Chili : Piñera, dégage !

Qu’il dégage !, c’est ce que réclament les multitudes qui manifestent et, qu’avec lui, dégagent  tous les politiciens complices d’avoir mis le Chili  dans un état si funeste.

Juan Pablo Cárdenas S.

Dans les démocraties les plus saines, la souveraineté populaire s’exprime constamment et pas seulement lors d’élections périodiques et souvent trop espacées. Cela explique pourquoi les chefs d’État sont élus et démis de leurs fonctions sans que cela cause de traumatisme aux institutions et à la coexistence politique et sociale. Si le Chili faisait partie de ces nations, il ne fait aucun doute que Sebastián Piñera aurait été contraint de démissionner depuis longtemps. Cependant, aujourd’hui, avec un taux d’approbation à moins de deux chiffres dans les sondages, il semble que beaucoup de gens considèrent comme une hérésie de demander son départ de La Moneda.

 Je te demande une nouvelle Constitution et ne m’offres que la répression. Dégage, Piñera !

J’ai intitulé cette chronique comme je l’avais fait  pour Augusto Pinochet pendant sa dictature, et cette demande fut célébrée à l’époque, même si cela devait déclencher une intense persécution politique et judiciaire contre la revue Análisis et d’autres médias dissidents. Le régime militaire et ses avocats nous avaient alors traités de séditieux ayant insulté le dirigeant, mais jusqu’à aujourd’hui, personne ne nous a dénié le mérite de nous être fait l’écho, à travers un média, de ce qui était une forte clameur citoyenne.

Nous savons que la responsabilité du climat de violence intense et débridé que connaît le Chili n’est pas seulement une conséquence de la mauvaise gouvernance de Piñera. Sa responsabilité est partagée par l’ensemble de la classe politique, des partis et des pouvoirs de fait qui déterminent le cours du pays sur les indications de puissants milieux d’affaires nationaux et étrangers, ainsi que par les médias qui servent à prolonger une système aberrant d’inégalité et d’exclusion.

Rares sont ceux qui veulent supposer que les combats de rue, l’incendie et la destruction systématiques des moyens de transport, les centaines de jeunes emprisonnés précipitent véritablement une guerre civile dans laquelle le processus constituant même nous semble déjà un événement isolé, sans l’importance qu’il promettait et se dissolvant une fois de plus dans la bagarre électorale, les arrangements sordides au sommet, l’exclusion des peuples originels, ainsi que la menace bien fondée de la droite de rendre impossible les quorums établis pour l’approbation d’une nouvelle Constitution.

Depuis au moins un demi-siècle, nous sommes conscients des difficultés que rencontrent toujours les présidents de la République avec leurs partis et coalitions alliées, plutôt qu’avec les dirigeants de l’opposition. Cette discorde s’est toujours expliquée par la voracité des groupes au pouvoir pour obtenir des quotas de pouvoir au sein des administrations respectives. Nos dirigeants n’ont guère été capables de faire ce qu’ils avaient promis ou que le peuple leur avait ordonné de faire, si bien que les différents pouvoirs et institutions de l’État n’ont jamais vraiment fonctionné correctement, car ils ont été considérés comme un terrain de chasse pour les gouvernements du jour.

Cela explique pourquoi les ministres d’État, les parlementaires, les juges et les hauts fonctionnaires sont tentés par les pots-de-vin et la corruption qui ravagent aujourd’hui une nation qui était censée être exempte de ces fléaux. À cela s’ajoute une réalité qui est également difficile à accepter : la présence croissante des cartels de la drogue, des narcos et du micro-trafic, la dénaturalisation des forces de police, la fraude fiscale et d’autres effets très expressifs du degré de prostration de notre pays.

Sebastián Piñera a déjà démontré son manque de compétence et d’autorité morale. Pour une raison quelconque, dès le début de sa carrière politique, il a été dénoncé par ses propres pairs comme un homme d’affaires corrompu, déloyal et avide de richesses. De même , il est également méprisé parmi ses acolytes politiques de manière virulente, même si on cache souvent la répudiation que son nom, sa parole et ses gestes provoquent. Il a même acheté un parti pour l’imposer comme porte-drapeau de la présidence, tout comme il est devenu ensuite le leader latino- le plus soumis, de manière embarrassante, à Donald Trump et à sa politique internationale.

Parfois, il semble que ce soit parmi les dirigeants de l’opposition que l’on trouve la plus grande volonté de le voir poursuivre ses erreurs et ses aberrations, dans l’espoir que son discrédit social s’aggrave et qu’il leur soit plus facile de lui succéder aux prochaines élections présidentielles. Il est évident que lors de l’explosion sociale, les dirigeants et les partis de la soi-disant opposition ont décidé de prolonger son séjour à la présidence du pays, s’accordant avec lui sur un itinéraire constitutionnel truqué aux résultats très incertains, malgré l’écrasante majorité obtenue au plébiscite en faveur d’une nouvelle Constitution et sans représentation de l’exécutif et du législatif dans sa Convention constituante.

C’est pourquoi la complaisance à la prolongation de son gouvernement peut être très risquée si nous observons comment le conflit en Araucanie s’aggrave et les protestations et la répression effrénées dans les rues de la capitale et d’autres villes, y compris cette destruction quotidienne et effrayante, par exemple, de l’infrastructure routière et même des édifices du patrimoine. Pour ne rien arranger, tout a été aggravé par la pandémie de Coronavirus et ses conséquences en termes de morts, de personnes infectées et de chômeurs. Sans oublier les maladies physiques et mentales causées par tant de mois de quarantaine et de promiscuité confinée.

En moins d’un an, nous nous retrouvons dans un pays beaucoup plus pauvre et plus désespéré, sans que son chef d’État ne fasse preuve du moindre leadership dans la lutte contre la crise. Totalement insensible et incompétent pour aller au secours des plus démunis, au point que nous avons dû recourir aux réserves des fonds de pensions afin de pallier les graves pénuries familiales, avec quelque deux millions de travailleurs qui ont épuisé toutes leurs cotisations et leurs fonds pour leur retraite. Et l’on parle déjà d’un troisième prélèvement (de 10% des réserves) sans que le gouvernement ne se résolve à réduire ou à éliminer les dépenses militaires excessives, à recourir aux volumineuses réserves souveraines à l’étranger ou à imposer une taxe aux plus riches destinée ceux qui ont des besoins urgents du fait de la crise sanitaire.

Si Piñera avait ne serait-ce qu’une once de patriotisme, il aurait déjà dû quitter ses fonctions, comme tant d’autres dirigeants l’ont fait par le passé. Abandonner ou s’ôter la vie, avant même de précipiter leur pays dans une catastrophe encore plus grande. Qu’il dégage !, c’est ce que réclament les multitudes qui manifestent et, qu’avec lui, dégagent  tous les politiciens complices d’avoir mis le Chili  dans un état si funeste.

Juan Pablo Cárdenas S.

Original: Chile: ¡Que se vaya!

Traduit par   Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Source: Tlaxcala, le 16 décembre 2020

http://tlaxcala-int.org/upload/gal_21691.jpg

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