MILENA RAMPOLDI
« Dans cette crise coronavirale, la plupart des personnes de gauche sont victimes de leur foi en l’État » : Michael Schneider sur la “prise transnationale de pouvoir biopolitique ” en cours

Comme le dit un proverbe français : « Un peuple de moutons aura un gouvernement de loups ».

J’ai parlé avec le professeur Michael Schneider (né en 1943) du thème de la COVID-19 et du rapport entre la médecine et le totalitarisme. Schneider est un écrivain et un socialiste engagé, connu entre autres pour avoir participé au mouvement étudiant de 1968, pour être l’auteur de « Neurose und Klassenkampf »[Névrose et lutte des classes, toujours pas traduit en français après 53 ans, NdT] et pour avoir fondé le premier théâtre de rue socialiste à Berlin-Ouest. Il se distingue par sa critique perspicace du statu quo, et donc aussi de la dégénérescence « coronavirale » régnante, qui contient de nombreux éléments non seulement politiques, mais aussi névrotiques. Mais elle est différente. Le pouvoir est différent aujourd’hui. Et le totalitarisme, aujourd’hui est différent.

Dans cette ère coronavirale, le lien entre médecine, pouvoir et totalitarisme échappe à beaucoup, pourquoi en est-il ainsi ?

Si le lien entre médecine, pouvoir et totalitarisme échappe à tant de gens dans la crise du Corona, c’est avant tout à cause de la nature de ce nouveau récit, extrêmement raffiné et efficace dans son impact sur la psychologie des masses : Que le Sras-Cov-2 est un virus tueur qui menace l’humanité entière et contre lequel il faut « faire la guerre », comme l’a annoncé le président français en avril 2020.

En temps de guerre et de crise, le gouvernement et les citoyens se serrent presque toujours les coudes. La « guerre contre le Corona » et ses nouveaux « mutants dangereux » ressemble à 1984 d’Orwell, où les gens sont constamment mobilisés et poussés dans des guerres fictives contre de nouveaux ennemis que personne ne voit jamais. Plus sophistiqué encore, voire d’un génie quasi sadique (au sens de la guerre psychologique) : le récit (concocté par les services secrets et les think tanks usaméricains) d’un ennemi invisible et corrosif qui peut frapper n’importe où et n’importe quand et qui peut se cacher en chacun de nous, chez ton voisin, ton collègue de travail, même chez tes proches les plus chers et a fortiori en toi-même.

Le postulat du « malade sans symptôme », qui met en danger tous les autres en tant que « super-contaminateur », est particulièrement insidieux, en ce qu’il alimente la suspicion de tous contre tous et conduit à un renversement complet de la charge de la preuve : dans la lutte contre l’ennemi invisible, tous les hommes ne sont pas potentiellement en bonne santé, mais potentiellement malades. Chaque personne est un cas suspect non encore vérifié et un danger et doit prouver son innocence par des constatations (tests) ou des vaccinations actualisées au jour le jour. S’il ne le fait pas, la mise à l’écart et les restrictions de mouvement sont des mesures d’autodéfense autorisées par la société.

Ce récit est nouveau et a du succès notamment parce qu’il met à son service avant tout des idéaux communautaires tels que la solidarité, la responsabilité envers autrui, etc. qui sont justement chers à la gauche. C’est pourquoi sa nature perfide n’est pas reconnue par la plupart des gauchistes, des sociaux-démocrates et des socialistes de gauche, d’autant plus que ces derniers sont justement devenus les victimes de leur foi en l’État en ce moment, lors de la crise du Corona : le fait qu’après trente ans de privatisations néolibérales et de politiques de coupes claires (notamment dans le domaine de la santé), l’Etat, jusqu’alors faible, prenne tout à coup les rênes et fasse, semble-t-il, de la santé des citoyens la maxime suprême de son action, est considéré par eux comme la preuve de la dimension éthique retrouvée de la politique. Mais pourquoi les élites dirigeantes, par ailleurs sans scrupules, auraient-elles décidé d’arrêter la machine mondiale du profit face à un agent pathogène qui touche presque exclusivement les « improductifs », les plus de 80 ans ?

John Melhuish Strudwick, Un fil d’or, 1885

Dans quelle mesure le pouvoir en cette époque est-il différent du pouvoir au sens traditionnel du terme ?

