Chili : le candidat Kast et l’opération Condor

La propuesta del candidato presidencial de la extrema derecha recuerda mi experiencia personal con la Operación Cóndor, la que ahora intenta reeditar.

La lecture du programme présidentiel de José Antonio Kast a fait resurgir de douloureux souvenirs personnels et familiaux que j’ai vécus à Buenos Aires, il y a précisément 46 ans. Au paragraphe 33 de la page 27 du programme de Kast, sous le titre “Coordination internationale anti-radicaux de gauche”, on peut lire : « Nous nous coordonnerons avec les autres gouvernements d’Amérique latine pour identifier, arrêter et poursuivre les agitateurs radicalisés ». C’est cette coordination des appareils répressifs des gouvernements dictatoriaux du Cône Sud qui a conduit à mon arrestation injuste, à ma torture et à mon emprisonnement en Argentine, grâce à ce qui a été connu par la suite sous le nom d’Opération Condor.

Tués par l’opération Condor

Le matin du 25 novembre 1975, quatre policiers de la Coordination fédérale ont défoncé la porte de ma maison dans le quartier de Caballito. Ma femme et moi avons été traités violemment par ces visiteurs impromptus qui nous ont battus, ont détruit la maison et ont volé l’argent et les quelques objets de valeur que nous avions. Attachés, nous avons été emmenés au siège de la police argentine, où nous avons eu les yeux bandés pendant dix jours, au pain et à l’eau, avec des coups, des tortures et des menaces persistantes. À l’incertitude de ne pas savoir ce qui arrivait à ma femme s’ajoutait la douleur intense de l’impuissance dans laquelle se trouvaient mes fils Rodrigo et Andrés (5 et 7 ans) qui, à leur retour de l’école, se retrouvaient sans leurs parents et avec une maison à moitié détruite.

J’ai alors osé demander à l’un des répresseurs la raison de cette arrestation et quel serait notre avenir immédiat. Il a répondu que, à la demande de la DINA [Direction nationale du renseignement, police politique de Pinochet, NdT], j’étais recherché et que je serais envoyé immédiatement à Santiago. Lorsque j’ai demandé, avec surprise, ce que la police argentine avait à voir avec un professionnel chilien travaillant dans les bureaux de l’INTAL (une organisation internationale dépendant de la BID [Banque interaméricaine de développement]), on m’a répondu dans le meilleur style porteño : « T’es con pu tu fais semblant ? Nous pouvons avoir des divergences avec l’État chilien, mais aucune dans la compréhension et la collaboration pour écraser les terroristes, les marxistes, les gauchistes et ceux qui les aident ». Je me suis alors souvenu qu’en dehors de mon travail professionnel, je soutenais un programme du Conseil latino-américain des sciences sociales (CLACSO) visant à relocaliser dans des pays solidaires de l’exil chilien des étudiants et des universitaires qui avaient été détenus dans des camps de concentration ou qui s’étaient retrouvés sans travail au Chili.

Grâce à la solidarité internationale, et probablement en raison du fait que deux sujets britanniques avaient été arrêtés par coïncidence lors de la même offensive répressive, nous n’avons pas été renvoyés vers le territoire chilien. Ma femme et moi, ainsi que nos camarades socialistes Juan Bustos, Ernesto Benado, Catalina Palma, Sergio (Cochin) Muñoz et quelques autres exilés, avons été enfermés dans la prison de Villa Devoto « à la disposition de l’exécutif national ». Cela signifiait que, sans avoir été jugés pour quelque crime que ce soit, nous étions détenus à la discrétion du gouvernement argentin, en tant que personnes supposées dangereuses. Ma femme et moi avons été détenus pendant un an sans pouvoir nous voir et n’avons eu qu’occasionnellement la possibilité de recevoir la visite de nos parents, qui ont dû déménager à Buenos Aires pour protéger nos enfants, qui ont été menacés par téléphone pendant plusieurs semaines.

