Ce que signifie la catastrophe pour les travailleur·ses de l’industrie de l’habillement au Bangladesh

Pendant la pandémie de covid-19, nous avons été témoins de la façon dont l’association des patrons de la confection a joué avec la vie de milliers de travailleur·ses.

57 % des survivant·es de la tragédie du Rana Plaza sont resté·es au chômage, et la pandémie fait maintenant payer un lourd tribut au Bangladesh, en particulier à l’industrie de l’habillement, qui est le deuxième exportateur mondial de vêtements. Supriti Dhar revient sur une catastrophe aux conséquences à long terme.

Illustration de Sissela Nordling Blanco

C’était le 24 avril 2013. Il y a sept ans, la pire catastrophe industrielle du monde, la tragédie du Rana Plaza, a frappé le Bangladesh et a tué plus de 1 100 travailleur·ses et en a blessé plus de deux mille autres, dont la plupart étaient des femmes. Rien que des femmes.

Pourquoi est-ce que je raconte cette histoire ? Vous connaissez tous le nom “Bangladesh”, car il est associé aux industries de l’habillement. Combien d’entre vous savent comment ce secteur aide les femmes d’un pays en développement à devenir autonomes ? Et comment ce secteur exploite ces travailleurs pauvres avec leurs salaires ?

Juste un exemple : 57% des survivant·es de la tragédie du Rana Plaza sont resté·es au chômage pendant toutes ces années car la plupart d’entre eux·elles ne se sont pas encore remis·es du traumatisme physique et mental de l’effondrement de l’usine. Parmi les survivant·es, environ 200 ont subi de graves blessures, et 60 personnes ont été amputées.

Des journées cauchemardesques

Les familles des milliers de victimes attendent que justice soit faite, mais personne ne peut dire quand le procès pourrait commencer. La catastrophe a fait la une des médias du monde entier, soulignant les inquiétudes concernant la sécurité des usines du Bangladesh et leurs conditions de travail et obligeant le gouvernement et les propriétaires d’usines à adopter de nouvelles mesures qui ont permis d’améliorer considérablement les conditions de travail.

Mais combien de mesures ont été prises jusqu’à aujourd’hui ? Y a-t-il des inspections régulières ? Pourquoi la vie des travailleur·ses de l’habillement est-elle si bon marché alors qu’ils·elles apportent des devises étrangères au pays ?

Je me souviens très bien de cette journée, je me rappelle comment je me suis sentie, comment je me suis précipitée sur place et j’ai respiré l’odeur des corps humains carbonisés et comment nous avons tou·tes essayé d’atteindre les personnes dans le besoin qui creusaient les décombres et essayaient de sauver des milliers d’êtres humains alors que tout le système étatique était en échec. Le système a échoué à cause de sa voracité illimitée, de son impudence et de sa corruption incommensurable.

Je ne veux pas non plus me souvenir de ces jours cauchemardesques. Certain·es d’entre nous ne peuvent même pas supporter ce souvenir, certain·es d’entre nous doivent encore faire face au traumatisme. Un de nos collègues militantes s’est suicidé à la même date et au même endroit l’année dernière. Il faisait partie de ces personnes qui ont aidé les travailleur·ses de l’habillement à sortir des décombres, auxquel·les il a fallu couper les mains ou les jambes et ces horribles souvenirs l’ont toujours hanté jusqu’à la mort. Nous ne connaissons pas le nombre réel de personnes qui se sont suicidées. Je me souviens encore de ces journées où je courais d’un hôpital à l’autre et où j’ai vu des gens souffrir, certain·es étaient sans jambes ou sans mains ou étaient paralysé·es, je pleurais, je criais, je souffrais en les voyant souffrir.

J’ai vu des travailleuses allongées sur le lit d’hôpital avec leurs blessures, demandant à tout le monde des nouvelles de leurs enfants. Au cours de cette catastrophe, j’ai rencontré de nombreux hommes qui étaient les soi-disant maris de ces travailleuses et qui revenaient vers leurs femmes juste pour obtenir de l’argent, puis disparaissaient. Ce n’étaient que des hommes.