Contrairement aux dictatures traditionnelles et aux systèmes totalitaires, qui sont ou étaient pour la plupart organisés sur une base nationale (ce qui n’excluait nullement des alliances entre eux – il suffit de penser aux puissances fascistes de l’Axe, l’Allemagne, l’Italie et le Japon) et qui éliminaient leurs opposants politiques ou les concentraient dans des camps, nous avons cette fois affaire à une prise de pouvoir biopolitique transnationale qui « commence au niveau de la gouvernance mondiale et s’immisce profondément dans la souveraineté de l’individu », comme l’a montré van der Pijl, professeur de politique internationale à l’université du Sussex, dans son éblouissante étude Le monde assiégé : « L’instauration de l’état d’urgence dans pratiquement le monde entier était avant tout une mesure politique, dont il a été démontré qu’elle avait été préparée de longue date et coordonnée au sein d’un certain nombre de groupes de réflexion transnationaux et d’organisations supranationales telles que l’OMS et la Banque mondiale. Sur leurs conseils et leurs instructions explicites, les gouvernements ont pris leurs populations à la gorge. Après tout, il s’agit de la survie de l’ordre social existant, qui est à l’agonie sur le plan social, économique et écologique ».

Le programme mis en œuvre dans le sillage de la « pandémie », le soi-disant « Great Reset » (comme l’indique l’ouvrage programmatique du même nom de Klaus Schwab et Thierry Malleret.) n’a toutefois rien à voir avec la santé. Il s’agit plutôt de maintenir au pouvoir l’oligarchie, la classe dirigeante transnationale, qui se concentre autour d’un nouveau bloc de pouvoir composé de services secrets, de géants de l’informatique et de conglomérats médiatiques.

Après la crise financière mondiale de 2008, cette oligarchie transnationale s’est vue menacée par une population agitée et révoltée dans de nombreux pays, qui exigeait une re-régulation stricte du système financier mondial instable et une correction des inégalités absurdes générées par le système capitaliste, d’autant plus que celui-ci est de moins en moins en mesure d’endiguer le chômage de masse croissant dans les pays d’Europe du Sud et les pays arabes. Rappelons dans ce contexte, entre autres, le printemps arabe, le mouvement Occupy aux USA et en Europe, la campagne électorale d’abord très réussie du candidat démocrate-socialiste à la présidence Bernie Sanders, qui a réussi à mobiliser une grande partie de la jeunesse usaméricaine ; le mouvement Black Lives Matter et le mouvement des Gilets jaunes en France, qui a conduit à une crise d’État ; mais aussi les graves troubles en Inde et les luttes des Chiliens pour une nouvelle constitution démocratique, soutenues par des manifestations gigantesques. Pour de nombreux gouvernements mis en difficulté par les troubles et les révoltes, la « pandémie » est arrivée à point nommé pour paralyser les mouvements de protestation politiques et la vie sociale au moyen de confinements.

Quels sont les principaux thèmes de votre essai « La boîte de PanCorona et son secret caché » * ?

Les développements politico-économiques esquissés là, qui ont conduit au coup d’État global de l’oligarchie transnationale – constituent une pierre angulaire de mon essai. Mais j’analyse d’abord la « stratégie du choc » (Naomi Klein) politique et médiatique par laquelle les populations ont été plongées dans une peur permanente du prétendu « virus tueur » Sars-Cov-2, et les méthodes de propagande infâmes par lesquelles ce mode permanent de peur et de panique est constamment alimenté : par des tests bruyants, des statistiques manipulées, des chiffres d’infection et de mortalité sans valeurs de référence et par le recours systématique à des « experts » médicaux dociles – alors que les médecins, virologues, immunologistes, etc., critiques qui dénoncent publiquement la vaccination de la population avec les nouveaux vaccins à ARNm à peine testés, se voient exposés à un acharnement politico-médiatique sans précédent et sont souvent poursuivis en justice et empêchés d’exercer leur profession.

Mon autre sujet : la campagne de vaccination de plus en plus irrationnelle et absurde. Certes, le gouvernement fédéral allemand doit désormais admettre que de plus en plus de personnes vaccinées peuplent également les hôpitaux et les unités de soins intensifs – ce qui signifie bien que la stratégie de vaccination appliquée jusqu’à présent a manifestement échoué -, mais il ne trouve rien d’autre à dire que son « Continuons comme ça ! », répété chaque jour. Et c’est ainsi qu’il propage sur tous les canaux la nécessité d’une « vaccination de rappel ou de rappel” massive et de l’introduction prochaine d’une obligation légale de vaccination – ce qui, pour le plus grand plaisir de l’industrie pharmaceutique et de l’industrie de la vaccination, devrait aboutir à un abonnement permanent à la vaccination pour la population. Cette dernière ne semble pas s’inquiéter du fait que la vaccination de masse et le carnet de vaccination obligatoire pour chaque citoyen constituent la porte d’entrée d’un capitalisme de surveillance totalitaire (Shoshana Zuboff) comme le monde n’en a encore jamais vu.

Quelle est l’importance d’une approche interdisciplinaire pour mieux comprendre notre crise coronavirale historique ?

