« États-Unis : champagne pour Wall Street et aumône pour les classes populaires »

Les gouvernements et le grand capital n’abandonneront la poursuite de cette offensive contre les intérêts de l’écrasante majorité de la population que si des mobilisations très puissantes les obligent à faire des concessions.

Alors que certains utilisent l’expression « monnaie hélicoptère en faveur du peuple » pour désigner la politique de l’administration Trump et de la Fed face à la crise actuelle, il faut dénoncer la « monnaie hélicoptère en faveur de Wall Street « tant sont impressionnants et généreux les montants mis à disposition du New Deal de Franklin Roosevelt.

Alors que les États-Unis sont embrasés depuis deux semaines par une multitude de manifestations antiracistes et que les victimes de la covid-19 se comptent principalement dans les couches populaires les plus pauvres, les données économiques rassemblées depuis le début de la crise sanitaire montrent très clairement l’orientation prise par Washington à l’occasion de la plus grave crise sociale et économique depuis les années 1930. Elle s’inscrit dans la continuité des mesures prises depuis la crise de 2008 et ne s’accompagne nullement de contreparties et d’avancées sociales indispensables pour le bien-être de la population, comme ce fut le cas dans le cadre du New Deal à partir de 1933.

Entre la mi-mars et début juin 2020, 44 millions de résident.e.s se sont inscrit.e.s au chômage. Le taux de chômage officiel, qui sous-estime très largement la situation réelle, atteint 13,3 % alors qu’il se situait à 3,5 % en début d’année.

Dans le cadre des mesures prises par le Congrès avec le soutien des Républicains et des Démocrates, une partie des chômeur.ses reçoit des indemnités présentées comme généreuses. Or, en réalité, c’est le 1 % qui bénéficie des faveurs de Washington. Ces aides soulagent la trésorerie des entreprises, maintiennent un certain niveau de consommation, assurent la survie des plus pauvres (et donc la reproduction de la force de travail mise au chômage forcé) et visent à éviter qu’ils ne se révoltent. Ces indemnités ne sont que les miettes du gâteau offert aux plus riches. Alexandria Ocasio-Cortez ne s’est pas laissé berner et a été la seule parmi les Démocrates à voter contre le « stimulus package ». Elle a dénoncé « le plus grand renflouement d’entreprises » de « l’histoire américaine » qui n’offre que des « miettes pour nos familles ».

Outre ce plan de plus de 2 000 milliards de dollars, la Fed est intervenue encore plus massivement. Alors que Wall Street avait plongé de plus de 20 % entre le 17 février et le 17 mars 2020 et alors que le marché des dettes des grandes entreprises états-uniennes (corporate bond market) était au bord de l’implosion, la Réserve fédérale a dépensé 3 000 milliards de dollars entre la fin mars et début juin pour ramener Wall Street au niveau qui précédait le 17 février.

En effet, à partir du 17 février 2020, la bulle boursière qui s’est formée au cours des années précédentes s’est dégonflée à une vitesse impressionnante. La décrue a été déclenchée par les gros actionnaires qui ont décidé de vendre de très gros paquets d’actions. A noter que pendant que les cours boursiers s’effondraient, les grandes banques engrangeaient des revenus importants car, en tant qu’intermédiaires principales des ventes et achats d’action, elles touchent une commission sur chacune des transactions boursières. Leur revenu lié à ces commissions a augmenté de 30 % en février-mars 2020.

De grands capitalistes ont également misé massivement sur la baisse : ainsi, en avril 2020, le milliardaire Akman a gagné 2,6 milliards de dollars en pleine baisse des marchés boursiers. Il a expliqué qu’il avait fait jouer une assurance payée 27 millions de dollars pour se protéger de la chute boursière. Si l’on en croit ses dires, il a gagné 100 fois plus que sa mise de départ.

Grâce à l’afflux de 3 000 milliards de dollars provenant de la Fed, les grandes entreprises, pourtant en difficulté, ont pu continuer à emprunter sur les marchés sous la forme de la vente d’obligations qu’elles émettent. C’est le cas de grandes banques comme Citigroup (3e banque états-unienne en termes de grandeur), Wells Fargo (4e banque), Morgan Stanley (6e banque). Citigroup et Wells Fargo ont émis des obligations qui viendront à échéance en 2051.

Ces titres se sont vendus facilement car ils offraient des rendements nettement supérieurs aux titres de la dette publique qui sont proches de 0 %. Ils sont même devenus très attractifs… Quand les grands fonds d’investissement ont été rassurés définitivement sur les intentions de la Fed, qui leur montrait qu’elle ferait tout pour sauver le marché des obligations, ils se sont mis à racheter sur le marché secondaire des obligations fraîchement émises en acceptant de payer plus cher que le prix d’émission.

Par exemple, les obligations vendues par Morgan Stanley le 19 mars (en pleine chute boursière) pour un montant total de 2 milliards de dollars, se revendaient 50 % plus cher le 12 juin 2020. Pour faire simple, une obligation Morgan Stanley d’une valeur faciale de 100 dollars vendue le 19 mars pour 98 dollars se revendait le 12 juin au prix de 148 dollars.

Encore plus frappant comme indication du caractère fictif de ce type de capital : les titres pourris (junk bonds) vendus par la firme Avis Budget Car Rentals, qui est au bord du dépôt de bilan, se vendent 15 % plus cher que leur valeur faciale.

Nous avons là la preuve évidente de la poursuite à très grande échelle de la spéculation sur le marché obligataire avec une surévaluation impressionnante du prix des titres financiers. Les grands acheteurs sur les marchés financiers se soucient très peu de la solidité des entreprises qui empruntent, il s’agit pour eux de faire des profits à court terme. Ils considèrent qu’ils seront toujours capables de revendre à temps les titres émis par des entreprises en difficulté.

Alors que certains utilisent l’expression « monnaie hélicoptère en faveur du peuple » pour désigner la politique de l’administration Trump et de la Fed face à la crise actuelle, il faut dénoncer la « monnaie hélicoptère en faveur de Wall Street » tant sont impressionnants et généreux les montants mis à disposition du grand capital américain.

Cette politique ne s’apparente nullement au New Deal de Franklin Roosevelt appliqué à partir de 1933. Cette fois-ci : pas de progression des droits sociaux ; pas d’imposition d’une discipline financière forte à l’égard des banques ; pas d’effort fiscal imposé aux plus riches, pour ne prendre que trois critères. Dans le cadre du New Deal, une protection sociale importante a été mise en place, les banques d’affaires ont été séparées des banques de dépôts et le taux d’imposition des revenus les plus élevés a atteint 80 %.

Rien de tout cela ne figure au programme des gouvernants et des propriétaires des grandes entreprises. Au contraire, ils voient dans cette crise une nouvelle occasion d’augmenter la précarisation des contrats de travail et de baisser le coût salarial. Le programme de sauvetage de l’économie est financé par la dette publique et aucun impôt de crise ne frappe les plus riches.

Eric Toussaint pour La Pluma

Edité par María Piedad Ossaba

Publié par CADTM, /Le Soir, Belgique

Traductions disponibles: Español

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