En tentant de ressusciter la doctrine Monroe comme instrument pour développer sa politique étrangère envers l’Amérique latine, le gouvernement de Donald Trump cherche à remonter le temps jusqu’en 1823 lorsque ce paradigme a été énoncé par le président US James Monroe, à l’enseigne de « l’Amérique était aux Américains ». Bien que le monde ait changé et que la Grande-Bretagne ne soit plus l’ennemi qui menace l’hégémonie usaméricaine dans la région, le gouvernement US continue de visualiser des adversaires qui lui mettent des bâtons dans la roue pour contrôler la seule région du monde dans laquelle il a encore suffisamment d’espace de domination, surtout ces trois dernières années.
L’ancien secrétaire d’État Rex Tillerson a mis la question sur la table en « dénonçant » la présence croissante de la Chine et de la Russie, faisant valoir que seuls les USA sont des amis naturels des pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Dans son discours du 1er février à l’Université du Texas à Austin, il a émis l’opinion que la Doctrine Monroe était » aussi pertinente aujourd’hui qu’au jour de sa rédaction « , ajoutant plus tard, en mentionnant la Chine et la Russie, que « l’Amérique latine n’a pas besoin de nouveaux pouvoirs impériaux ».
Plus récemment, en août dernier, lors de la visite du ministre de la Défense James Mattis dans quatre pays du sud du continent qui mènent une politique subordonnée aux USA, le chef du Pentagone s’est permis de répéter ce que son collègue du cabinet avait dit six mois plus tôt. Avec la circonstance aggravante que la rhétorique émane désormais de celui qui incarne la puissance militaire de la nation la plus puissante et la plus agressive de la planète, Mattis a déclaré que « on a vu des puissances extérieures agir en Amérique latine », se référant clairement à la Chine et la Russie.
Dans le cas de la Chine, l’inquiétude des USA est due à son handicap économique, financier et commercial croissant dans la région face à l’activité en sens CONTRAIRE du géant asiatique. Par exemple, entre 2000 et 2017, les exportations US vers l’Amérique latine sont passées de 50 % du total à 33 %, tandis que celles de la Chine sont passées de 3 % à 18 % pendant la même période. Toutefois, les réductions budgétaires aux USA n’ont pas touché les dépenses militaires, qui sont passées à 686 milliards de dollars en 2019 et qui, ajoutées aux dépenses de renseignement non imputables au Pentagone, atteignent près de mille milliards de dollars, ce qui fait -selon l’analyste chilien Hugo Fazio- que le montant consigné dans le budget présenté par la Maison Blanche est « le plus important en termes relatifs par rapport au budget total de toute l’histoire du Pentagone », permettant à Mattis d’affirmer que les USA retrouveraient la primauté dans le conflit géostratégique avec la Russie et la Chine.
Ces données, qui fournissent des informations permettant de mesurer l’ampleur du danger que représente pour la région la « renaissance » de la doctrine Monroe, après l’apparent certificat de décès signé par Barack Obama, montrent que la puissance impériale est prête à tout pour maintenir sa domination en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Le Salvador a rompu les relations diplomatiques avec Taiwan et a décidé de les établir avec Pékin. Le 21 août 2018, dans la capitale chinoise, le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi, et son homologue salvadorien, Carlos Castañeda, ont signé les documents relatifs (photo), dans lesquels le Salvador s’engage à reconnaître » une seule Chine « , à savoir celle continentale, considérant Taiwan comme » une île rebelle « .
La rhétorique du XIXe siècle associée aux pratiques et méthodes émanant de la doctrine Monroe a été mise en lumière par la décision souveraine du gouvernement du Salvador de rompre ses relations avec Taiwan et de les établir avec la République populaire de Chine, acceptant la vision « d’une seule Chine ». L’annonce faite par le président de ce pays, Salvador Sanchez, le 20 août dernier, n’a reçu la réponse qu’un jour plus tard par l’ambassadrice des USA, Jean Manes, qui, dans une déclaration grossière et interventionniste, loin de toute pratique diplomatique, a rapporté que le gouvernement de son pays analysait une telle décision. Sur un ton menaçant, Mme Manes a déclaré que le soutien des USA au Salvador dépendra de » règles claires et de la transparence « .
Ce qui est curieux, c’est que cette mention de la « transparence » ne se réfère pas à une logique d’audit de la coopération de son pays, mais aux négociations que le Salvador et la Chine avaient menées précédemment pour parvenir à un accord sur l’établissement de relations. La « diplomate » usaméricaine se demandait : « Quel genre de négociation s’est déroulée derrière les portes ? Si tout va bien pour vous (le Salvador), pourquoi ne pas le faire d’une manière transparente, pourquoi ne dites-vous pas quels accords vous avez conclus avec ce pays (Chine) ? C’est la question que les Salvadoriens devraient se poser lorsqu’ils exigent de leur gouvernement qu’il fasse preuve de transparence » et d’ajouter : « La transparence, c’est quand un pays négocie en consultation avec tous les secteurs et sa population sur une décision si importante qu’elle pourrait avoir des répercussions pendant des décennies ».
