Décodage de un jour de commémoration

Poutine n’aura même pas besoin de la jouer hypersonique pour faire entrer ça dans la tête de Trump.

Encadrant Macron lors du 100ème anniversaire de la fin de la Première Guerre Mondiale à Paris, Poutine et Trump lui ont volé la vedette

Le protocole de l’Elysée était implacable. Personne à Paris ne serait autorisé à voler la vedette à son hôte, le président Emmanuel Macron, lors du 100ème anniversaire du Jour de l’Armistice marquant la fin de la Première Guerre Mondiale.

Après tout, Macron investissait tout son capital politique en visitant de nombreux champs de bataille de la Première Guerre Mondiale tout en mettant en garde contre la montée du nationalisme et du populisme de droite en Occident. Il a fait l’éloge de manière répétitive du « patriotisme ».

Une bataille d’idées fait actuellement rage en Europe, illustrée par le choc opposant le mondialiste Macron et l’icône du populisme Matteo Salvini, ministre italien de l’Intérieur. Salvini a horreur du système bruxellois. Macron intensifie sa défense « Europe souveraine ».

Et à la grande horreur de l’establishment US, Macron propose une véritable  » armée européenne  » capable d’autodéfense autonome, parallèlement à un  » vrai dialogue sécuritaire avec la Russie » .

Pourtant, tous ces idéaux d’ »autonomie stratégique » s’effondrent lorsqu’il faut partager la scène, et cohabiter  avec les stars incontestées du spectacle mondial : Le président Donald Trump et le président Vladimir Poutine.

L’optique à Paris n’était donc pas exactement celle d’une conférence Yalta 2.0. Il n’y avait aucun moyen de garder séparés Trump et Poutine. Les sièges étaient occupés, de gauche à droite, par Trump, la chancelière Angela Merkel, Macron, son épouse Brigitte et Poutine. Ni Trump ni Poutine, pour des raisons différentes, n’ont participé au numéro « marchons sous la pluie » évoquant la paix.

Et pourtant, ils se sont connectés. Sir Peter Cosgrove, le gouverneur général d’Australie, a confirmé que Trump et Poutine, lors d’un déjeuner de travail, ont eu une conversation « animée et amicale » pendant au moins une demi-heure.

Personne mieux que Poutine lui-même pour révéler, même indirectement, ce dont ils ont vraiment parlé. Trois thèmes sont absolument essentiels.

Sur l’armée européenne non-OTAN proposée par Macron : « L’Europe est (…) une union économique puissante et il est naturel qu’elle veuille être indépendante et (…) souveraine dans le domaine de la défense et de la sécurité».

Sur les conséquences d’une telle armée : Ce serait « un processus positif » qui « renforcerait le monde multipolaire ». En outre, la position de la Russie « est alignée sur celle de la France ».

Sur les relations avec l’OTAN et Washington : « Ce n’est pas nous qui allons nous retirer du Traité INF. Ce sont les US-Américains qui ont l’intention de le faire. » Poutine a ajouté que Moscou n’avait pas prévu d’exercices militaires près des frontières de l’OTAN pour tenter d’apaiser une situation déjà tendue. Pourtant, la Russie n’a « aucun problème avec » les exercices de l’OTAN et s’attend au moins à une forme ou une autre de dialogue dans un avenir proche.


Avangard entre en scène

De nombreux secteurs de l’État profond US sont dans le déni, mais Poutine a peut-être réussi à faire comprendre à Trump la nécessité d’un dialogue sérieux grâce à un vecteur absolument essentiel : l’Avangard.

L’Avangard est un  missile hypersonique russe capable de voler à Mach 20 – 24 700 km/h, soit 4 miles par seconde – et l’une des armes russes révolutionnaires annoncées par Poutine lors de son  discours révolutionnaire du 1er mars.

L’Avangard est en production depuis l’été 2018 et devrait être opérationnel dans le sud de l’Oural d’ici la fin de l’année prochaine oudébut de 2020.

Dans un avenir proche, l’Avangard pourrait être lancé par le formidable missile balistique intercontinental Sarmat RS-28 et atteindre Washington en 15 minutes à peine, volant dans un nuage de plasma «comme une météorite» – même si le lancement a lieu depuis le territoire russe. La production en série des ICBM Sarmat commence en 2021.

L’Avangard ne peut tout simplement pas être intercepté par aucun système existant sur la planète – et les USA le savent bien. Ce que dit le général John Hyten, chef du Commandement stratégique US  : « Nous n’avons aucune défense qui puisse contrer le recours à une telle arme contre nous.»

L’Iran, une nouvelle Serbie ?

J’aurais aimé être à Paris – ma base en Europe – pour suivre en direct ces intrigues concentriques liées à la Première Guerre Mondiale. Mais ce n’était pas moins fascinant de les suivre depuis Islamabad, où je suis en ce moment, de retour de la partie nord du corridor économique Chine-Pakistan (CPEC). L’Empire britannique a utilisé 1,5 à 2 millions de sujets coloniaux indiens pour combattre et mourir pour lui dans cette guerre. Bon nombre d’entre eux étaient des Punjabis, originaires du Pakistan d’aujourd’hui.

Pour l’avenir, Trump est certainement conscient des percées hypersoniques de la Russie. Trump et Poutine ont également parlé de la Syrie et ont peut-être abordé la question de l’Iran, bien qu’il n’y ait eu aucune fuite à ce sujet après leur déjeuner de travail.

Si le dialogue se poursuit lors du sommet du G20 qui se tiendra à Buenos Aires à la fin du mois de novembre, Poutine pourrait peut-être faire comprendre à Trump que, tout comme la Serbie a catalysé une série d’événements qui ont conduit les grandes puissances à sombrer dans la Première Guerre Mondiale, la même chose pourrait arriver avec l’Iran, ouvrant la perspective terrifiante d’une troisième guerre mondiale.

L’acharnement obsessionnel de l’équipe Trump à étrangler l’Iran pour l’amener à la soumission économique est une impasse, même pour l’Union Européenne dirigée par Macron-Merkel. De plus, le partenariat stratégique russo-chinois ne permettra tout simplement pas de se livrer à des jeux un peu trop téméraires avec ce nœud crucial de l’intégration eurasiatique qu’est l’Iran.

Pepe Escobar

Original: Decoding the hypersonic Putin on a day of remembrance

Traductions disponibles: Português/Galego  Español