raoui

 René Le Honzec

Ignacio Cembrero

Imagen portada: TAV: Deuda a Muy Alta Velocidad-Viñeta de René Le Honzec

Original: La torre que se vería desde España, el TAV… cómo Mohamed VI ‘vende’ un país moderno
Inaugura con Macron un Tren de Alta Velocidad

Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Source: Tlaxcala, le 17 novembre 2018