La visite des familles dans la prison de Villa Devoto comprenait un examen anal et vaginal pour les proches des détenus, qui avait pour but d’éviter l’entrée probable dans la prison de toute lecture, ce qui était strictement interdit. Je me souviens aujourd’hui, avec la même douleur qu’il y a 46 ans, des pleurs irrépressibles de mon fils Andrés, qui, à deux reprises, n’a pas pu voir sa mère, empêché par les caprices des gendarmes.

Le 24 mars 1976, le coup d’État de Videla a lieu en Argentine. Dans les jours qui ont précédé le coup d’État, des individus habillés en civil nous ont rendu visite. À chaque étage de la Villa Devoto, ils nous ont obligés à nous identifier, nous ont déshabillés et ont pointé des mitraillettes sur nous. L’enfermement habituel de 23 heures dans les cellules est devenu permanent au cours des deux semaines précédant le coup d’État. La prison, qui était difficile jusqu’avant le coup d’État de Videla, est devenue un enfer après le 24 mars. La certitude relative, qu’en tant que Chiliens, nous serions libérés, s’est transformée en peur et en insécurité lorsque plusieurs camarades argentins ont été sortis de leurs cellules et tués dans le dos aux alentours de l’aéroport d’Ezeiza ou même près de Villa Devoto. Aujourd’hui encore, je ne peux oublier Gonzalo Carranza, un jeune Argentin de 27 ans, que j’ai rencontré dans une cellule de punition, où pendant 15 jours nous avons été battus et où l’on nous aspergeait d’eau froide toutes les nuits. Gonzalo avait affronté la police plusieurs fois et, comme il me l’a dit, ils lui en voulaient. Quelque temps plus tard, j’ai appris qu’ils l’avaient fait sortir de prison et que son corps avait été retrouvé, criblé de balles.

  • À cette époque, où la mort nous entourait, on parlait ouvertement d’une coordination militaire répressive entre la DINA et l’armée argentine. Dans de telles conditions, nos avocats (menacés quotidiennement par les “services de sécurité”) ont accéléré les procédures et fait appel à toutes sortes d’instances internationales pour obtenir notre libération de prison. Un matin de septembre 1976, quelques jours avant l’assassinat d’Orlando Letelier [ministre d’Allende puis ambassadeur aux USA, tué dans sa voiture piégée, NdT] à Washington, la police fédérale m’a conduit, menotté, à l’aéroport d’Ezeiza, pour être expulsé vers la Grande-Bretagne. Après deux semaines, j’ai retrouvé ma femme qui, peu avant mon départ, avait dû subir, au cours d’une nuit cauchemardesque, toutes sortes de harcèlements sexuels de la part d’agents de la police fédérale. Quelques jours plus tard, nos enfants arrivaient et nous étions réunis avec eux après une séparation douloureuse.

Ma famille et moi avons vécu l’opération Condor de première main, c’est-à-dire la coordination policière et l’action extraterritoriale des fonctionnaires de la DINA en Argentine. Comme on le sait, mon expérience n’est pas unique. Au cours de ces années, des milliers de Chiliens ont connu la détention, la torture, la disparition et la mort sur le territoire chilien et argentin.

La proposition du candidat présidentiel d’extrême droite me rappelle mon expérience personnelle de l’opération Condor, qu’il tente aujourd’hui de rééditer. La démocratie, la paix et la non-violence que nous, Chiliens, appelons de nos vœux sont menacées dans plusieurs domaines par la proposition de Kast. Mais il est particulièrement inquiétant que sa politique internationale, au lieu de s’occuper de l’amélioration des relations de voisinage, de répondre aux demandes de faire face à la détérioration des écosystèmes ou de favoriser la réduction de l’armement, se concentre sur la répression des personnes qui ont des idéologies différentes de celles qu’il défend.

Roberto Pizarro Hoffer

Original: El candidato y la Operación Cóndor

Traduit par  Fausto Giudice

Source: Tlaxcala, le 29 novembre 2021