Le 26 octobre prochain, les adhérent·es du Pacte Historique, la coalition de gauche au pouvoir en Colombie, participeront aux primaires pour le choix de leur candidat·e à l’élection présidentielle de mai 2026 [NdT]
Introduction
La Colombie est entrée prématurément dans le processus des primaires présidentielles dans un contexte politique tendu, marqué par une forte recrudescence de la violence. À cela s’ajoute le fait que la lutte pour la présidence et le Congrès se déroule dans un climat régional et international caractérisé par des tensions, telles que la menace d’intervention des USA au Venezuela, qui pourrait avoir de graves répercussions pour la Colombie et le continent.
La prochaine élection présidentielle (31 mai et 21 juin 2026) se déroulera dans un contexte politique sans précédent. Pour la première fois depuis des décennies, un gouvernement démocratique progressiste a été élu en 2022 avec plus de 11 millions de voix, marquant une rupture historique avec l’hégémonie des gouvernements oligarchiques, vestiges d’un bipartisme atomisé, corrompu, criminel et clientéliste, alliés inconditionnels des USA.
La guerre comme constante historique et la paix comme lueur d’espoir
Le plus grand échec du gouvernement du changement, tout comme celui des gouvernements du bloc dominant au cours du siècle dernier, a peut-être été de ne pas parvenir à instaurer une paix définitive ou totale, laissant la violence persister quotidiennement dans les campagnes et les villes. C’est pourquoi la proposition d’une paix définitive doit être considérée comme un impératif fondamental d’un prochain gouvernement de gauche/progressiste, non seulement comme un slogan électoral, mais aussi comme l’une des principales revendications du mouvement populaire colombien.
Le résultat de la trahison historique de toute tentative de paix, fondée sur postulat “ ne pas négocier d’accords avec l’opposition armée tant qu’elle n’aura pas été vaincue militairement” (consensus entre l’empire et le bloc dominant), est la perpétuation et l’intensification de la guerre. Le pays doit cela à ceux qui ont détenu le pouvoir au cours du siècle dernier.
Nous avons hérité de cette classe en déclin une guerre sans fin, qui expose la société à un paramilitarisme renforcé dans plusieurs régions, qui a tenté d’assassiner le chef de l’État et qui, selon certaines sources, serait à l’origine de l’assassinat de l’ancien sénateur de droite et candidat à la présidence pour le Centre démocratique, Miguel Uribe Turbay, ainsi que du meurtre systématique et incessant de leaders sociaux.
Cette guerre s’est intensifiée entre les forces armées de l’État, l’ELN et les dissidents (pas tous) des FARC, avec des attaques quotidiennes et des dizaines de morts des deux côtés, empêchant la possibilité d’un accord politique pour la paix totale, comme l’appelle le gouvernement actuel.
Cela crée un climat d’incertitude et d’insécurité juridique, mettant en péril la campagne électorale à venir. Il faudra être vigilant, car les institutions chargées de préparer, d’organiser et de compter les votes ne garantissent pas des élections libres et transparentes. Toutefois, le gouvernement du changement, dirigé par le président Gustavo Petro, a publiquement exprimé son engagement à faire en sorte que les élections de 2026 soient transparentes, légales et sûres, comme le prévoit la Constitution.
Bref bilan du gouvernement du changement de Gustavo Petro
Le gouvernement du changement, « Colombia potencia mundial de la vida » (Colombie, puissance mondiale de la vie), sous la direction de Gustavo Petro, s’est engagé à développer un programme visant à surmonter les inégalités sociales (réformes fiscales, des retraites, du travail — avec des augmentations salariales supérieures à l’IPC [Indice des prix à la consommation], historiquement supérieures à celles du patronat, valorisant le travail de l’ouvrier moyen —, de la santé, de l’éducation, de la politique et de la participation citoyenne) ; la dépendance économique et la transition énergétique ; et la distribution de terres aux paysans et aux communautés déplacées, afin de respecter l’accord de paix avec les FARC, qui n’avait été respecté ni par Juan Manuel Santos ni par Iván Duque, les derniers présidents de la classe dominante.
Les réalisations les plus importantes ont sans aucun doute été les réformes de la sécurité sociale, bien que leur portée ait été limitée en raison de la guerre médiatique, des attaques constantes, du blocage, du sabotage et de l’opposition parlementaire des anciens partis de la bourgeoisie et de l’extrême droite, mais aussi en raison des alliances de classe, des contradictions et des erreurs internes au sein du cabinet ministériel et des sommets du gouvernement. Ainsi, les progrès réalisés en matière de réformes sociales contrastent avec les résultats de la paix totale, qui n’a pas été atteinte et ne semble pas pouvoir l’être dans le temps restant, ce que certains analystes considèrent comme l’un des principaux échecs.