Je pense qu’il est urgent d’adopter une approche interdisciplinaire afin de mieux comprendre la crise historique du Corona. En effet, celle-ci ne concerne pas seulement tous les aspects de notre vie, mais dans son sillage se déroule également, sous les dénégations de la majorité des scientifiques et des intellectuels publics, à leur insu ou par opportunisme, une transformation radicale de la société et de tout son mode de production actuel. L’industrialisation 4.0 sous la direction des grands géants de l’informatique ne conduira pas seulement à la ruine du commerce de détail et des petites et moyennes entreprises, dont les parts de marché actuelles sont déjà visiblement transférées à Amazon et à d’autres chaînes de commerce en ligne ; l’automatisation progressive via la numérisation et l’IA (intelligence artificielle) conduira à un chômage de masse d’une ampleur sans précédent. Prévoyant cela, le « Great Reset » de Schwab estime que l’introduction d’un revenu de base (pas du tout inconditionnel) est indispensable en relation avec l’abolition de l’argent liquide et l’introduction mondiale de l’argent numérique – ce qui signifierait en fin de compte que le détenteur d’argent numérique serait entièrement entre les pattes des banques centrales.

C’est vraiment grotesque : alors que le débat public agité tourne depuis des mois autour du pour ou contre la vaccination et de la « pandémie des non vaccinés », auxquels on attribue la responsabilité du nouveau virus mutant « Omikron », on pose en coulisses les jalons d’un Etat totalitaire de contrôle et de surveillance, comparé auquel celui d’Orwell paraît une vieillerie arriérée.

Comme le dit un proverbe français : « Un peuple de moutons aura un gouvernement de loups ».

Qu’est-ce qui est encore d’actualité aujourd’hui dans “Névrose et lutte des classes” et pourquoi ?

Mon livre Névrose et lutte des classes est paru à l’apogée du mouvement étudiant de 1968. S’il est devenu un best-seller international, c’est grâce à ma tentative de penser ensemble le marxisme et la psychanalyse, au lieu de les considérer comme des contraires et des antipodes incompatibles sur le plan méthodologique et idéologique, comme c’était généralement le cas dans la pensée politique dominante de l’époque. À l’époque, il s’agissait surtout pour moi d’une vue d’ensemble des forces politiques, économiques et psychologiques de la société capitaliste et de la « psychopathologie de sa vie quotidienne et de sa vie professionnelle » ainsi que de son consumérisme maladif – ce qui n’a pas beaucoup changé à ce jour. Une approche syncrétique et interdisciplinaire similaire, avec un objectif grand angle sur le bouleversement de l’époque qui se déroule au nom et à l’ombre de la crise du Corona, (mal)comprise comme une « crise sanitaire » et qui ne conduit donc qu’à des solutions médicales et pseudo-médicales monocausales, serait aujourd’hui nécessaire et urgente.

Hijack, “Pandemonium“, 2020

Pourquoi la psychologie et l’histoire sont-elles aujourd’hui plus indispensables que jamais pour créer une nouvelle vraie démocratie par le bas et sortir du « conte d’hiver » dans lequel nous sommes (presque) tous plongés ?

Malheureusement, la psychologie universitaire dominante est aujourd’hui entièrement sous l’emprise d’une conception positiviste et étroite de la science, la recherche empirique se réduit avant tout à des enquêtes statistiques. La psychologie et l’histoire n’y sont plus pensées ensemble depuis longtemps, une psychologie et une sociopathologie de masse et de classe s’appuyant sur le matérialisme historique (comme je l’ai esquissé dans « Neurose und Klassenkampf ») est depuis longtemps bannie des offres d’enseignement. Pourtant, la crise du Corona montre justement à quel point la politique actuelle est déterminée par des sociopathes grassement payés comme l’actuel ministre de la Santé Karl Lauterbach (qu’Oskar Lafontaine a taclé avec justesse en le qualifiant de « bouée sonore covidienne »). Tant que de telles personnes auront la confiance de la majorité de la population allemande, il ne faut pas s’attendre à un renouvellement démocratique complet, ni même à une véritable démocratie par le bas.

Et pourtant, même en des temps lamentables comme ceux-ci, la devise de Brecht reste valable : « Les choses ne resteront pas telles qu’elles sont » !

*À paraître prochainement chez Sodenkamp & Lenz (Berlin) dans l’ouvrage collectif coordonné par Almuth Bruder-Bezzel, Klaus-Jürgen Bruder & Jürgen Günther: „Corona. Die Inszenierung einer Krise“ (Corona, la mise en scène de la crise).

Milena Rampoldi, ProMosaik

Traduit par Fausto Giudice

Publié par Tlaxcala le 2 janvier  2022

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