Sans cacher son désespoir pour la décision prise, Mme Manes a « sué sang et eau » lorsqu’elle a affirmé qu’il y avait deux façons d’attirer de bons investissements au Salvador, et que cela avait à voir avec la transparence et des règles claires : « c’est le seul moyen d’attirer des investissements de qualité pour augmenter les emplois et améliorer la qualité de vie des Salvadoriens », a-t-elle déclaré. Si tout cela n’était pas vrai et dangereux, tout ce que cela pourrait produire, c’est la dérision, le rire et la stupeur. Tous les pays du monde blanc et puissant du nord de la planète ont des relations avec la Chine, y compris tous les membres de l’OTAN, mais le Salvador devrait demander la permission aux USA pour le faire.
Cinq jours plus tard, et pour qu’il n’y ait aucun doute sur l’arrogance impériale sous l’influence de la doctrine Monroe, et augurant de l’avenir qui menace les pays qui entretiennent encore des relations avec Taiwan, la logorrhée impériale a atteint un des plus grands alliés des USA dans la région. Rappelant au « Président » Juan Orlando Hernandez que sa position frauduleusement obtenue est due aux USA et à l’OEA, qui ont avalisé « élection » illégale, Heide Fulton, chargée d’affaires à l’ambassade des USA au Honduras, a lancé un ultimatum similaire, imitant SA collègue du Salvador, disant que « [les pays] souhaitant établir ou développer des relations avec la Chine pourraient être déçus à long terme ». Cet avertissement, qui présage une tendance imminente, évoque l’importance pour le peuple hondurien d’évaluer quel pays a été et continuera d’être un partenaire proche et constant dans la recherche d’un avenir meilleur pour le Honduras.
Cette déclaration s’inscrit dans la même logique qu’une annonce faite par la porte-parole de la Maison-Blanche, Sarah Sanders, le jeudi 23 août à Washington, lorsqu’elle a déclaré : « Dans le monde entier, les gouvernements prennent conscience du fait que les incitations économiques de la Chine entraînent une dépendance et une domination économiques, et non un partenariat », ajoutant que son pays continuera à « s’opposer » à « l’ingérence politique » de la Chine dans l’hémisphère occidental.
Au vu de ces « magnifiques » échantillons de l’antidiplomatie pratiquée par les USA, on peut se demander si ces trois dames connaissent l’histoire de la politique étrangère de leur pays à l’égard de l’Amérique latine. On m’excusera d’insister en répétant ce que j’ai écrit il y a deux semaines, mais il semble nécessaire de demander si ces troglodytes du gouvernement US savent que leur pays a envahi militairement l’Amérique latine 48 fois, et aussi installé et protégé Stroessner, Pinochet, Videla, Banzer, Trujillo, Batista, Somoza et autres satrapes qui ont pris le pouvoir dans les pays de notre région, causant des dizaines de milliers de morts, torturés et disparus à travers le continent. Que l’on sache, la Chine ne l’a jamais fait fait… et quant à la dépendance, n’en parlons même pas. Aujourd’hui encore, il suffirait de demander à Macri, Temer, Piñera, Bachelet, Santos, Uribe, Duque, Peña Nieto et compagnie.
Les Nations Unies, depuis 1971, reconnaissent qu’il n’y a qu’une seule Chine et que Taiwan est une province rebelle. On sait qu’elle ne tient que par le soutien militaire offert par les USA en violation des règles du droit international et de la coexistence pacifique entre les nations. Quelqu’un s’est demandé ce qui se passerait si Hawaï se déclarait en rébellion et que la République populaire de Chine lui vendait des armes, lui donnait une protection et soutenait son insertion en tant que nation indépendante ? À chacun de formuler sa propre réponse.
Cependant, cette farce touche à sa fin, avec l’établissement de relations entre le Salvador et la Chine, seuls 17 pays entretiennent – pour des raisons différentes – des relations avec Taiwan, dont 9 en Amérique latine et dans les Caraïbes, et dans cette région, ces derniers mois, le Panama et la République dominicaine ont également pris la voie de la reconnaissance de Beijing comme le seul représentant du peuple chinois sur la scène internationale. Il faut donc espérer qu’au cours des prochains mois ou des prochaines années, Washington devra émettre 17 nouvelles menaces face à une réalité irréversible, et en accord avec l’époque actuelle.
NOTE : Après avoir terminé cet article (9/9/2018), je lis l’ information selon laquelle les USA ont rappelé pour consultations leurs ambassadeurs en République dominicaine, au Salvador et au Panama, en raison de la rupture des relations entre ces pays et Taïwan.
Sergio Rodríguez Gelfenstein
Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي
Source: Tlaxcala le 2 octobre 2018
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