Derrière le coup d’État au Myanmar : le pouvoir et la cupidité du Généralissime Min Aung Hlaing

La menace d’un coup d’État ne profite ni à la population du Myanmar ni aux militaires du rang que le général Min Aung Hlaing est chargé de diriger…À qui profite réellement un coup d’État ?

L’original de cet article a été publié deux jours avant le coup d’État militaire du 1er février 2021

Une démonstration de force de l’armée du Myanmar, dirigée par son commandant en chef, le généralissime Min Aung Hlaing, a provoqué ces derniers jours une crise politique qui menace la démocratie « disciplinée » que les militaires ont eux-mêmes instaurée. Les rumeurs de coup d’État de l’armée, associées au défilé de chars qui patrouille les grandes villes, ont suscité la peur et l’anxiété d’une population déjà aux prises avec une vague de Covid-19 et une crise économique.                                

Faisant écho aux affirmations persistantes du Parti Union Solidarité et Développement (PUSD,) qui sert de façade à l’armée du Myanmar, selon lesquelles les élections générales de novembre 2020 ont été entachées de fraude, le généralissime Min Aung Hlaing évoque des irrégularités électorales et parle de faire respecter la Constitution rédigée par l’armée. La Constitution garantit le rôle des militaires dans la politique, en leur accordant 25 % des sièges au Parlement, l’autonomie face à la surveillance des civils, et le contrôle des ministères de l’intérieur, des frontières et de la défense. Le pouvoir politique et les intérêts économiques du généralissime Min Aung Hlaing sont en jeu, car la date de son départ à la retraite approche rapidement.

Comme le moment où le général Min Aung Hlaing devra transférer le pouvoir à un nouveau commandant en chef en juin 2021, ses intérêts financiers expliquent sa menace de coup d’État. La famille du général Min Aung Hlaing, et le général lui-même, qui a accumulé des richesses personnelles en profitant de sa position à la tête de l’armée, ont beaucoup à perdre.

 Illustration de Jared Downing | Frontier

Le rôle du Généralissime Min Aung Hlaing dans les affaires contrôlées par les militaires

Le général Min Aung Hlaing détient l’autorité suprême sur les deux conglomérats dirigés par les militaires du Myanmar, la Myanmar Economic Corporation (MEC) et la Myanma Economic Holdings Limited (MEHL). Il est à la tête du Groupe de Gouvernance du MEHL et l’un des principaux actionnaires, supervisant les intérêts commerciaux dans tout le Myanmar. Ces entreprises sont nées de la corruption systémique de la dictature militaire et du pillage des biens publics, qui se sont développés sous la direction du généralissime Min Aung Hlaing.

Les entreprises que le généralissime Min Aung Hlaing contrôle comprennent des actifs stratégiques sous-traités à des acolytes et à des multinationales bien connues, par le biais d’accords frauduleux auxquels il a présidé. Par exemple, en 2013, le MEHL a pris le contrôle du port de Bo Aung Kyaw, transféré depuis l’autorité portuaire du Myanmar, une agence gouvernementale civile dirigée par un ancien militaire, directeur de MEHL. En 2016, le port a été loué au conglomérat KT Group dans le cadre d’un accord de « construction-exploitation-transfert » d’une durée de 50 ans, révisable tous les 5 ans, qui rapporte à MEHL 3 millions de dollars par an,  selon un article de Myanmar Now. Pareillement, la MEC contrôle une bande de terrain en bord de rivière dans le township d’Ahlone, qu’elle a louée à Asia World et à Adani Ports et SEZ (Zones économiques spéciales) pour la construction et l’exploitation de ports privés.

Dans le secteur minier, sous la direction du général Min Aung Hlaing, MEHL contrôle le plus grand nombre de concessions de mines de jade et de rubis dans des sites lucratifs, certaines ayant été louées à des filiales minières du conglomérat KBZ, comme l’indiquent les rapports de l’Initiative pour la transparence des industries extractives du Myanmar. Dans la région de Khamti, MEHL fournit des licences à la filiale de KBZ spécialisée dans le jade, grâce auxquelles 24 230 kg de jade ont été extraits au cours de la seule année fiscale 2015-16, moyennant des redevances minimales au gouvernement.