Élections internes de la gauche/progressiste pour choisir le candidat à la présidence
Le pays est témoin de l’accueil impressionnant et de la popularité du président Gustavo Petro, ainsi que de l’appel de nombreuses bases pour qu’il accepte la réélection, ce qu’il a refusé, démontrant ainsi son esprit démocratique et son respect de la Constitution ; alors que la loi électorale et la Constitution avaient été modifiées par l’extrême droite pour permettre la réélection de d’Álvaro Uribe et de Juan Manuel Santos.
D’où l’importance pour les secteurs populaires, la gauche, les démocrates et les progressistes d’analyser et de débattre de manière critique le contexte, les conditions, les acteurs et les dirigeants politiques qui représenteront et feront avancer le programme du deuxième gouvernement du changement, poursuivant ainsi la tâche commencée par Gustavo Petro et Francia Márquez.
Un débat au sein du bloc gauche/progressiste est non seulement souhaitable, mais nécessaire et urgent pour définir la consultation interne qui choisira le candidat ou la candidate du Pacte historique à la présidence.
Nous partons de critères minimaux (militantisme politique ; engagement envers les mouvements populaires, les victimes du terrorisme d’État et les droits humains ; expérience en matière de gouvernance ; formation en tant que fonctionnaire et homme d’État ; contributions à la transformation profonde et aux réformes pour lesquelles le mouvement populaire s’est battu ; engagement en faveur de la paix et de la justice sociale) pour sélectionner le candidat idéal.
Il convient tout d’abord de souligner l’excellente liste de pré-candidats et pré-candidates du bloc de gauche/progressiste, ce qui n’avait pas été vu depuis les années 90, après la Constitution de 1991 et l’ascension de l’Union patriotique, exterminée par le terrorisme d’État en alliance avec le paramilitarisme.
Le dénominateur commun à la plupart d’entre eux est leur engagement en faveur des droits humains. Tous ont appartenu au bloc gauche/progressiste, à l’exception de Daniel Quintero, issu du Parti libéral.

Voici un bref résumé de chacun d’entre eux :
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- Susana Muhamad : politologue. Ancienne ministre de l’Environnement. Pôle démocratique alternatif, Colombia Humana et Pacto Histórico. Ancienne conseillère municipale de Bogotá (2020-2022).
- María José Pizarro : sénatrice du Pacte historique. Représentante à la Chambre (2018-2022) ; vice-présidente du Sénat (2023-2024).
- Daniel Quintero : ancien maire de Medellín (2019-2023). Ancien vice-ministre des TIC (2016-2018) sous la présidence de Juan Manuel Santos. Parti libéral (jusqu’en 2017).
- Carolina Corcho : ancienne ministre de la Santé. Militante syndicale depuis 2011. Pacte historique.
- Gloria Flórez : sénatrice et présidente de Colombia Humana. Pôle démocratique alternatif. Pacte historique. Ancienne parlementaire andine (2010-2014).
- Alí Bantú Ashanti : avocat et leader social afro-descendant. Soy Porque Somos. Pacte historique.
- Iván Cepeda : Sénateur de la République. Militant et défenseur des droits humains depuis 1994. Député (2010-2014). Sénateur (depuis 2014). Facilitateur des processus de paix (FARC, ELN, Clan del Golfo). Fondateur du MOVICE [Mouvement national des victimes de crimes d’État].
- Gloria Inés Ramírez : ancienne sénatrice, ancienne ministre du Travail. Membre du Parti communiste colombien et de l’Union patriotique.
- Gustavo Bolívar : ancien sénateur et ancien directeur du Département administratif pour la prospérité sociale (DPS). Colombia Humana et Pacto Histórico.
- Alfredo Saade : ancien chef de cabinet éphémère du président Petro, prédicateur évangélique de rue, autoproclamé “pasteur”.
Discussion
Tout d’abord, la Colombie traverse une crise politique et sociale unique, après des décennies de gouvernements oligarchiques et une longue guerre interne qui a érodé l’État, sapé la démocratie et aliéné la souveraineté.
Dans ce contexte, avec des tensions géopolitiques telles que l’intervention possible au Venezuela — nation sœur avec laquelle elle entretient des liens historiques — et le conflit mondial entre un monde unipolaire (dominé par les USA) et multipolaire (proposé par la Chine et la Russie ; nous y reviendrons dans un autre texte), l’ élection présidentielle aura une connotation historique pour déterminer l’orientation nationale vers la paix avec la justice sociale, la vérité, la justice, la réparation des victimes, le respect de la vie et l’élargissement de la démocratie participative.
Deuxièmement, pour être président et gouverner toute une nation, il faut avoir l’étoffe et le profil d’un homme ou d’une femme d’État.
Troisièmement, les pré-candidat·es du camp gauche/progressiste remplissent les conditions requises pour représenter ce secteur dans la course à la présidence.
Quatrièmement, Daniel Quintero n’est issu ni des mouvements populaires ni de la gauche ; il est issu de partis oligarchiques tels que le Parti libéral, qu’il a quitté en 2017. Nous considérons que ce ne sont pas les plateformes de gauche qui devraient le soutenir en tant que candidat.
