Tel a été le cas jusqu’à présent dans l’affaire de Riace, dont l’épilogue, non définitif je l’espère, est l’exil du courageux maire Mimmo Lucano. Le juge de révision a levé l’assignation à résidence, mais a imposé une mesure encore pire : l’interdiction de résidence dans sa municipalité. De plus, cette interdiction s’accompagne de la mesure inverse imposée à sa partenaire et collaboratrice, Lemlem Tesfahun : si, depuis 2 octobre elle s’était vu interdire de résider à Riace, elle est aujourd’hui contrainte de le faire, avec l’obligation de signer. Plus qu’inspirées par le sens de la justice, ces deux ordonnances semblent être dictées par un sens sadique de la vengeance.
Rome, février 2015 : « Salvini, je t’attendais ! »
Pas assez satisfait des magistrats complaisants, Salvini a décidé – vu les « criticités » (comme on dit en novlangue des bureaucrates de la Viminal , devenue langue de masse) – la révocation totale des financements d’État à la commune et, plus grave encore, il est allé jusqu’à envisager la déportation des habitants non nationaux, afin de détruire littéralement ce modèle vertueux : exalté, comme on le sait, même par le magazine US Fortune, qui, en 2016, avait inclus le maire de Riace – seul Italien – parmi les cinquante personnalités les plus influentes dans le monde.
Plus tard, dans une note du Viminal , le ministre de l’Intérieur a apparemment corrigé le tir, déclarant qu’il n’y aurait « aucun transfert obligatoire : les migrants ne se déplaceront que sur une base volontaire ». En fait, si les personnes bénéficiaient de l’accueil décidaient de rester à Riace, elles sortiraient définitivement du circuit institutionnel. C’est la banalité du mal, parler avec Hannah Arendt. Mimmo Lucano, amer mais pas du tout dompté par ses ennuis judiciaires, a immédiatement donné une réponse courageuse : il a suggéré la création d’un nouveau Sprar (Système de Protection des Demandeurs d’asile et des Réfugiés) « autogéré et autosuffisant ».
Pour comprendre dans quelle mesure le racisme est un élément structurel de la politique et de la propagande facho-étoilées (du ministre de l’Intérieur en particulier), il suffirait de lire le décret-loi n° 113/2018 dit « Sécurité et immigration » : rien que son titre révèle quelle est l’idéologie qui l’inspire, ce qui n’a malheureusement pas empêché le Président de la République de le contresigner, en échange d’une seule modification.
Mauro Biani, L’Espresso
Il s’agit d’un paquet qui (pour l’illustrer de manière concise et incomplète) limite clairement le système d’accueil, tout en doublant la durée de la rétention administrative (par excellence inconstitutionnelle) dans les centres de rapatriement (anciennement CPT, puis CIE). il abolit également la protection humanitaire instituée et supprime le droit à l’aide publique des demandeurs d’asile. Il allonge jusqu’à quatre ans (au lieu des deux ans actuels) les temps de l’enquête relative à l’acquisition de la citoyenneté et la rend même révocable dans les cas de personnes considérées comme un danger pour l’État, introduisant ainsi une distinction entre les vrai citoyens réels, ceux de « souche », et les faux, c’est-à-dire, d’origine étrangère. Il transforme les hotspots et les hubs, qui devraient être des lieux de premier accueil, en « lieux de détention sans réglementation spécifique des conditions de détention des personnes qui y sont hébergées », où des mineurs pourraient également être détenus. C’est ce qu’écrit le Défenseur des droits des personnes détenues dans un avis très sévère sur l’ensemble du décret-loi, adressé à la Commission des affaires constitutionnelles du Sénat (http://www.garantenazionaleprivatiliberta.it/gnpl/resources/cms/documents/17ebd9f9895605d7cdd5d2db12c79aa4.pdf)
En outre, le décret renforce le code Rocco [code pénal fasciste instauré en 1930 et encore largement en vigueur, NdT] en ce qui concerne les occupations « abusives » d’immeubles, il renforce le « Daspo urbain* » et d’autres dispositifs répressifs ; au lieu d’une amende, il prévoit une peine d’emprisonnement pouvant atteindre quatre ans pour ceux qui bloquent ou encombrent une voie publique, que ce soit par un défilé ou un sit-in ; et il dote de taser, « à titre expérimental », même les policiers municipaux. Ce faisant, il dépasse en gravité la loi Minniti du 18 avril 2017 ( » Dispositions urgentes sur la sécurité urbaine « ), qui visait également à surveiller et punir la marginalité sociale et les actions de protestation.