Le Groupe Ever Flow River s’est associé à MEHL  pour la gestion du Port Sec de Hlaing et le Dépôt Intérieur pour Conteneurs sur des terres contrôlées par MEHL. Alors qu’EFR fournit 100 % de l’investissement pour ce projet stratégique, MEHL en détient 51 % des parts, et le général Min Aung Hlaing en profite personnellement.  

Wanbao Mining et Myanmar Yang Tse, filiales du fabricant d’armes chinois NORINCO, exploitent à Sagaing des mines de cuivre tristement célèbres, responsables de la destruction de l’environnement et d’immenses souffrances pour les communautés locales. Selon les données divulguées par MEHL, l’investissement total dans la mine de Sabae Taung & Kyay Sin Taung est de 398,56 millions de dollars US,  100% du capital étant fourni par Yang Tse. À Letpadaung, 100 % de l’investissement de 997 millions de dollars US de la mine est fourni par Wanbao. Wanbao Mining et Myanmar Yang Tse sont responsables de la grande majorité de la main-d’œuvre. Le général Min Aung Hlaing avait accepté une participation aux bénéfices de 51% pour les deux mines, bien que MEHL n’ait pas investi de capitaux (la participation aux bénéfices perçue par MEHL a ensuite été réduite suite au scandale public, ce qui a augmenté la part de l’État).  

Ces accords frauduleux rapportent des profits importants au général Min Aung Hlaing et cimentent ses relations avec ses amis, qui lui sont par conséquent redevables, dans un système qui perpétue la concentration des richesses au sein d’un groupe très soudé de généraux et de leurs associés. La corruption systémique qui définit ces relations permet au général Min Aung Hlaing de tirer un revenu de l’accès des militaires aux biens de l’État comme aux licences et aux marchés publics.

Aung Pyae Sone, fils généralissime Ming Aung Hlaing et directeur de A&M Mahar, avec sa mère Kyu Kyu Hla pendant un voyage en Russie

Les entreprises familiales du généralissime Min Aung Hlaing

Le général en chef Min Aung Hlaing a également abusé de son pouvoir au profit de sa famille, qui a profité de son accès aux ressources de l’État et de l’impunité totale accordée aux militaires.

Aung Pyae Sone, le fils du général Min Aung Hlaing, gère un certain nombre d’entreprises connues. Son entreprise de fournitures médicales, A&M Mahar, vend des autorisations de l’Agence des produits alimentaires et médicamenteux   et sert d’intermédiaire pour les importations. Elle s’occupe aussi de la vente et de la mise sur le marché de produits pharmaceutiques et de technologies médicales.

En 2019, Aung Pyae Sone a fait l’objet d’un  examen public en sa qualité de propriétaire du restaurant Yangon et de la galerie Yangon, situés dans le Parc du Peuple, adjacent à la pagode Shwedagon. Il avait bénéficié d’un bail foncier artificiellement bas de la part du gouvernement régional de Yangon et sert de l’alcool en violation d’une interdiction du Comité de développement de la ville de Yangon.

Aung Pyae Sone est également propriétaire de l’Azura Beach Resort, qui se présente comme  le « plus grand complexe hôtelier de Chaung Tha ». Peu après la victoire de la LND [Ligue Nationale pour la Démocratie, le parti d’Aung San Suu Kyi]  en 2015, la Commission d’investissement du Myanmar, sous l’égide du gouvernement dirigé par le PUSD [ Parti de l’Union, de la Solidarité et du Développement, le parti nationaliste et conservateur de  l’ancien président de la République, Thein Sein] a  accordé un permis  à Sky One Construction pour construire un centre de villégiature sur un terrain de 9 hectares loué au gouvernement, ce qui constituait un conflit d’intérêts systémique. Sky One Construction est la propriété de Aung Pyae Sone.

En 2016, Winning Star, une société appartenant au partenaire commercial d’Aung Pyae Sone dans Sky One Construction, qui était auparavant domicilié à la même adresse, a remporté un contrat de  250 millions de kyats  [environ 146 000 euros] attribué par le ministère de l’hôtellerie et du tourisme pour développer un hôtel à Mrauk-U. Mrauk-U, importante ville archéologique et touristique, est l’ancienne capitale de l’État d’Arakan. Des combats intenses y ont eu lieu l’année dernière entre l’armée du Myanmar et l’Armée d’Arakan.  