Pendant la pandémie de covid-19, nous avons été témoins de la façon dont l’association des patrons de la confection a joué avec la vie de milliers de travailleur·ses.

Plus effrayant que le virus

Lorsque le pays tout entier était confiné, l’association n’a pas respecté les règles. Au milieu d’une énorme controverse, ils ont ordonné la fermeture des usines, mais sans plus de directives. Ces pauvres travailleur·ses ont donc quitté les villes, leur lieu de travail. Quelques jours plus tard, l’association des patrons a demandé l’ouverture des usines et a averti que tout·e travailleur·se qui ne rejoindrait pas son poste à la date fixée, il·elle perdrait son emploi. Ces pauvres gens ont commencé à se précipiter vers les villes, malheureusement ils ne trouvaient aucun moyen de transport, alors ils ont commencé à marcher sous le soleil brûlant, et nous avons tous assisté à cette marche ridicule depuis nos logements confortables et climatisées.

Une fois de plus, nous avons commencé à critiquer les dirigeants, ce que nous faisons très bien. Ils ont donc été obligés de revenir sur leur décision. Il est intéressant de noter que les gens, qui étaient au milieu ou à la fin de leur voyage, étaient coincés. Cette fois, ils ne pouvaient pas retourner là où ils résidaient auparavant. Imaginez une situation où les travailleurs, pour la plupart des femmes, sont parfois très jeunes, parfois avec des enfants, coincés au milieu de nulle part la nuit dans un pays qui est extrêmement dangereux pour les femmes.

Pour tous nos dirigeants, ces personnes ne sont que des cobayes. L’un des travailleurs de l’habillement, qui a été contraint de revenir travailler dans l’usine malgré la fermeture du pays, a déclaré : « Perdre un emploi est bien plus effrayant que le virus. Si nous n’obéissons pas, nous perdrons notre emploi. Si nous perdons l’emploi, nous mourrons de faim. Nous sommes pauvres, nous n’avons donc pas le choix ».

Mais nous savons que l’industrie de l’habillement du Bangladesh a été le principal secteur d’exportation et une source importante de devises étrangères au cours des 25 dernières années. À l’heure actuelle, l’industrie de l’habillement du Bangladesh exporte ses produits pour une valeur de 5 milliards de $ par an. Ce secteur représente environ 80 % des revenus manufacturiers du pays, avec au moins 4 millions de travailleur·ses qui en dépendent, dont 90 % sont des femmes.

Encore un mythe

En l’absence d’un système d’inspection du travail qui fonctionne bien et de mécanismes d’application des lois appropriés, le travail décent et la vie dans la dignité sont encore loin d’être une réalité pour la grande majorité des travailleur·ses de l’industrie de l’habillement et leurs familles.

En outre, la pandémie fait payer un lourd tribut au Bangladesh, en particulier à l’industrie de l’habillement, qui est le deuxième exportateur mondial de vêtements. Elle perd rapidement des commandes et des millions d’emplois sont en jeu. Quelque 4,1 millions de travailleurs souffriront de la faim si personne ne prend d’initiative pour leur bien-être.

Les patrons ont ouvert leurs usines pour se protéger des dommages potentiels malgré l’énorme menace de contamination. Néanmoins, la sécurisation de l’emploi est devenue pour les travailleurs une « option » plus puissante que la menace du virus ou la mort.

La situation est donc désastreuse. Si elle continue, je pense que ce n’est qu’une question de temps, des milliers de milliers de travailleur·ses seront au chômage, ce qui ajoutera une nouvelle anarchie dans la société, et en particulier la vie des femmes sera en grand danger. Et l’autonomisation des femmes redeviendra un mythe.

La publication de cet article en anglais et suédois est le fruit d’une coopération entre le site suédois Perspective féministe, PEN/Opp et la ville de Norrköping.

Supriti Dhar সুপ্রীতি ধর سوپریتی دهر

Original: What disaster means to garment workers in Bangladesh

Traduit par   Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

Traductions disponibles: Svenska/Dansk/Norsk  Deutsch  Español  فارسی 

Source: Tlaxcala le 11 juin 2020

http://tlaxcala-int.org/upload/gal_21691.jpg

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