« Ce magasin est italien », par Edoardo Baraldi
Cependant, s’il y a un acte qui, seulement en apparence secondaire, révèle, de la manière la plus symbolique et en même temps la plus claire, quel est le modèle autoritaire, subversif et raciste, qui inspire le ministre de l’Intérieur, c’est l’annonce de la décision d’inclure dans le décret-loi (déjà contresigné par Mattarella, comme mentionné) une modification qui impose la « la fermeture au plus tard à 21 heures des boutiques ethniques qui, le soir, deviennent un lieu de rencontre pour ivrognes, dealers, fouteurs de bordel (…, des gens qui boivent de la bière jusqu’à trois heures du matin (…) pissent, chient et foutent le bordel » (propos vulgaires qui méritent d’être cités littéralement).
Tout cela et bien d’autres choses encore ont été prononcées le 11 octobre dernier, depuis la terrasse de la Viminal , et filmées en vidéo pour un direct sur Facebook, puis publiées sur le profil du ministre. C’était presque comme s’il s’agissait d’une des performances vulgaires qu’il avait l’habitude d’exécuter depuis un quartier général de la Ligue du Nord : ce qui constitue un usage privatif nonchalant d’un lieu et d’un rôle institutionnels. Entre autres choses, il serait intéressant de savoir si ceux qui ont effectué ces prises de vue l’ont fait aux frais des contribuables.
La formule « boutiques ethniques » en dit déjà long. En fait, les « ethniques » sont toujours les autres, ceux qui n’appartiennent pas à la polis : les individus, les groupes et les cultures qui, considérés comme éloignés de la norme de la société majoritaire et de la culture, n’ont même pas le droit symétrique d’être définis en fonction de leur nationalité. Sur les lèvres de Salvini, l' »ethnicité » est donc une sorte de tare héréditaire au même titre que la « race », dont elle est d’ailleurs souvent utilisée comme un euphémisme.
Un ministre qui croit que des normes et des lois basées sur la discrimination « ethnique », par essence raciste, peuvent être promulguées ; qui, ravivant des traditions néfastes, lance ses proclamations grossières depuis les balcons ou les terrasses des sièges des plus hautes institutions, est quelqu’un qui a déjà dépassé le seuil du tournant autoritaire pour approcher dangereusement celui fasciste : l’obligation pour les seules « boutiques ethniques » de fermer avant 21 heures évoque dangereusement les vingt années du fascisme et la fermeture forcée des commerces « hébraïques » (comme on disait alors dans les lois « anti-hébraïques » adoptées en 1938, NdT ).
NdT
DASPO : acronyme dei Divieto di Accedere alle manifestazioni SPOrtive (Interdiction d’accès aux manifestations sportives), dispositif mis en place en 1989 pour combattre la violence dans les stades. En avril 2017, le ministre de l’Intérieur du Parti démocrate Minniti, a introduit dans ses décrets sécuritaires le concept de DASPO urbain, permettant d’interdire l’accès à un quelconque espace urbain à quiconque troublerait l’ordre public.
« Moins de Salvini plus de Bangla : ils vendent des produits italiens, ils résolvent des problèmes pour ceux qui n’ont plus de pâtes ou de brosse à dents. Ils n’ont d’ « ethnique » que leur couleur de peau, qui dérange Salvini« : campagne de la liste Plus d’Europe, dirigée par Emma Bonino
Anamaria Rivera
Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي
Source: Tlaxcala, le 20 octobre 2018