 Myo Yadanar Htaik, la belle-fille de Min Aung Hlaing, (4ème à partir de la gauche) est la propriétaire de la Stellar Seven Entertainment Company.

L’épouse d’Aung Pyae Sone, Myo Yadanar Htaik, fait aussi des affaires, notamment en tant que directrice, avec son mari, de la Nyein Chan Pyae Sone Manufacturing & Trading Company. Jusqu’à récemment, elle était directrice d’Apower, une filiale de la firme de façade Aung Myin Thu Group, qui gère une opération immobilière dans le canton de Mingaladon, à Yangon [Rangoon].

  Khin Thiri Thet Mon, à gauche

La fille de Min Aung Hlaing, Khin Thiri Thet Mon, est propriétaire de Seventh Sense, une entreprise de production médiatique qui réalise des films à gros budget et a des contrats d’exclusivité avec Nay Toe et Wut Hmone Shwe Yi. Nay Toe joue un rôle important dans le marketing de Mytel, l’opérateur de téléphonie mobile que le général Min Aung Hlaing a créé avec MEC, qui a reçu la part du gouvernement dans cette entreprise. Khin Thiri Thet Mon est également propriétaire d’Everfit, une chaîne de salles de sport de luxe.

Ces intérêts commerciaux familiaux ne sont probablement que la partie émergée de l’iceberg. Tant que l’armée n’est pas soumise au contrôle démocratique et que le généralissime Min Aung Hlaing peut continuer à abuser de son pouvoir pour son intérêt personnel, il n’est pas possible d’évaluer la véritable richesse et les actifs de la famille.

À qui profite un coup d’État ?

Alors que le généralissime Min Aung Hlaing brandit la menace d’un coup d’État pour soi-disant préserver l’intégrité du processus électoral au Myanmar, il est important d’examiner ses intérêts économiques, en tant que chef des conglomérats économiques de l’armée, et les intérêts commerciaux de sa famille. Ses activités économiques font l’objet de critiques nationales et internationales croissantes, ce qui grève la réputation des partenaires commerciaux étrangers de l’armée, comme la japonaise Kirin Holdings et Pan-Pacific (chaîne hôtelière appartenant au groupe singapourien UOL].

Depuis 2019, les intérêts économiques du général Min Aung Hlaing et de l’armée du Myanmar font l’objet d’une surveillance accrue, après la publication par la mission d’enquête des Nations unies d’un rapport impliquant des entreprises militaires dans des actes de génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. En outre, le général Min Aung Hlaing est une des cibles d’une campagne internationale visant à ce que les responsables de génocides, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité répondent de leurs actes.

Sous la direction du général Min Aung Hlaing, le peuple du Myanmar et les militaires du rang continuent de souffrir de la corruption rampante et des conflits d’intérêts systémiques. Si la démocratisation du Myanmar progresse et que les responsables de ses actes criminels sont tenus de rendre des comptes, sa famille et lui risquent de perdre leurs sources de revenus.

Les biens publics volés par le généralissime Min Aung Hlaing et sa famille doivent être restitués au peuple. Sans action de la part d’un gouvernement démocratiquement élu, il existe un risque élevé que le général Min Aung Hlaing tente de s’accrocher au pouvoir en tant que commandant en chef des forces armées et d’utiliser sa position pour continuer à accumuler des richesses par le biais de conglomérats militaires et de ses entreprises familiales, alors que la majorité de la population du Myanmar et les militaires du rang vivent dans la pauvreté.

La menace d’un coup d’État ne profite ni à la population du Myanmar ni aux militaires du rang que le général Min Aung Hlaing est chargé de diriger. En outre, le fait qu’il tente de le faire à la fin de son mandat à la tête de l’armée, qu’il a utilisé pour s’enrichir et enrichir sa famille, indique une motivation d’ordre financier, au-delà de son désir de s’accrocher au pouvoir politique. À qui profite réellement un coup d’État ?

Justice For Myanmar မြန်မာနိုင်ငံအတွက် တရားမျှတမှု

Original: Who profits from a coup? The power and greed of Senior General Min Aung Hlaing

Traduit par Jacques Boutard

Edité par  Fausto Giudice Фаусто Джудиче

Traductions disponibles : Español

Fuente: Tlaxcala, 13 février 2021

http://tlaxcala-int.org/upload/gal_21691.jpg

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