Sa participation au bloc progressiste remonte à 2018, lorsqu’il a soutenu Gustavo Petro, et en 2019, il s’est présenté en tant qu’indépendant à la mairie de Medellín, où il a été élu. Il se caractérise par son opportunisme, un défaut qui va à l’encontre de l’éthique nécessaire pour les temps nouveaux. Il passe facilement du soutien au gouvernement israélien à la pose avec un drapeau palestinien lors d’une réunion de l’ANDI [association patronale], ou profite du différend avec le Pérou au sujet de l’île de Santa Rosa pour hisser un drapeau colombien et se poser en patriote.
Il a su habilement tirer parti de la figure de Petro, attirant l’électorat qui a voté pour lui (plus de 11 millions de personnes). Son manque de cohérence idéologique est évident : candidat au Conseil pour le Parti conservateur, puis néolibéral dans le gouvernement Santos (vice-ministre des TIC), ce qui soulève des doutes quant à son authenticité et son engagement envers les principes progressistes.
Pendant son mandat de maire de Medellín, il a maintenu une approche traditionnelle de la gouvernance, plus proche de l’oligarchie que de celle d’un politicien innovant, démocratique et transparent, engagé dans les causes sociales des pauvres, des étudiants et des travailleurs. Sa gestion a été caractérisée par le copinage, le caciquisme et la distribution de postes bureaucratiques à des opportunistes sans expérience ni bagage de lutte populaire.
Il a utilisé la crise de l’EPM/Hidroituango pour rompre avec le syndicat patronal hégémonique (GEA), réclamant 9,9 milliards de pesos aux entrepreneurs, sans transformer réellement les quartiers populaires, dont beaucoup sont dépourvus de services de base et vulnérables aux avalanches hivernales.
Sa politique sociale, limitée à la distribution d’ordinateurs et à une gestion médiocre du PAE/Buen Comienzo (programme d’aide à l’éducation), avec des accusations d’irrégularités contractuelles, a laissé les communautés dans le besoin dans des conditions précaires, similaires à celles sous administrations oligarchiques.
Cinquièmement, ceux qui sont les mieux préparés, avec une longue expérience des luttes populaires, des mobilisations, une connaissance approfondie du pays et un large soutien des secteurs progressistes, sont Carolina Corcho, Gloria Inés Ramírez et Iván Cepeda.
Sixièmement, parmi tous, celui qui possède largement les qualités d’un homme d’État, avec les vertus, les qualités, la formation et l’expérience politique nécessaires pour être le deuxième président d’une république démocratique, sociale et respectueuse des droits, est Iván Cepeda. Il bénéficie de la reconnaissance et du soutien des secteurs populaires, démocratiques, de gauche et du centre.
Sa personnalité honnête, sereine et équitable, ses convictions fermes et ses positions cohérentes font de lui le candidat idéal pour exercer la présidence et mener à bien la deuxième phase du changement initié par Petro.
Avec Iván Cepeda comme président et Carolina Corcho ou Gloria Inés Ramírez comme vice-présidente, accompagnés du mouvement social, nous serions dans des conditions optimales pour consolider les réformes sociales, les progrès économiques, professionnels, éducatifs, en matière d’investissement social, de paix avec justice sociale, de vérité et de réparation.
La vie d’Iván Cepeda, victime du terrorisme d’État et du paramilitarisme, a été liée à la lutte pour une paix avec justice sociale, vérité et réparation pour les victimes. Son engagement a été parallèle à son dévouement en faveur d’un accord de paix définitif, et non d’une capitulation inconditionnelle des insurgés contre l’État.
Parvenir à un accord de paix définitif sera une tâche essentielle du prochain gouvernement, qui devra poursuivre, approfondir et consolider le programme démocratique pour le changement, afin d’éloigner la Colombie du passé violent légué par le bloc dominant.
Iván Cepeda est un cadre politique formé au cours des dernières décennies dans des organisations de défense des droits humains, des mouvements sociaux et des partis tels que le Polo Democrático Alternativo. Fondateur du MOVICE, il possède une solide formation humaniste et universitaire ; il a écrit sur l’ascension d’Álvaro Uribe Vélez et la violence paramilitaire. En tant que représentant et sénateur, il a mené des débats pédagogiques sur les conséquences du paramilitarisme et de la violence étatique.
Son expérience du conflit armé, du rôle de l’État et des classes dirigeantes dans la répression contre les opposants, les syndicats, les étudiants, les paysans, les indigènes et les Afro-Colombiens le distingue comme l’un des mieux informés, une condition essentielle pour un chef d’État en transition vers une république sociale, démocratique et respectueuse des droits à laquelle aspirent des millions de personnes.
Son combat extraparlementaire dans les rues, les campagnes, les marches et les mobilisations pour la paix, la justice et les droits lui confère une place de choix dans l’histoire des luttes populaires.
Photo de titre : Présentation de la demande de personnalité juridique du mouvement politique Pacto Histórico devant le Conseil national électoral, le 13 juin 2025. Photo Polo democrático (RS)
Oto Higuita, 31-8-2025
Original español
Traduit par Tlaxcala